Société

Il faut rehabiliter Fès

© D.R

J’étais dans un congrès à Marrakech et j’ai été surpris de l’évolution de cette ville aussi bien au niveau de l’aménagement qu’au niveau de la sécurité. J’ai été particulièrement surpris par la somptuosité de l’avenue Mohammed VI avec son extension au delà de l’espace Menara et toute l’infrastructure réalisée sur les berges de cette avenue. Jamaâ Lafna n’a pas moins attiré mon attention par sa restructuration et l’interdiction de la circulation des véhicules en son sein donnant à cette place mythique un visage mérité.
En même temps en tant que Fassi, j’ai eu une pensée particulière pour la ville de Fès en songeant à la dégradation que cette ville historique a subie au fil des ans. Et en me demandant pourquoi en est –il ainsi et pas autrement aussi bien pour cette ville que pour toutes les autres villes impériales du Royaume et surtout celles dont le passé était chargé d’Histoire comme Meknès.
A mon retour à Casablanca, lieu de mon travail et ma résidence depuis 1979, en m’attablant dans un café pour prendre ma tasse de café habituelle et lire mes journaux, j’ai lu dans Aujourdhui Le Maroc l’article sur le jeune français assassiné par un aliéné en plein centre de l’ancienne médina. Je n’en revenais pas. Cette nouvelle m’a réellement bouleversé car au moment où je pensais à la façon d’améliorer le sort de ma ville natale, un crime odieux contre un pauvre touriste venu de loin pour s’enquérir des richesses historiques de Fès et Dieu sait combien on ne peut être que ravi de circuler dans les ruelles de l’ancienne médina de Fès et découvrir ses mosquées, ses médersas et ses marchés pleins de senteurs qui n’existe nul part ailleurs.
Certes des centaines de crime arrivent dans d’autres villes et dans d’autres pays et qui ne font pas la une, mais celui-là a plus d’une seule signification.
Mes souvenirs de cette ville dans laquelle j’ai grandi et qui m’a profondément conditionné quant au goût de découvrir les saveurs, ont soudainement ressurgi, moi qui ai vécu entre les murs des anciennes maisons situées dans des ruelles étroites mais qui abritaient des petits palais faits au goût des habitants de cette ville (Gypse, zellij, fontaines, boiserie..etc). les familles se connaissaient, s’entraidaient, formant une communauté unie, où chacun connaît l’autre plus que de simples voisins mais en réels amis.
Le commerce était prospère dans les souks et les kissarias, les chefs de famille étaient soucieux d’entretenir la cellule familiale puisque dans la même maison, on trouvait les grands parents, les parents et les fils avec leur femme et leur progéniture cohabiter sous le même toit et faire parfois les mêmes activités professionnelles (Si Ghallab avait décrit cette manière de vivre dans l’une de ses œuvres, en l’occurrence : Dafanna al madhi «on a enterré le passé»).
Les enfants de notre génération étaient soucieux de s’ouvrir sur le milieu extérieur, en regardant au delà des remparts vers la nouvelle ville «Dar Dbibagh», et donc d’accéder à une culture différente mais capable de leur apporter d’avantage de connaissance. Les parents étaient soucieux aussi de donner à leurs enfants une culture variée pour leur permettre de consolider les acquis des années de lutte pour l’indépendance et de participer à la construction d’un Maroc nouveau et moderne. Les enfants ont accédé aux écoles, aux lycées réputés (My Rachid, My Driss, My Slimane..etc) ensuite a commencé l’immigration vers la capitale administrative devenue aussi capitale culturelle détrônant ainsi la ville de Fès, capitale culturelle et spirituelle du Maroc, connue par son université Al karaouiynne et sa grande bibliothèque. En même temps, un phénomène est apparu. C’est celui de l’exode rural. Les quartiers de l’ancienne médina de Fès aussitôt vidés par leurs Fassi sont occupés par cette vague d’immigrés venus du milieu rural en quête de meilleures conditions de vie. Chaque maison cédée, a été habitée par autant de familles que de chambres contenues dans cette maison. La population de l’ancienne médina s’est vue multipliée par le nombre de nouvelles familles occupantes, des fois avec un âne attelé au poignet de la porte de la chambre en plein patio.
Pendant que j’habitais la médina de Fès et Dieu sait combien ma famille s’est déplacée entre les quartiers en fonction de l’évolution de l’état financier de mon père qui ne cessait de s’améliorer (ancien adel, il a participé à la repopulation de la ville de Fès en acceptant de rédiger les actes de vente des maisons).Ce phénomène d’immigration s’arrêtait à l’entrée de la ville juste en face des portails (Bab Guissa, Bab Ftouh, Bab jdid) sans jamais dépasser les remparts. Les nouveaux venus s’aggloméraient dans des bidonvilles de l’autre côté des cimetières plantées aux abords de la ville (Gbeb, Bab el Guissa), formant chehrij gnaoua, maktaâ..etc. Ces quartiers là, étaient déjà réputés d’être dangereux. En même temps, certains quartiers marginalisés de l’ancienne médina commençaient à se former. C’est le cas de Achabine, pas loin de la mosquée al karaouyinne. Là-bas, le cinéma du même nom attirait une clientèle propice à la délinquance et la marginalisation, et le mellah vidé de ses habitants juifs et repeuplé par des immigrants, autour d’un autre cinéma appelé Apollo.
Ces cinémas, je me rappelle bien étaient un refuge pour des adolescents et des fois de plus vieilles personnes avides de tout ce qui pouvait les distraire à un moment où aucun moyen de distraction digne de ce nom n’était disponible. Pour jouer un match de foot, il fallait le faire dans les ruelles parfois larges d’à peine 1 m, sous le regard méprisant et réprimandant du mokaddem soucieux de préserver l’éclairage de la ruelle ou plutôt du Derb. Sinon il fallait sortir au delà des remparts avec le risque d’être ennuyé par ces gens venus d’ailleurs et qui habitaient dans les environs du seul terrain de foot disponible pour nous. (Lamsalla, Bab Ftouh, El Mernissi). Dans le quartier Achabine, une bande d’individus particulièrement connus d’être dangereux opérait sans pitié. De vraies guerres éclataient entre les jeunes de différents quartiers de la médina animés par l’envie de dominer. Tous ces individus faisaient partie d’une communauté venue d’ailleurs.
Les habitants originaires de la ville de Fès avaient senti le danger de cette invasion, sur leur avenir et celui de leurs enfants. C’est ce qui explique qu’ils ont immédiatement déserté la ville soit pour aller s’implanter dans la nouvelle ville dite Dar Dbibegh, soit aller plus loin, vers Casablanca ou Tanger où le commerce prospérait.
Je me rappelle d’un Fassi immigré vers Casablanca et qui s’est fait une véritable fortune. C’était un amoureux de Fés mais qui n’avait plus d’attache avec elle à cause des ses affaires. Il me racontait que dans les années 40, il était venu avec son frère chercher une opportunité de travail. Cette opportunité ne s’était pas présentée à Casablanca mais bien ailleurs, en Italie d’où il s’était procuré une machine de production de ceinture en plastique. Cette machine a fait son bonheur dans le domaine des affaires. Ce grand homme est un grand bienfaiteur connu des Casablancais.
Pour m’arrêter là, car tout ce que je citerais, risquerait de réveiller mes souvenirs et surtout ma nostalgie pour cette ville.
Tous les Fassi ont quitté la ville de Fès et quand je me promène dans la vieille médina le berceau de mon enfance, que je peux faire visiter rue après rue, maison après maison sans oublier les environs de Jnane sbile de Boujloud à Kantrat Bentatou aux chateaux Berj Dheb …etc, je ne reconnais personne sauf ceux qui n’ont pas eu la possibilité intellectuelle ou financière de quitter la ville. Ces gens là se comptent sur le bout des doigts, les plus vieux d’entre eux ont atteint les 90 ans et sont toujours là car comme ils disent ils veulent être enterrés près des leurs soit dans un cimetière familial près de sidi Ahmed lamzali ou seulement à Legbeb lieu de repos de tous les Fassi. Mais en faisant ma promenade rituelle dans la ville de Fès, je ne reconnais plus personne, et ceux qui sont là nous disent, la ville de Fès n’est plus habitée par ses fils, mais par une génération venue d’ailleurs, insensible peut-être à la richesse de ce patrimoine et de ce fait ne font rien pour développer la ville. Je dirais à ceux qui sont d’accord avec cette thèse que dans ma classe de l’école primaire, ensuite sur la même table du lycée, j’avais des camarades de Tsoul, de Oulad Jamâa ou de Kbilat Chejii, ou Hayani. Ces familles ne sont venues à Fès que récemment au début du siècle passé. Seulement eux, ils sont venus à une époque où la misère était moins pénible, et où le travail était à portée de main, mais surtout pour étudier à l’université Karaouiyine. Nous en trouvions surtout des personnes qui apprennent le Coran par cœur. Ce sont ces gens là qui nous ont appris le Coran à notre tour dans les Msids ensuite dans les écoles, et ce sont ces gens là qui nous ont enseigné l’éducation islamique (Si Hayani, Si Ali Senhaji, si Imrani…etc), et j’en profite pour leur présenter ici ma gratitude. Ils ont participé à notre éducation et je peux dire même que tout ce que nous savons de notre religion et surtout notre citoyenneté, ce sont eux qui nous l’ont enseigné.
Actuellement, la ville est en train de couler, de sombrer. Mais pourquoi donc ? Ce n’est certainement pas parce qu’elle a été abandonnée par ces vrais habitants mais surtout à cause de l’abandon qu’elle a subi depuis 35 ans. Si non où est le printemps de l’étudiant avec le sultan des étudiants (soltane tolba), qui a été aboli dans les années 60 ? Que deviennent les bâtiments historiques de la ville sans l’intervention de l’UNIESCO ou de certains richissimes personnes originaires de Fès ? Qu’en est –il de la région de Fès avec Sidi Harazem, My Yakoub, Imouzzer, Ain chkef, Ras el ma, le Sebou avec son récent somptueux palais personnel, Le Wislane qui connaissait un afflux spectaculaire pendant le printemps, les Arsates et Ryads tombés en ruine, les médersas actuellement en cours d’une restauration boiteuse…..
Tout cela nous le trouvons qu’à Fès et rien qu’à Fès. La ville de Fès a un potentiel touristique incomparable aussi bien dans l’enceinte des remparts qu’en dehors des remparts. Mais on a laissé se développer les bidonvilles et les constructions clandestines, on a laissé la population sombrer dans la pauvreté, de façon scandaleuse et visible pour tous, aussi bien pour le visiteur national que pour l’étranger. Etait-ce une volonté ou un simple hasard ? Cette question est posée à tous les intéressés (députés locaux, les ministères concernés, les politiques de toutes part,… L’histoire révélera les motifs de ce délabrement et peut-être que les Fassis dirigeants de ce pays nous le révéleront un jour, maintenant que les langues se délient., et que la liberté de la presse est soutenue.

A.N.
amoureux de Fès

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