Société

La démission du salarié selon la jurisprudence

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L’article 34-2 du code du travail stipule que le contrat de travail à durée indéterminée peut cesser par la volonté du salarié  au moyen d’une démission portant la signature légalisée par l’autorité compétente.
L’intérêt d’exiger une signature légalisée est double, d’abord, pour identifier le salarié démissionnaire, puis, et surtout, pour donner à l’acte une date certaine, afin d’éviter l’utilisation, par certains employeurs, de la démission exigée au moment de l’embauche.
En fait, ce texte, inspiré du code français du travail qui s’adresse à une population qui ne compte pas l’illettrés, suppose que la démission est écrite à la main du démissionnaire, ce qui n’est, généralement, pas le cas au Maroc, qui compte plus de 50% d’illettrés, notamment dans les milieux ouvriers où l’employeur est, souvent, appelé à préparer et présenter à son salarié  la démission dans la forme d’imprimé, quand le démissionnaire est incapable d’écrire à la main le texte de sa démission.
Mais, pourquoi parle-t-on de salarié illettré ? Parce que sa signature, même légalisée, ne l’engage en rien, puisqu’étant  illettré, il n’est pas supposé connaître l’objet  du texte qu’il a signé.
Certains employeurs pensent que la légalisation de la signature du salarié les met à l’abri de toute contestation devant les tribunaux quant à la validité  de la démission, d’autres pensent qu’elle constitue la preuve qui explique la raison  pour laquelle le salarié est allé faire la démarche  de la légalisation, ce qui suppose qu’il était au courant du contenu et de l’objet de la lettre imprimée.
La jurisprudence en la matière n’est pas du tout de cet avis.
Quelle est donc la définition d’un illettré d’après  la loi ? Quelle est la valeur de son engagement ?  Dans quelles conditions cet engagement peut-il être valable ?
La signature de l’illettré constitue-t-elle une preuve de ce qu’il a bien pris connaissance du contenu  du document et de son objet ?
La jurisprudence nous apporte des réponses à toutes ces questions et à d’autres en relation avec la remise en cause de la démission.
Nous avons retenu parmi les arrêts rendus par la Cour suprême, ceux  qui ont tranché dans les cas les plus fréquents  auxquels les entreprises sont souvent confrontées, ils sont deux, le premier concerne la contestation de démission signée par un illettré, le second concerne la contestation de démission donnée sous la contrainte, la menace ou la pression exercées par l’employeur pour acculer le salarié à présenter sa démission.
La loi considère, à cet égard, que l’inégalité des deux volontés justifie que la démission soit placée sous contrôle judiciaire, elle permet ainsi au salarié de remettre en cause sa démission par voie de justice. Cette disposition est de nature à créer une certaine ambiguïté dans les rapports entre employeurs et salariés, mais il est, possible de l’éviter en suivant la jurisprudence en la matière.
La démission écrite à la main du salarié portant sa signature légalisée par l’autorité compétente ne doit, en principe, soulever aucun problème, elle est valable tant qu’elle exprime réellement et librement la volonté du salarié de quitter définitivement son emploi sans conditions.
Ainsi, n’est pas valable la démission du salarié selon laquelle il démissionnerait de son poste s’il ne reçoit pas une augmentation de salaire ou si sa femme, employée dans la même entreprise, venait à être licenciée. D’autre part, la volonté réelle et librement exprimée par le salarié de quitter définitivement son emploi suppose que la démission  n’est pas faite sous la crainte, la  menace ou la  pression  exercées par l’employeur.
Quant à la démission rédigée dans la forme d’un imprimé présenté par l’employeur, portant la signature légalisée du salarié, elle peut être remise en cause par les tribunaux dès lors qu’il s’agit d’un salarié illettré, car ce qui peut être remis  en cause, non pas la signature ou sa légalisation, mais bien le contenu  de la lettre dont  le salarié pouvait ne pas être au courant du fait de sa méconnaissance de la langue.
La jurisprudence est catégorique à ce sujet. En se basant sur l’article 427 du code civil, elle déclare que toute démission imprimée, signée par un  illettré  est entachée de nullité.
Elle a, tout d’abord, donné une définition relative en considérant comme illettré toute personne ne sachant pas lire et écrire la langue dans laquelle le texte de démission  a été rédigé, c’est-à-dire que le salarié est considéré comme illettré par rapport à une langue déterminée. On est donc loin de la définition  courante selon laquelle un illettré est une personne ne sachant lire ni écrire une langue.
D’après la jurisprudence, est considéré comme illettré, et par conséquent sa démission n’est pas valable, le salarié maîtrisant la langue arabe, mais ne sachant ni lire ni écrire le français, langue utilisée pour rédiger la lettre de démission.  (Arrêt de la Cour suprême n°253, du 04/05/1992 dossier social n°9292/90)
Selon la jurisprudence, la preuve de ce que le salarié est illettré par rapport à la langue utilisée dans la lettre de démission  doit être apportée par l’employeur. (Arrêt de la Cour suprême n° 412 du 21/02/1990, dossier social n°377/85).
Pourquoi la signature d’un illettré n’a-t-elle aucune valeur ?
Un acte n’est valable que dans la mesure où son signataire connaît parfaitement son contenu, c’est-à-dire, connaît suffisamment la langue dans laquelle il a été rédigée.
La jurisprudence se réfère à l’article  427 du code civil, pour déclarer nulle et non avenue toute démission signée par un  illettré, lequel article stipule que :  «Les écritures portant l’obligation de personnes illettrées,  ne valent que si elles ont été reçues par  notaires ou par officiers publics à ceux autorisés.»
Nul doute que la démission constitue une écriture portant l’obligation de personnes illettrées.
Dans un arrêt rendu par la Cour d’appel de Casablanca, en matière sociale, celle-ci avait estimé que le fait, pour le salarié, de faire la démarche auprès de l’autorité compétente  en vue de la législation de sa signature,  constitue une preuve de ce que ce salarié était informé du contenu  de la lettre.
C’est faux, a déclaré la Cour suprême  en cassant cet arrêt et en ajoutant que dès lors qu’il s’agit d’un salarié  ne sachant lire ni écrire la langue dans laquelle la démission  été rédigée et qu’il était donc considéré  comme illettré par rapport à cette langue, la Cour d’appel était tenue d’appliquer strictement  les dispositions de l’article 427 du code civil, selon lesquelles la démission était entachée de nullité. (Arrêt de la Cour suprême du 15/12/1993, dossier social n°9439/90).
La décision de la Cour d’appel de Casablanca selon laquelle, la démission imprimée en français langue méconnue du salarié, était considérée comme régulière, est en violation de l’article 427 du code civil.
Ainsi en a décidé la Cour suprême en ajoutant que la Cour d’appel avait tort de statuer sur la régularité de la démission dès lors que le salarié avait déclaré qu’il était illettré, et que de ce fait, la démission devait, pour être valable, être reçue par un notaire ou un officier public. (Arrêt de la Cour suprême n° 253 du 04/05/1992 dossier social n°9292/90)
En définitive, toute démission émanant d’un illettré,  qui n’est pas reçue par un notaire ou un officier public constitue une  violation de l’article 427 du code civil et est considérée comme nulle et non avenue. (Arrêt de la Cour suprême du 24/03/2004, dossier social n° 731/5/1/2003).
L’employeur qui, pour acculer le salarié à la démission, exerce des pressions de tous genres : mutation dans un poste contraignant ou dégradant, mise en voie de garage… pourrait être déclaré, par le tribunal, comme ayant, abusivement, résilié le contrat de travail et condamné au paiement de dommages-intérêts pour licenciement abusif.
A l’inverse, ne sont pas considérés comme menaces pouvant entraîner la nullité de la démission, les propos du directeur de la société, dont l’activité  a été transférée de Casablanca à Tan-Tan, selon lesquels tout salarié qui ne rejoindrait pas  son nouveau poste de travail serait licencié. D’après la Cour suprême, le salarié n’était pas obligé de démissionner, puisque le transfert lui ouvrait le droit de réclamer réparation du préjudice pour licenciement abusif fondée sur le non-respect  d’une clause substantielle du contrat de travail liée au lieu du travail. (Arrêt de la Cour suprême n° 1630, du 16/12/1997, dossier social n°904/ 4/1/1996).
Aucune contrainte après accord : N’est pas considérée comme donnée sous la crainte la démission du salarié qui, après avoir détourné une somme importante d’argent, a reçu du directeur de la société la promesse de ne pas déposer contre lui une plainte au pénal moyennant sa démission.
(Arrêt de la Cour suprême n° 773, du 27/07/1999, dossier social n°363/ 4/1998).
Il incombe au salarié, qui déclare avoir été obligé de donner sa démission sous la menace, la pression physique et morale, exercées sur lui par son employeur, d’apporter la preuve de l’existence de ces faits matériels.
(Arrêt de la Cour suprême n° 965, du 30/09/2002, dossier social n°264/ 5/1/2003).
Que faire alors ?
L’employeur devrait, pour éviter toute contestation ou remise en cause de la démission devant les tribunaux, exiger que son salarié rédige sa démission, de sa propre main, en utilisant la langue qu’il connaît, s’il n’en connaît aucune, l’employeur peut lui proposer une démission imprimée rédigée d’une manière aussi simple que possible, qui devra porter la signature du salarié visée par l’inspecteur du travail. A défaut, une démission faite par un acte notarié serait nécessaire.

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