Société

Habib El malki interpellé

© D.R

A la rentrée scolaire 2002-2003, le ministère de l’Éducation nationale a mis en place une réforme de l’enseignement du français dans les lycées marocains. Cette réforme, qui est centrée sur le réintroduction des oeuvres littéraires dans les programmes scolaires est largement et positivement appréciée par les enseignants, par les parents et par les élèves. C’est un tournant dans la réforme de l’école marocaine, conformément à la Charte nationale d’éducation et de formation. En effet, les manuels scolaires ont été abandonnés et les enseignants organisent leurs cours dans le cadre de projets pédagogiques autour des oeuvres littéraires au programme. L’étude des oeuvres littéraires, qui a remplacé les manuels scolaires centrés sur les aspects fonctionnels et communicatifs de la langue, participe à la formation intellectuelle et culturelle des élèves marocains et permet à la classe de français d’être plus active qu’auparavant grâce au retour des aspects humanistes et universels de la littérature, favorisant ainsi le développement des valeurs de tolérance, d’ouverture, et de citoyenneté active. De plus, l’étude de ces oeuvres développe les compétences méthodologiques de nos élèves et les habitue à la rigueur et à l’effort que nécessite l’investissement intellectuel et moral. Dans le cadre de la réforme des programmes du lycée, le ministère de l’Éducation nationale est en-train de réviser les programmes en vigueur, et nous craignons que cette révision nous oblige à revenir à l’utilisation des manuels scolaires dont tout le monde connaît maintenant les limites.
Seules des raisons commerciales justifient le désir de quelques-uns (auteurs) d’imposer aux enseignants le retour aux manuels scolaires, ignorant ainsi le dynamisme et le changement positif constaté depuis la rentrée 2002.
C’est pourquoi nous avons jugé utile d’adresser une lettre ouverte à monsieur le ministre, en raison de l’inefficacité de la communication interne. Nous souhaitons attirer l’attention de monsieur le ministre sur cette réalité et nous espérons qu’il pourra intervenir auprès des services concernés afin de nous permettre de continuer à travailler dans le cadre de nos projets pédagogiques et d’éviter le retour aux manuels scolaires. Nous défendons un choix politique très important et nous sommes convaincus que l’étude des oeuvres littéraires permet aux élèves et surtout aux défavorisés un accès, quoique limité, à la culture.


Voici, par ailleurs, le texte integral de la lettre ouverte adressée au ministre de l’Éducation nationale. «Monsieur le ministre,
Dans le cadre de l’«opérationnalisation» de la Charte nationale de l’education et de la formation, le ministère de l’Education nationale a initié un certain nombre de réformes visant l’amélioration de la qualité de l’enseignement et la rentabilité du système éducatif.
Sur le plan pédagogique, des innovations ont été introduites à plusieurs niveaux. C’est ainsi que le ministère, conscient de l’importance de la maîtrise des langues dans la réussite scolaire et dans la réduction de l’inégalité des chances, a lancé en septembre 2002 une réforme profonde de l’enseignement du français dans les lycées marocains, en remplaçant l’utilisation des manuels scolaires par des projets pédagogiques conçus par les enseignants autour d’oeuvres littéraires. Ce changement a complètement transformé la réalité de la classe de français, qui est devenue plus vivante et plus intéressante. Ces avantages, certains de nos collègues en ont déjà parlé plusieurs fois dans les colonnes de la presse nationale, et l’un des articles a même été traduit en arabe par vos collaborateurs et publié l’année dernière dans un numéro de la revue du ministère. Un débat a été ouvert dans les colonnes d’un quotidien national et s’est prolongé un peu partout dans les établissements scolaires. La réforme de 2002 est intéressante à plusieurs égards. Nous adhérons complètement aux remarques de nos collègues qui disaient, l’année dernière, dans leur lettre ouverte :
«D’une manière générale, le projet pédagogique autour de l’oeuvre littéraire (intégrale) présente de nombreux avantages pour toutes les parties concernées : pour les élèves, l’étude des oeuvres offre la possibilité d’une véritable pratique de la langue, avec tous les avantages de la lecture et de l’imprégnation linguistique. Ne dit-on pas souvent que pour apprendre à écrire, il faut apprendre à lire ? Par ailleurs, cette étude favorise l’ouverture culturelle et intellectuelle des élèves, nourrit la réflexion et contribue à l’épanouissement de la personnalité.
Pour les enseignants : l’étude des oeuvres intégrale nécessite un véritable investissement pédagogique et un travail pré-uns pédagogique intéressant. Certes, la tâche est de plus en plus lourde, mais le résultat est gratifiant. Beaucoup disent q’ils ont l’impression de changer complètement, en retrouvant les plaisirs d’un véritable enseignement de la langue, après des années de marasme à cause des programmes dominés par l’informatif et le fonctionnel.
Pour la classe de français : jamais celle-ci n’a été aussi vivante. Grâce aux oeuvres, on retrouve la dimension humaniste et culturelle, avec de plus en plus, de beaux textes et une « langue littéraire », qui donne la possibilité de mieux sentir le génie de la langue française et les nuances de l’expression qu’on ne pouvait pas trouver facilement ailleurs, dans les textes informatifs sur « la pollution » ou sur « le fonctionnement des machines ». Le cours de français est plus vivant et l’échange en classe de plus en plus intéressant.
Pour le système éducatif : cette réforme, qui va dans le sens de « la charte », encourage la tolérance, offre la possibilité d’une ouverture sur d’autres cultures, met en évidence « l’histoire des idées ». Même si c’est de façon timide parfois, ceci pousse les élèves à aborder des thèmes ayant une dimension universelle et favorise chez les lycéens marocains le développement d’une culture générale leur permettant, par la suite, de faire face aux défis qui attendent notre nation ».
Aujourd’hui, monsieur le ministre, en dépit de ces acquis, nous craignons que le ministère mette fin à cette réforme à l’occasion de la mise en place des nouveaux programmes du lycée tels qu’ils figurent dans le Livre Blanc. Les professeurs de français, qui ont entendu parler de la révision des programmes du lycée, expriment vivement leur inquiétude à ce sujet et craignent qu’on prenne des décisions qui ne tiennent pas compte de leurs remarques. Certains ont entendu parler d’une éventualité du retour aux manuels scolaires. C’est pourquoi nous exprimons fortement notre opposition catégorique au retour au manuel et nous affirmons que si le ministère décide ce retour, les professeurs de français seront complètement déstabilisés et démotivés.
Monsieur le ministre, nous sollicitons votre intervention auprès des services concernés pour que nous puissions continuer à concevoir nos projets pédagogiques autour des oeuvres littéraires et pour qu’on ne nous oblige pas à utiliser des manuels scolaires, quelle que soit leur conception. Certes, nous nous heurtons toujours au problème du niveau des élèves et à celui des équipements et des conditions de travail de plus en plus difficiles, et certains parmi nous pensent qu’il faudrait peut-être choisir des oeuvres plus accessibles et moins volumineuses, mais nous estimons que cette réforme a son but et que de toute façon, c’est la meilleur façon d’aider nos élèves à élargir leurs horizons culturels et intellectuels. Seules des raisons commerciales peuvent expliquer ce désir de faire travailler nos élèves avec des manuels scolaires. Sans parler des lacunes que les enseignants ont constatées dans les programmes et dans les nouveaux manuels du primaire et du collège.
Tout ce que nous demandons, monsieur le ministre, c’est qu’on nous permette de continuer à participer à une réforme que le ministère a initiée il y a un peu plus de deux ans. Nous espérons avoir la possibilité de rencontrer des membres du comité permanent des programmes dont nous avons entendu parler à la télévision. Nous serons heureux de les accueillir dans nos établissements pour leur expliquer la situation.
Il n’est pas rare qu’on entende les responsables dire que la concertation avec les enseignants est organisée de manière officielle. Mais nous, nous pensons que les rapports des conseils d’enseignement sont insuffisants, que nous n’avons jamais reçu de synthèse nationale de ces rapports. Par ailleurs, nous aurions aimé que le ministère organise de temps à autre une évaluation « externe » de certaines innovations, ne serait-ce qu’à l’intérieur du ministère.
Une réforme ne peut pas être évaluée par les personnes qui sont chargées de la concevoir, de l’appliquer ou d’en faire le suivi. Une évaluation, conduite par d’autres personnes que les enseignants ou les inspecteurs du secondaire ne peut être que bénéfique. On ne peut pas être juge et partie. Donnons aux Marocains la chance de participer à la démocratisation de la vie scolaire et à la modernisation des stratégies de prise de décisions.
Nous croyons en cette réforme et nous espérons ne pas être froissés par une décision qui risque de nous marginaliser davantage. Notre tâche devient de plus en plus pénible. Pourquoi donc nous réduire à de simples exécutants, tout en nous demandant d’intégrer les principes de l’éducation aux droits de l’Homme ? Quelle démarche citoyenne allons-nous proposer à nos élèves ? Quelles valeurs allons-nous promouvoir ?»

• Un groupe de professeurs de français.

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