Société

France : Les démons de l’islamisme (40)

© D.R

La police religieuse éradique le vice
Riyad, 2 mars 2003

Ce dimanche 2 mars 2003, la sortie des cours du Centre franco-saoudien de Riyad est agitée. Pendant les heures d’enseignement, les gardiens de la police religieuse -les mottawas– se sont placés en faction devant la section féminine, installée dans une école saoudienne de la capitale. Depuis trois ans, dans des conditions matérielles difficiles, quatre enseignantes françaises y dispensent des cours du soir à des jeunes filles souhaitant apprendre la langue de Molière. Cela va de soi, les femmes n’y croisent jamais un homme. Au pays des puits de pétrole, la police des moeurs l’interdit. La «commanderie pour la promotion de la vertu et l’éradication du vice», formée par les mouttawas, est habituée à contrôler, épier et violer les domiciles, à la moindre suspicion. Le lundi 3 mars, le raïs -président- de la «commanderie de Riyad, par la voix de son adjoint, convoque la propriétaire de l’école et lui enjoint de cesser les cours avant la fin du mois.
La pauvre femme a beau plaider la «parfaite conformité» de son établissement, le chef n’en démord pas. Une dénonciation anonyme l’aurait informé de l’organisation de cours mixtes. L’horreur! «Contre toute évidence», assure un diplomate. Deux jours plus tard, le raïs ordonne au téléphone une «cessation immédiate» des cours. Cette «mesure à caractère irréversible» lui aurait été imposée par les moukhabarat -les service de renseignements- du gouvernement de Riyad. Le raïs ne recule devant rien, surtout pas devant un mensonge éhonté.
Le 8 mars 2003 est la journée internationale de la femme. Drôle de manière de la célébrer. Les autorités françaises ne peuvent laisser passer pareille offense sans réagir. Le 19 mars, l’ambassadeur à Riyad, Bernard Poletti, obtient un rendez-vous avec le sous-secrétaire d’État saoudien pour les Affaires économiques et culturelles. Ce dernier, Youssef al-Saadoun, fait preuve d’une aimable tempérance. Il «présente des excuses à titres personnel et au nom de ses autorités 1». Il ajoute même que les mouttawas dépassent leurs compétences. Le même jour, un directeur du ministère des Affaires étrangères du Royaume juge que la «commanderie» va «au-delà des lois» et que ses agissements sont «inacceptables».
Las ! Les mouttawas représentent un État dans l’État. Malgré les relations bilatérales «excellentes» entre les deux pays, la section féminine va rester fermée pendant très longtemps. Dans un télégramme diplomatique, Bernard Poletti conclut que «le domaine culturel et éducatif en Arabie restera encore pour quelque temps la chasse gardée des tenants les plus zélés du conservatisme politique-religieux».
Triste constat. Mais il y a pire. Les radicaux de Riyad ne se contentent pas de faire régner la terreur chez eux. Ils entendent sévir sur le territoire français. Le 8 mai 2001, quatre mois avant que quinze Saoudiens participent au raid du 11 septembre, le Roi du Maroc met Daniel Vaillant en garde. En son Palais d’Agadir, en présence du prince Moulay Rachid, Mohammed VI insiste auprès du ministère de l’Intérieur sur «les risques d’intervention des États musulmans» sur le territoire français «via les mosquées». Le Roi ne plaisante pas : «On cite toujours l’Iran, mais méfiez-vous de l’Arabie saoudite 2.»
Le conseil est bien senti. Au sein du gouvernement Jospin, le ministre de l’Intérieur n’est pas seul à avoir été avisé du danger. Quelques mois plus tôt, une note très éloquente a été déposée sur le bureau du ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine. Elle prône déjà la vigilance : «L’affaire est entendue : l’Arabie saoudite déploie un prosélytisme actif à l’échelle mondiale. Elle mobilise à cet égard ses instances religieuses, publiques, semi-publiques et privées, mais aussi panislamiques, consent un effort financier substantiel et utilise des moyens de communication de masse, qu’il s’agisse des chaînes satellitaires, telle Iqra, ou du réseau Internet.»
Cela n’empêchera pas Hubert Védrine, lors d’un voyage éclair à Riyad, le 30 octobre 2001, de transmettre au roi Fahd un message de Jacques Chirac évoquant l’ «autorité morale» dont jouit l’Arabie saoudite dans le monde musulman. Et notre président de la République d’indiquer sagement qu’«il faut se préoccuper des problèmes politiques régionaux, qui, par les frustrations qu’ils gendrent, favorisent tous les extrémismes». Comme si les religieux Saoudiens ne se chargeaient pas touts seuls de mettre le feu aux esprits !
Les ambassadeurs prennent la parole pour la France. Ils sont la bouche du pays, mais aussi ses oreilles. À Paris, certains ont parfois du mal à les entendre. En poste à Riyad de 1991 à 1993, Jean de Bressot publie un livre très critique, Arabie saoudite, la dictature protégée (Albin Michel),sous le pseudonyme de Jean-Michel Foulquier. La fin de carrière de l’ambassadeur s’en ressentira, pas les relations franco-saoudiennes. Le successeur de Bressot, Hubert Forquenot de la Fortelle, ne porte pas ses critiques sur la place publique. Mais ses télégrammes diplomatiques sont pour le moins alarmants. Le 26 avril 1998, la chancellerie politique de Riyad transmet: «On ne saurait trop prendre au sérieux la volonté de propagande du gouvernement saoudien, spécialement au sein des communautés musulmanes étrangères.» Le 2 mai, une dépêche de l’ambassade assure que, «vu de Riyad, on ne peut qu’être impressionné par l’importance et la fréquence des interventions saoudiennes en vue de créer ou de soutenir des oeuvres de propagande religieuse ne France». Il s’agit de créer chez nous «des réseaux islamiques directement financés par la famille royale ou l’État saoudien».
Durant la première guerre du Golfe, le recteur de la grande mosquée de Marseille, Mohamed Allili, s’offusque de la présence d’émissaires saoudiens en France pour «tenter de tenir les musulmans sous le charme de leurs pétrodollars ; la place de ces personnalités corrompues n’est plus sur le tapis de prière, mais sur le tapis vert des casinos». Quand ce ne sont pas des imams, des agents secrets sont envoyés. En mai 1998, une note de la DST évoque le cas d’un Saoudien de Toulon : «Officiellement étudiant en sociologie, ce dernier a, en fait, été envoyé en France, sous couverture, par les autorités wahhabites pour se livrer à des actions de prosélytisme auprès des jeunes de la région 3.»
Des cassettes et des exemplaires du Coran sont distribués dans tout l’Hexagone. La note de la DST précise : «Les brochures expliquent aux fidèles que le Coran est la seule source de la connaissance universelle. Quant aux cassettes, elles contiennent des récitations de sourates et concluent par un discours obscurantiste et sectaire, «hostille aux juifs, aux Français», et aux non-musulmans en règle générale.» Il paraît que l’Arabie saoudite est un pays ami.

1- Télégramme diplomatique de l’ambassade de France à Rabat, n°974, 8 mars 2003.
2- Télégramme diplomatique de l’ambassade de France à Riyad, n°539, 9 mai 2001.
3- «Un regain d’activité, de la part des autorités religieuses saoudiennes, en direction de la communauté musulmane de France, a pu être observé depuis quelques mois», DST, 26 mai 1998.

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