Société

Handicapés : «Rien pour nous, sans nous»

ALM : Le Parlement marocain vient d’adopter une proposition de loi relative aux accessibilités pour les personnes handicapées. Cependant les handicapés sont déçus. Pourquoi ?
M.El Khadiri : Depuis l’indépendance, le Maroc a promulgué trois lois pour les personnes handicapées. En 1982, la loi 05-81 «loi de la protection sociale des aveugle et des déficients visuels» tout de suite après l’année internationale (1981). En 1992, la 07-92, «loi de la protection sociale des personnes handicapées», adoptée par le Parlement le 26/12/1991, soit deux jour avant la fin de la décennie des personnes handicapées (1983-1992).
La vacuité de ces deux lois montre que l’objectif de leur adoption était pour la répondre au plan d’action mondial de l’ONU «consommation extérieure». Le manque de décrets, dix ans après la loi 07-92, le confirme.
En matière d’accessibilité, la loi 07-92 l’a traité dans son article 27, qui stipule : «Les ouvrages publics,… doivent lors de leur création ou restauration être munis … d’installations en vue de faciliter … leur accès par les handicapés». Durant une décennie, nous avons attendu les décrets d’application relatifs à cet article, en vain.
Aujourd’hui, une nouvelle loi, spécialement dédiée à l’accessibilité a été adoptée par l’ancien Parlement et par l’actuelle Chambre des conseillers sur propitiation d’un groupe parlementaire. La proposition initiale a été tellement amputée que le texte définitif est devenu un ensemble de recommandations morales qui font appel à la bonne volonté.
Mais surtout il y a cet article 29 qui ne figure pas sur la proposition initiale et qui stipule que «les édifices existants et ceux qui ont obtenu l’autorisation de construire ne sont pas concernés par cette loi». Avec l’introduction de cet article, l’infrastructure que le Maroc a construite durant son histoire, notamment les édifices publics, qui, en principe, appartiennent à tous les Marocains, restent définitivement inaccessibles aux milliers de personnes en fauteuil roulant et difficiles d’accès aux millions de personnes à mobilité réduite : personnes âgées, enfants en bas age, femmes enceintes, parents avec poussettes … Bref, maintenir les obstacles pour la moitié de la société, et pour les générations futures.
En plus, faut-il attendre encore dix ans pour promulguer les décrets de cette nouvelle loi ! Les personnes handicapées ont de quoi être déçues et même carrément désespérées.
Aucune concertation n’a été faite avec les ONG des personnes handicapées ?
Il faut noter que l’Amicale Marocaine des Handicapés, à titre d’exemple, a obtenu le statut de conseiller auprès du Conseil Economique et Social (ECOSOC) de l’ONU, nous sommes concertés par cet organisme pour les grandes politiques internationales en matière du handicap. Mais nous n’avons jamais été concertés chez nous. Aucune Association n’a été associée à l ‘étude de cette loi, ni d’ailleurs à aucune politique nationale en la matière. Je dois ajouter que plus de 90 % des structures recevant les handicapés sont gérées par les Associations avec les moyens de bord. C’est cela le paradoxe, d’un côté on nous laisse la tâche ingrate et de l’autre, on nous ignore quand il s’agit de mettre en place les mesures qui nous concernent.
Pourquoi à votre avis ?
Je crois qu’il faut poser cette question à ces responsables. À mon avis, ce manque de concertation traduit la fracture qui existait entre une certaine « élite » et le peuple. Cette élite croyait que les Marocains sont des mineurs chroniques incapables de produire des idées constructives. Les choses changent heureusement, et nous avons l’espoir qu’avec le nouveau concept de l’autorité, la voie de la base sera plus entendue.
Vous avez organisé des rencontres avec les grandes Associations des personnes handicapées pour en débattre, quelles sont vos conclusions ?
Nous sommes tous choqués par cette loi notamment l’article 29, mais aussi, nous sommes indignés par la manière avec laquelle on traite nos droits. Nous ne pouvons plus admettre d’être considérés comme des citoyens de seconde zone, et nous sommes tous convaincus de l’urgence de l’action. Un communiqué a été rédigé et sera envoyé à toute la presse et aux forces vives du pays.
Que pouvez-vous faire en tant qu’ONG pour remédier à cette situation ?
En ce qui concerne cette loi, nous allons d’abord la soumettre à l’étude par des juristes compétents : une réunion avec nos amis professionnels de droit est prévue le vendredi 28 février 2003. L’objectif est d’avoir leur avis sur la constitutionnalité de cette loi, et des recours légaux que nous pouvons initier. C’est à la lumière de cette concertation que nous établissons notre plan de travail. Nous espérons que l’élite digne de notre pays, ainsi que la presse nous soutient dans notre combat qui concerne tout le monde en fin de compte. Dans un cadre plus général, nous devons fédérer nos efforts, consacrer plus de temps et de moyens aux actions de plaidoyer, et travailler selon le concept mondial : « Nothing for us, without us » traduit « Rien pour nous, sans nous ».

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