Société

Le riche et la pauvre

L’aube que Jamal attendait chaque jour n’est plus la même. Ses yeux refusent de se fermer et de le laisser goûter au sommeil. Il sent un feu lui ronger le coeur. «Oh mon Dieu, je ne sais pas pourquoi je souffre ainsi, alors qu’elle, elle dort tranquillement après m’avoir jeté comme un chewing-gum qui n’aurait plus de goût», se dit-il. Son regard trahit son chagrin et aussi sa colère.
Ses yeux cherchent en vain une lueur dans l’obscurité de sa chambre. Des idées sombres lui hantent l’esprit au point qu’il sent qu’une bombe va exploser dans sa tête. Les images commencent à défiler devant ses yeux depuis le premier jour de leur rencontre. Il avait dix-sept ans et elle en avait seize.
Quand leurs yeux se sont croisés pour la première fois dans le champ de son père, cela lui avait fait l’effet d’un orage qui lui a chamboulé la vie. Il ne savait pas que cet orage était la naissance d’un sentiment fort et noble : l’amour. Il n’entendait ce mot que dans les feuilletons à la télé. Car à la campagne, on ne parle pas de ses sentiments. C’est honteux. Il n’a plus dormi après l’avoir vue. Son visage est resté gravé dans sa tête et dans son coeur. Elle l’obsède. Il ne sait s’il s’agit d’un malheur ou d’un bonheur. Un tas de questions lui martèlent la tête. Fatiha est d’un tempérament très gai. Elle n’a jamais pensé séduire le fils du propriétaire du champ où elle travaillait. «Comme tu es chanceuse!», lui dit une fille qui travaille avec elle. Elle se rend, bien sûr, compte de ses regards pleins d’amour, d’affection, de tendresse. « Il a essayé la dernière fois de me parler, mais il n’a pas pu devant les autres », confie-t-elle à son amie. «Tu dois lui donner sa chance…tu dois essayer de créer l’occasion pour qu’il te parle», lui propose-t-elle.
Fatiha n’a pas d’expérience en la matière. Elle se contentait de s’isoler chez elle ou de travailler dans les champs depuis son enfance. La misère de sa famille et le grand nombre de ses frères et soeurs l’ont obligée à se jeter dans les champs pour gagner quelques sous. Elle n’a jamais goûté à la belle vie, ne connaissant que la corvée depuis son enfance. Au point qu’elle ignore la saveur du bonheur, de la joie, de la gaieté. «C’est notre destin», entend-elle sa mère dire à l’un de ses frères qui proteste contre leur « vie de m… ». Pourquoi ne pourrait-elle pas, elle aussi, épouser un jour le fils d’un propriétaire terrien et quitter le labeur pour de l’argent et une armoire pleine de caftans et de djellabas? Ce sont des rêves qui commencent à lui hanter l’esprit depuis le premier jour où elle s’est rendu compte que Jamal commençait à s’intéresser à elle. Elle était prête à lui répondre « oui » sans qu’il lui propose quoi que ce soit. Elle n’attendrait pas à ce qu’il choisisse des termes recherchés pour se jeter dans ses bras. Les regards du jeune homme l’auraient déjà préparée. Lui, souffre toujours. Il ne sait pas comment il doit s’y prendre pour lui exprimer ses sentiments. «La pause du déjeuner est le meilleur moment pour le faire», pense-t-il. «Je veux te parler une seconde», lui dit-il alors qu’elle était sous un arbre en train de déjeuner. Elle rougit, ne sait pas quoi répondre. Elle ne pouvait même pas lever les yeux pour soutenir son regard. Elle était très intimidée. Ses amies les regardent furtivement. «Je t’aime et j’aimerais te voir en dehors du champ. On se rencontre vendredi à Berrechid». Le silence de la fille confirme son accord.
Le vendredi, ils se sont rencontrés à Berrechid. Ils ont pris un grand taxi pour aller à Casablanca, loin des yeux. Elle était très heureuse. C’est la première fois qu’elle voit cette grande ville, qu’elle s’attable dans un café, qu’elle marche près des vitrines du boulevard Mohammed V. Lui aussi, il était très gai. C’est la première fois qu’il rencontre une fille, qu’il lui parle de ses sentiments, de ses rêves, de l’avenir.
Depuis, Fatiha se noie dans un océan de rêves. Les jours passent et leur relation se consolide. Fatiha et Jamal commencent à se rencontrer dans une baraque, loin des champs de son père, pour s’embrasser. Bref, ils commencent à goûter un plaisir qu’ils ignoraient. Les semaines se suivent et les deux amoureux deviennent très attachés l’un à l’autre. Leur relation arrive au point que la jeune fille n’a plus honte de se dénuder devant lui… Ils vivaient en parfaite harmonie. Jusqu’au jour où Jamal a décidé d’annoncer la nouvelle à sa mère : «Je veux épouser Fatiha». «Comment ? tu es devenu fou ou quoi ? Fatiha ? Primo, tu es encore un petit garçon qui ne sait rien de la vie et qui n’a pas d’indépendance financière. Secundo, Fatiha n’est pas le genre de fille que tu dois prendre comme épouse…C’est une fille qui travaille chez nous…», lui dit-elle sur un ton sévère.
Jamal se tait en baissant la tête. Il avise sa bien-aimée. «Mais je vais faire mon possible pour t’épouser», s’efforce-t-il de la rassurer. Mais elle ne croit plus en ses paroles mielleuses. Et elle décide de se retirer de sa vie, de ne plus le voir, ni de le rencontrer. Jamal ne supporte pas sa décision et ne peut concevoir qu’elle puisse un jour être à quelqu’un d’autre que lui. Il décide de la tuer et de se suicider par la suite. Mardi est le jour du souk hebdomadaire à Bouskoura. Il y va et y achète un couteau et un insecticide. Il retourne chez lui, passe la plus mauvaise nuit de sa vie. Le lendemain matin, il se rend au boulevard Abdellah Chefchaouni, au quartier Hassani.
Il l’attend. La voilà qui sort de chez elle. Elle l’ignore, feignant de ne pas l’avoir vu. Il se dirige vers elle, la saisit par son djellaba, lui assène un premier coup, un deuxième…et un énième coup. Les badauds s’attroupent. Il ouvre un petit flacon et avale l’insecticide. Il tombe près d’elle. Ils sont transportés aux urgences. Fatiha rend l’âme. Quant à lui, il est resté en vie et attend son jugement.

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