Société

Je m’appelle Si Mohamed, j’habite Hay Mohammadi

© D.R

Il est 11 heures et on est lundi, je viens de me réveiller et
j’ai encore l’esprit embrumé d’avoir veillé avec les gars du quartier, jusqu’à 1 heure du matin devant le hammam : à ne rien faire sinon écouter les copains raconter leurs  rêves de pateras, leurs dernières démarches infructueuses pour trouver un boulot, ou leurs aventures imaginaires.
L’Oualida m’a préparé le petit déjeuner «BM» («beid matéchas» pour les incultes), j’ai besoin de 10 dhs, elle va rogner sur le budget «repas» pour me les donner…
Il est 13 heures et cela fait maintenant 1 heure que je suis attablé au café (Foum Lahcen» devant mon «nouss-nouss» à moitié froid, j’ai lu en long et en large «El Ahdath» que j’ai loué 1dh au kiosquier du coin. J’ai un pote de Moulay Rachid qui m’a proposé un « bisness » : récupérer très tôt le matin au port, la petite friture invendue pour ensuite la hacher et en faire des beignets que l’on pourrait vendre le midi à la zone industrielle ou encore à la Colline à Sidi Maârouf aux prix de 1dh le beignet. Si l’on en vend une centaine par jour, on peut espérer en tirer chacun 50 dhs. Il faut enlever le prix du transport bien sûr, sans compter qu’il faudra se lever aux aurores, or depuis que j’ai quitté le lycée j’ai perdu l’habitude et puis après tout le jeu en vaut- il la chandelle ?
Je contemple ma vie s’écouler et le pire c’est que je m’installe de plus en plus dans cette oisiveté poisseuse mais quelque part confortable. Pas mal de potes du quartier ont été démarchés par «les frères» moi je suis moyennement tenté car il y a Meryem dans mes rêves «el hob diali» avec qui je ne peux échanger que des clins d’œil furtifs ou des sourires vite réprimés car son frère Mustapha est le meilleur ami de khouya Younes, alors hchouma… mais je sais qu’elle aussi elle a des sentiments pour moi et ça me maintient… Nabil, mon petit frère m’appelle pour le déjeuner, j’y vais plus par habitude que par appétit,aujourd’hui c’est « loubia » et il va me falloir supporter les réflexions du père sur son « chômeur de fils » !…
Que faire de cet après-midi qui s’annonce ? J’ai pourtant le choix me direz-vous : dormir, «tenir les murs», vagabonder ou aller au cyber- je crois que c’est ce que je vais choisir, ce que j’ai en poche va me permettre de m’évader –via Internet- quelques heures. Des cris, des pleurs interrompent le déjeuner, ça vient du bâtiment voisin, ma sœur nous informe que la famille du 4ème vient d’apprendre la mort de leur fils de 19 ans, ce matin au port, en tombant d’un bateau.
C’est de Mohcine qu’il s’agit, et dire qu’hier soir encore nous étions tous ensemble réunis devant l’étal de «moul détails» qu’il nous racontait ses envies de «harrag» – Rahimaho Allah !
Mais c’est la faute à tous ces «zmagrias» aussi, sans parler des paraboles qui nous montrent tous un paradis à la fois si proche et si lointain. Entre ce paradis-là à portée de pateras et le paradis promis par certains barbus à nos jeunes en déshérence morale pour qu’ils se transforment en kamikazes, notre marge d’espoir réaliste et concret est bien mince. Tenez il y a deux jours, j’ai dû accompagner mon petit frère aux urgences, il s’était ouvert le genou en jouant au foot, je n’ai pas tout de suite compris ce que voulait «l’hôtesse d’accueil» qui nous refusait l’accès tout en dessinant des ronds avec son stylo sur une feuille: «tadwer stylo»
Et puis j’ai saisi : tadwera » !
Il est  21 heures, nous sommes à nouveau 5 ou 6 ouled derb réunis devant le hammam et nous écoutons Rachid. Il nous dit qu’il vient de rejoindre une association de jeunes, pour les jeunes, par les jeunes «Action Jeunesse» qui s’est créée dans le quartier.
Devant notre air sceptique : qu’est ce que cela va lui apporter ? un boulot ? de l’argent ? est ce que ça n’est pas manipulé par un politique? Il argumente et nous parle de «prendre en mains son destin», s’assumer», devenir acteur de sa vie» faire changer les choses»…
Quelque chose en lui m’intrigue : il a changé, il semble moins résigné, plus ouvert, mieux dans sa peau. Dans son ton aussi : plus sûr de lui, plus mîr. Je trouve même convaincant , il nous parle de leurs réalisations : le terrain de sport, le wagon transformé en local associatif, les cours d’anglais, la formation en informatique… et puis tous ces autres jeunes qui ont choisi la même voie à Rabat Salé, Meknès, Beni-Mellal, Laâyoune, Tadla, Mohammédia, Fès… et s’ils avaient raison et s’il était temps que moi aussi je me secoue, que moi aussi j’arrête d’attendre» que je sorte de mon carcan pour «mettre la main à la pâte» et que ce Maroc qui malgré tout avance et que j’aime, le Maroc de Mohammed VI, avait besoin de moi. Alors cela voudrait dire que si je veux je peux, que je suis utile, que j’existe ! C’est décidé, demain je rejoins ces jeunes qui se sont engagés ! L’oisiveté a détruit trop de jeunes du quartier, dans leur tête, moi je veux m’en sortir, ras le bol de répondre «n’sellek», j’ai envie de dire «ana haïch».
PS : toute ressemblance avec un ou des personnages existants n’est pas fortuite et si ce récit paraît «trop noir» à certains ou «à l’eau de rose» à d’autres, alors notre jeune Si Mohamed aura réussi : il n’aura pas laissé indifférent.

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