Société

France : Les démons de l’islamisme (43)

© D.R

Hassan II refuse l’intégration des Marocains
Rabat, 5 mars 1998

Au moment où le ministre des Affaires étrangères socialiste se prépare à rendre une visite de courtoisie au ayatollahs iraniens, le Maroc célèbre, le 5 mars 1998, la fête du Trône, une cérémonie d’allégeance au roi. En son majestueux Palais royal, Hassan II reçoit longuement un autre ministre français, celui de l’Intérieur, Jean-Pierre Chevènement. Entre deux tasses de thé, une pâtisserie orientale et une question sur le Sahara occidental, les deux hommes évoquent le dossier sensible des Marocains en France. Le Commandeur des croyants est visiblement tracassé par une nouvelle disposition législative relative à l’acquisition de la nationalité française. La disposition en question donne la possibilité aux étrangers résidant en France de procéder, au nom de leurs enfants, aux formalités de naturalisation dès que ceux-ci atteignent tereize ans. Le Souverain averti : «Une ouverture trop large et trop précose du mode d’acquisition de la nationalité peut constituer un sujet de friction entre nos deux pays. N’en fait-on pas des relaps 1 ?» Selon le dictionnaire, être relaps, cela signifie «retomber dans l’hérésie ou les fausses religions». Le générosité de la législation française est donc considérée comme une agression dans les pays arabes. Paradoxal!
L’anecdote résume l’état du Roi à l’égard de ses quelque 700.000 «sujets» en France. «Le Souverain marocain a nettement affirmé à diverses reprises son opposition au principe de l’intégration de ses sujets dans la société des pays d’accueil2», signale-t-on dans les milieux diplomatiques français. En clair, un Marocain intégré est Marocain perdu pour le Royaume.
En vertu du droit du sang, un enfant de Marocains, né sur le sol français, ayant toujours vécu en France, a la nationalité marocaine d’office, qu’il le veuille ou non. Commandeur des croyants, Hassan II veut tenir ses ouailles par l’Islam. À deux reprises, il demande au président de la République française de construire à Paris une grande mosquée de cinq mille places. La prposition est accueillie avec une «réserve polie». La «Fondation Hassan II pour les Marocains à l’étranger» financera malgré tout la construction de la mosquée d’Évry. Celle-ci ayant été discréditée par des affaires où se sont multipliées les accusations des uns contre les autres, son fils, Mohammed VI, reverra les ambitions de la fondation à la baisse après avoir accédé au Trône le 30 juillet 1999.
En 2003, les élections au Conseil français du culte musulman témoignent des relations ambiguës entre le pouvoir marocain et ses ressortissants. Officiellement, les autorités de Rabat n’interviennent pas dans les affaires religieuses en France. Officieusement, les sections consulaires mettent la main à la constitution des listes pour l’élection du «clegré musulman». Le Maroc s’appuie en réalité sur la Fédération nationale des musulmans de France. Un observateur avisé du ministère de l’Intérieur raconte : «La composition des listes de la FNMF s’est effectuée au niveau de l’ambassade et des consulats du Maroc, la plupart du temps sans ou même contre l’avis des dirigeants de la FNME.» Un lobbying relayé dans les mosquées. Le responsable d’une association gérant un lieu de culte en région prisienne raconte : «Nous avons eu des consignes pour soutenir la FNME. Cela s’est fait par le biais de coups de téléphone ou de réunions à l’ambassade.» Mais aussi d’enveloppes d’argent, déposées généreusement dans les caisses de la mosquée lors de déplacements d’officiels marocains.
À l’ambassade du Maroc, près du Trocadéro à Paris, le discours est ambigu : «Nous ne nous sommes pas immiscés dans le fonctionnement du CFCM, qui est une affaire franco-française. Mais nous avons joué le rôle de modérateur.» Tout est dans la nuance.
En fait, le gouvernement marocain a scellé une alliance avec la FNMF en 1994, au début pour de strictes raisons sécuritaires : «Après l’attentat de Marrakech en 1994, Rabat s’est tourné vers la FNMF pour s’assurer du loyalisme des émigrés marocains installés en France 3.» Les services marocains veulent alors utiliser le réseau des mosquées et des associations culturelles pour repérer et contrer les dérives islamistes. Lors des déplacements officiels, le sujet revient toujours. Au cours de son entretien avec Chevènement, Hassan II évoque les «imams qui pourraient prôner l’intégrisme» et s’exclame: «N’hésitez pas à me signaler tout manquement!» Le ministre marocain de l’Intérieur, Driss Basri, adresse la même recommandation: «Les autorités françaises ne doivent pas hésiter à signaler toute tentative de politisation. Toute reconduite aux frontières pour un motif de ce genre sera acceptée avec compréhension par Rabat 4.» Les responsables étrangers seraient-ils parfois plus attentifs que les ministres français?
Dans cet esprit, des «relations régulières» s’instaurent entre la FNMF et les autorités marocaines, «tant au niveau de l’ambassade que de Rabat3.» Représentant à Paris de la DGED, les services secrets marocains, le colonel Benfaida prend attache avec Bechari. Ce Français d’origine marocaine préside le FNMF depuis 1994. Mais le travail en bonne intelligence tourne court. «Homme ambitieux», Bechari prend «petit à petit ses distances avec l’ambassade du Maroc5.» Le président de la FNMF préfère cultiver des contacts directs et «haut placés» avec le Royaume, via la Fondation Hassan II. L’affaire prend des tournures de scènes de ménage. À la recherche de fonds, Bechari lorgne vers les subsides de l’Aarabie saoudite. Hérésie! Un groupe d’opposants de la FNMF se rapproche alors du colonel Benfaida pour renverser Bechari.
«L’ambassadeur du Maroc en personne a pris fait et cause pour eux», remarquent les RG. À son tour, Bechari lance une «campagne de dénigrement». Il crie haut et fort que les services secrets marocains ont orchestré une machination contre lui et envoie une «lettre au Prince héritier du Royaume chérifien pour se plaindre des agissements du colonel Benfaida».
L’agent secret est convoqué d’urgence à Rabat pour s’expliquer. Finalement, le directeur des services secrets marocains, le général Kadiri, et celui de la DST marocaine, le général Laanegri, apportent leur soutien à Benfaida. De son côté, Bechari se targue d’avoir eu «un long entretien, très ouvert et chaleureux» avec le général Laanegri. En tout cas, Bechari et le Maroc enterrent la hache de guerre. Le colonel Kirmani remplace le colonel Benfaida. Début 2000, les affaires reprennent : «L’ambassadeur aurait attiré l’attention de Bechari sur les risques de se voir manipulé par les Français dans le cadre de la consultation (sur l’organisation de l’Islam en France) 5.» Quelques mois plus tard, l’ambassadeur demande au président de la FNMF «de lui apporter son soutien en vue de réorganiser la communauté marocaine installée en France, mettant en particulier l’accent sur la nécessité d’agir sur le terrain politique et d’encourager les Marocains à constituer des centres d’influence au profit de la mère partie 5.»
Entre le ministère de l’Intérieur français et l’ambassade du Maroc, le courant passe bien en revanche. L’ambassadeur Hassan Abouyoub est un ancien élève de l’École supérieure de commerce et d’administration des entreprises de Lyon. Nommé ministre du Commerce extérieur du royaume en février 1990, il s’est lié à Guillaume Sarkozy, le frère de Nicolas, qui s’occupe du commerce international. Hassan Abouyoub et Nicolas Sarkozy se sont rencontrés bien avant que le Marocain soit nommé en France, en septembre 1999. La résidence de l’ambassadeur est d’ailleurs située à Neuilly. Beau joueur, le Maroc ne s’oppose pas à ce que la présidence du CFCM soit confiée à Dalil Boubakeur, autrement dit à l’Algérie. Le Royaume chérifien est sûr de tirer son épingle du jeu. Les «sujets du Roi» occupent, en effet, une place prépondérante au sein du paysage islamique français. Comme le précise une note du ministère de l’Intérieur : «Le dynamisme des Marocains s’explique par plusieurs facteurs dont le principal est une sensibilité encore très empreinte de piétisme et un fort sentiment communautaire. Il se traduit par la part prise par les Marocains dans la construction des centres islamiques, de la plus petite salle de prière au grand centre culturel.» Les imams marocains représentent 40% des imams de France. Contrairement aux religiex algériens, ils ne sont pas rémunérés par l’État. Ils n’en sont que plus motivés.

1- Télégramme diplomatique de l’ambassade de France à Rabat, 6 mars 1998.
2- Note sur l’Islam en France, ministère des Affaires étrangères 10 juin 1997.
3- «Mohamed Bechari», RG, 3 janvier 2001.
4- Télégramme diplomatique de l’ambassade de France à Rabat, 9 mars 1998.
5- Ibid.

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