Société

Le plaidoyer de Akram Belkaid

© D.R

ALM : Dans votre dernier livre, vous avez consacré un chapitre aux relations entre le Maroc et l’Algérie et l’affaire du Sahara. Comment voyez-vous ces relations, compte tenu des derniers développements dont la rencontre entre les deux chefs d’Etat en marge du Sommet d’Alger ?
Akram Belkaïd : Il était temps que nos dirigeants se rencontrent ! Comme expliqué dans mon livre, je suis un «maghrébiste» convaincu. Je pense ainsi qu’il n’y a aucun avenir pour la région si nos deux pays ne s’unissent pas. Face à la mondialisation et à l’émergence de blocs régionaux, les pays maghrébins ont plus qu’intérêt à s’unir : c’est une question de survie à la fois économique et politique. Quant aux relations entre nos deux pays, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elles ne sont pas à la hauteur des enjeux. Pire, elles font insulte au passé, puisque nous sommes en réalité un même peuple que les invasions et le colonialisme ont divisé. On peut parler d’un immense malentendu algéro-marocain. En fait, nous sommes comparables à deux frères brouillés qui ne cessent d’hésiter à se réconcilier de manière définitive.

Vous dites dans votre livre que l’affaire du Sahara n’est pas uniquement un problème entre le Maroc et le Polisario et que l’Algérie "pèse de tout son poids dans ce dossier". Cela signifie-t-il, selon vous, que la solution du problème est entre les mains du pouvoir algérien ?
Que l’Algérie soit partie prenante de cette affaire me paraît être une évidence. Mais soyons clairs : la solution n’est pas uniquement entre les mains du pouvoir algérien. Le Maroc est tout autant concerné. A mon sens, c’est l’absence d’une vision régionale commune entre les deux pays qui fait obstacle au règlement de cette question.

Vous affirmez que le peuple algérien ne s’est jamais senti concerné par cette affaire. Peut-on parler de l’existence d’une classe politique en Algérie qui s’oppose à la position officielle sur ce sujet ?
Permettez moins d’être précis sur ce point. Dans le chapitre consacré au Maroc, je m’adresse autant aux Algériens qu’aux Marocains. A ces derniers, j’ai voulu expliquer que, contrairement à ce que j’ai pu parfois entendre au Maroc, il n’y a pas chez les Algériens – je parle du peuple – de volonté de nuire aux Marocains. Nous ne sommes pas jaloux de vous et nous n’avons que faire de vous savoir plus ou moins riches que nous. Quand je dis que le peuple algérien ne s’est jamais senti concerné par l’affaire du Sahara, c’est à la notion de cause nationale voire de cause politique que je fais référence. Par contre, le sort des Sahraouis, où qu’ils se trouvent, ne nous indiffère pas. J’espère que l’on saura saisir la nuance.

Existe-t-il, selon vous, des indices d’une possibilité de modération de la position officielle algérienne sur l’affaire du Sahara ?
Le fait est qu’il y a un débat à l’intérieur du pouvoir. Mais je vois mal une remise en cause brutale de la position officielle. Il faudrait alors expliquer à des millions d’Algériens pourquoi on change de position en abandonnant le Polisario et là, les risques d’exploitation politicienne de ce revirement sont grands. N’oubliez pas que mon pays sort d’une décennie de folie qui l’a épuisé. C’est pourquoi, au risque de passer pour un grand naïf, je suis persuadé que seule une union entre l’Algérie et le Maroc permettra de régler ce dossier. Ce serait alors comme je l’explique dans le livre, une «sortie par le haut» pour le plus grand bien de la région. Je lance donc un appel à tous les experts et à tous les politiques : nous parlons tous du Maghreb uni, alors commençons par faire de l’union entre l’Algérie et le Maroc un vrai thème de débat sérieux. Prenons en exemple ce qui se passe en Europe mais aussi dans le Golfe avec le Conseil de coopération. Il est triste de constater que l’Algérie et le Maroc ont négocié séparément un accord avec l’Union européenne.

L’Algérie est un pays riche en ressources pétrolières. Pourtant, cette richesse ne sert pas à l’amélioration de la situation socioéconomique des Algériens. Quelle analyse faites-vous sur cette situation ?
L’Algérie est entrée dans la période post-socialiste mais ses dirigeants ont du mal à penser un vrai programme économique. C’est inquiétant car les remèdes du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale ont plus que des limites : ils sont dangereux pour des pays comme l’Algérie. La réforme économique n’a de sens que si elle est adossée à un programme, à une vision politique. La vraie question est : quelle société veut-on bâtir ? Si on a la réponse, les réformes coulent de source. Il y a aussi une question de compétence. Si on se laisse faire face à ce que veut le FMI, on va droit dans le mur.
Il faut donc être capable de penser ses propres réformes et, par la suite, de tenir tête aux tenants occidentaux de la pensée unique libérale. J’ajoute enfin que le libéralisme économique n’est bénéfique que s’il est déployé dans un environnement démocratique et surtout dans un pays où l’Etat est fort et capable de jouer son rôle de régulateur. Sinon, c’est l’anarchie et le capitalisme façon dix-neuvième siècle.

Qui gouverne vraiment en Algérie ? L’armée ?
La réponse est bien plus complexe. Je dirai, que c’est la même matrice qui gouverne depuis l’indépendance. Le pouvoir algérien est une boîte noire dont il est difficile de connaître l’intérieur, mais dont le bilan est plus que catastrophique.

Quelle lecture faites-vous du débat actuel sur la question de l’amnistie générale ?

Le problème avec ce projet, c’est qu’on a l’impression que les dirigeants algériens veulent vite tourner la page. C’est un peu comme s’ils disaient : «C’est fini, circulez, il n’y a plus rien à voir». Cette célérité heurte les familles de victimes du terrorisme, tout comme celles des disparus.
Elle donne à penser que l’immunité est garantie pour tout le monde et que personne n’est responsable, alors que des millions d’Algériens réclament justice ou au moins des réparations. On ne peut pas confisquer la parole aux victimes, c’est dangereux pour l’avenir.

Que faut-il faire pour que l’Algérie puisse enfin décoller économiquement et occuper la place qu’elle mérite dans la région ?
Un changement des mentalités du personnel politique et, surtout, surtout, une alternance au pouvoir. Une vraie alternance, avec l’arrivée de vrais démocrates aux affaires.
Des gens qui respecteraient le peuple et qui lui tiendraient le langage de la vérité.

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