Société

France : Les démons de l’islamisme (68)

© D.R

«Ce qui est volé aux mécréants n’est pas du vol»
Siège de la DST, janvier 2004

À la fin de l’année 2000, le livreur d’une société de conditionnement de viande halal, dont le siège social se trouve à Gennevilliers dans les Hauts-de-Seine, se fait braquer sur le parking d’une zone industrielle de la région parisienne. Munis d’un pistolet à plomb acheté quelques heures avant dans un grand magasin de sport de Saint-Denis, les assaillants emportent la sacoche de l’employé, contenant 100.000 francs. «Ce qui est volé aux mécréants n’est pas vraiment du vol», dira un des suspects interrogés par la DST en janvier 2004. Le braqueur islamiste évoque la notion de ghanina, c’est-à-dire la constitution d’un butin «au nom du djihad». L’explication est un peu courte. Mais elle démontre les frontières ténues entre banditisme et terrorisme.
Le phénomène émerge pour la première fois à Roubaix. Le 20 janvier 1996, deux hommes cagoulés et armés dérobent une BMW. Le même jour, un magasin d’alimentation est attaqué. Une semaine plus tard, deux individus volent une Audi 90. Deux policiers tentent de les interpeller. Les fonctionnaires sont immédiatement pris sous le feu nourri de kalachnikovs et de fusils Skorpion. L’un d’eux est sérieusement blessé. Le 3 février, trois hommes, affublés de masques de carnaval, emportent la caisse d’un magasin Aldi. Les malfaiteurs n’hésitent pas à nouveau à tirer sur ceux qui s’interposent. Un automoboliste, au volant d’une Mercedes, le paie de sa vie. Le 25 mars, huit hommes, cagoulés et vêtus de combinaison, attaquent un fourgon de la Brink’s à l’arme automatique et au lance-roquettes. Les braqueurs touchent grièvement un vonvoyeur, mais ne raflent pas un centime. Enfin,le 28 mars, un engin explosif à base de trois bouteilles de gaz est découvert devant le commissariat de Lille. Le détonateur se déclenche, mais n’entame pas l’enveloppe des bouteilles. Selon les artificiers, cette bombe aurait pu détruire le quartier dans un périmètre de deux cents mètres! Le tout se déroule la veille de la réunion des chefs d’État du G7 dans la capitale du Nord. Le SRPJ de Lille passe alors à l’action et fait le siège du 59 rue Henri-Carette à Roubaix, où l’équipe a été repérée. Les hommes du Raid rencontrent une résistance inattendue: quatre malfaiteurs préfèrent mourir carbonisés dans leur refuge en briques rouges plutôt que de se rendre.
Qui sont ces «martyrs» fanatisés et leurs complices? Les enquêteurs trouvent le fil rouge : tous ont combattu en Bosnie dans les rangs du «Bataillon des moudjahidine». L’un d’eux Lionel Dumont, alias Bilal ou Hamza, est né à Roubaix le 29 janvier 1971. Français converti à l’Islam, il a échappé à l’assaut. Les investigations font rapidement apparaître le vrai visage de ces «vétérans» de Bosnie, au parcours scolaire et personnel chaotique, dont la moyenne d’âge est inférieure à trente ans. Les déclarations des survivants permettent d’éclaircir leur mobile : l’un raconte avoir été persuadé par l’un des chefs de son groupe que des «actions violentes pouvaient être légitimées par l’Islam». Il avait été convaincu d’«apporter son aide à la cause». Un autre assure que «90% du butin davait revenir à la cause et 10% seulement aux participants».
Un autre dit avoir compris que les «vols à main armée étaient destinés à financer et venir en aide aux frères musulmans d’Algérie». Selon lui, ces actions auraient même été imposées par «plusieurs fatwas lancées par des imams»! Arrêté en Bosnie le 9 mars 1997 et soupçonné d’avoir participé à plusieurs braquages qui ont fait deux morts, Lionel Dumont en dit un peu plus sur ce sujet : il précise que ces «ordres religieux» ont été délivrés par le cheikh Abou Hamza, imam égyptien de la mosquée de Finsbury Park à Londres, interpellé en juin 2004 par les autorités britanniques. Les «islamo-braqueurs» de Roubaix ont suivi les conseignes de leur mentor barbu à la lettre : ils avaient même fondé un commerce d’exportation de véhicules d’occasion en Afrique noire, dont la finalité était de «recycler les fonds provenant des braquages».
L’enquête sur ces braqueurs de supermarché débouchera sur le premier réseau international terroriste démantelé en France.
Les policiers viennent de découvrir le «gangsterrorisme», néologisme désignant le mélange entre intégrisme et voyoucratie. «Il s’agit de milieux issus de la petite délinquance et du moyen banditisme, peu à peu séduits par la doctrine du groupe Takfir wal-Hijra (Anathème et Émigration), qui sanctifie la violence sociale en Occident au nom du djihad, donc la délinquance», observe Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement de sécurité à la DGSE. Politologue, l’espion à la retraite ajoute : «On peut y voir une version moderne de l’«appropriation prolétarienne»organisée par les groupes de l’euroterrorisme dans les années 70.»
Il s’agit d’une nouvelle génération de «fous de Dieu». Soupçconné d’avoir dirigé un réseau d’«aide logistique» aux maquisards algériens au début ds années 90, Mohammed Chalabi avait commencé sa «carrière» au début des années 70 au sein du «gang de la banlieue sud». Après un passage en prison, il s’était découvert une vocation pour le «vrai Islam» et finançait la cause par le trafic d’héroïne et les machines à sous. Il a depuis été condamné à huit ans de prison et expulsé vers l’Algérie en novembre 2001.
Considéré comme un cadre important du GIA, Abderrahmane Chenine a, lui, été arrêté après avoir commis un vol à main armée en 1994 contre une agence de la Poste à Mont-Saint-Aignan, en Seine-Maritime. Il a été condamné pour ces faits en mars 2002 à dix ans de réclusion criminelle ainsi que, en novembre 2003, à six ans de prison ferme dans le cadre d’un projet d’attentat lors du match de football France-Algérie. Plus récemment, une secte pseudo-islamiste disposant d’une librairie à Argenteuil, dans le Val-d’Oise, a été soupçonnée d’escroquerie sous couvert d’aide aux «frères» emprisonnés dans les maisons d’arrêt parisiennes.
L’affaire est en cours. «Le mouvement du Takfir wal-Hijra s’est spécialisé dans la collecte de fonds et la fourniture de faux papiers» afin de financer les réseaux internationalistes. (…) Si les groupes du Takfir agissent souvent dans le cadre criminel de pur droit commun, des militants et responsables internationalistes y possèdent les contacts nécessaires pour la fourniture de moyens logistiques aux groupes actifs dans les filières du djihad1.»
Une chose est sûre : les voyous dopés à l’opium islamiste ont du mal à «décrocher». Le 26 mai 1999, le chef du gang de Roubaix, Lionel Dumont, qui avait été arrêté en Bosnie en 1997, réussit à s’échapper. Il repart en cavale pour près de quatre ans. Le 13 décembre 2003, vers 8h30, la police allemande finit par l’interpeller dans une chambre d’hôtel de Munich.
Les policiers bavarois interviennent à la demande de leurs homologues anglais, qui enquêtent sur un réseau de terrorisme international. Ils ont repéré Dumont, sans savoir qui il était en contact régulier avec le Britannique Andrew Rowe. Surnommé «Youssef le Jamaïcain», Rowe est suspecté d’avoir été lié avec deux islamistes radicaux impliqués dans les attentats de Casablanca en mai 2003. Lorsqu’ils lui passent les menottes, les policiers de Munich ignorent son identité.
Ils relèvent ses empreintes et les passent au fichier. Eurêka! L’antiterrorisme, longtemps embryonnaire au niveau européen, commence à marquer des points. Il était temps.

1- «Éléments d’analyse sur la menace islamique sunnite», DCRG, octobre 2002.

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