Société

L’épopée d’une équipe de choc : 48 heures pour sauver une vie !

© D.R

Lundi 20 septembre, un jour qui restera certainement gravé dans la mémoire d’un concierge résidant à Casablanca. Agé de 40 ans, cet homme souffre d’une insuffisance rénale aiguë. Il est 11 h, le malade se prépare dans l’un des blocs du CHU de Casablanca. L’événement est de taille. Il sera greffé grâce à l’appui d’une association caritative qui a pris en charge les frais de l’opération estimée à 250.000 DH. Outre la générosité des bienfaiteurs, cette opération n’aurait pas pu être réalisée sans le principal maillon de cette chaîne de solidarité. Il s’agit de sa sœur, âgée de 35 ans, qui a fait preuve d’un acte de bravoure et de grande générosité en décidant de donner à son frère l’un de ses organes dans l’intention de le sauver. Dans le bloc mitoyen, le prélèvement a duré presque 4 heures. La fatigue se fait sentir sur le visage des chirurgiens, mais leur dévouement dépasse toutes les limites. L’organe est fin prêt. Il est en phase de préservation. Le staff médical entame le mécanisme du froid. L’équipe procède ainsi à l’ischémie du greffon à travers un liquide spécial nommé «l’Eurocollins». Ce liquide permet de laver le rein sans interférer dans le mécanisme de l’organe. Mis dans un bocal, le rein est à transplanter au plus tard dans une heure. Cette équipe médicale est l’une des équipes pionnières sur le plan national en matière de greffe rénale. Une ruche animée, coordonnée et avertie qui œuvre d’arrache-pied pour le bien-être des malades rénaux et milite pour l’avenir de la transplantation rénale au Maroc.

L’exploit
Dans le pavillon 31 du CHU Ibn Rochd de Casablanca, trois équipes bien orchestrées ont marqué l’histoire de la médecine au Maroc. Quatre opérations de greffe rénale ont été réalisées, au mois de septembre, pour la première fois au niveau national à partir de donneurs en état de mort encéphalique. Mais qu’entendons-nous par mort encéphalique ? Celle-ci est caractérisée par une destruction des structures neurologiques nécessaires au maintien des fonctions vitales (respiration, circulation sanguine) en dépit d’une persistance de l’activité cardiaque.
Cet état aboutit à un arrêt cardiaque dans 24 à 72h malgré les manœuvres de réanimation. La réalisation de ces greffes a nécessité dix années de préparation pendant lesquelles les équipes du CHU de Casablanca se sont initiées aux techniques et procédures du prélèvement et greffe d’organe à partir du donneur en mort encéphalique. «Nous sommes finalement parvenus à prélever un rein à partir de donneur en état de mort encéphalique. C’est un exploit. Je suis très heureux de cette expérience pionnière. Nous avons milité depuis une dizaine d’années avec le ministère de la Santé et l’Agence de biomédecine de France pour parvenir à ce résultat. Cette expérience va ouvrir la porte aux dons d’organes à partir des donneurs cadavériques dans notre pays», affirme Pr Al Houcein Barrou, chef du service anesthésie-réanimation. Cet exploit n’aurait pu avoir lieu sans les équipes pluridisciplinaires composées d’une quarantaine de chirurgiens urologues, néphrologues, neurologues, neurochirurgiens, anesthésistes-réanimateurs, biologistes, infirmiers avec une mention toute particulière à Malika Khabtou, l’infirmière qui a fait un travail remarquable auprès des familles des donneurs.

Les bénéficiaires
Les deux premiers bénéficiaires de cette prouesse médicale réalisée les 1er et 2 septembre ont reçu les reins d’un donneur âgé de 40 ans, victime d’un accident. Les deux autres opérations ont été réalisées le 7 septembre grâce au prélèvement des reins d’un jeune homme âgé seulement de 18 ans victime également d’un accident. Les quatre premiers bénéficiaires de la greffe (deux de Safi et Agadir et deux autres de Casablanca) sont tous de sexe masculin. Agés entre 28 et 56 ans, les receveurs suivaient des séances de dialyse depuis 3 à 18 ans. Nous avons rencontré l’un des quatre patients qui, très ému, a du mal à trouver ses mots. «Je souffre de l’insuffisance rénale depuis l’âge de 8 ans. Cela fait plus de 18 ans que je suis des séances d’hémodialyse. Les angines sont la cause principale de cette maladie qui m’a privé de vivre normalement. Après de longues années d’analyse de compatibilité, ma greffe était finalement prévue pour le début du mois de novembre 2010. La donneuse potentielle n’était autre que ma mère. Mais le hasard a voulu que je sois parmi les premiers malades au Maroc à bénéficier d’une greffe rénale à partir d’un mort encéphalique. Un soir de Ramadan, le téléphone sonne et le professeur responsable de mon suivi m’informe que mon rein est disponible. J’ai aussitôt réalisé la grandeur de la chose. Une vie s’arrête, l’autre continue. Fini les longues séances de dialyse. Pour moi, c’est un cadeau du ciel. J’ai été opéré il y a près d’un mois et je ressens déjà la différence. Je suis enfin soulagé, confiant par rapport aux années à venir et surtout en parfaite santé», raconte-t-il. Les bénéficiaires de ces greffes ont été choisis selon des critères précis : la durée de l’hémodialyse, la compatibilité et la différence d’âge.
«Il faut que la différence d’âge ne dépasse pas 10 à 15 ans. Prenons, par exemple, un donneur âgé de 60 ans et un receveur âgé de 15 ans. La différence d’âge est tellement importante et par conséquent la durée de vie du rein n’est pas la même que si l’organe aurait été prélevé chez un jeune», explique Pr Benyounès Ramdani, chef du service de néphrologie et d’hémodialyse au CHU Ibn Rochd.

La procédure
Mais avant d’arriver au stade du prélèvement, il y a toute une procédure à suivre. Les donneurs cadavériques doivent exprimer leur accord de don de leur vivant et l’avoir noté sur le registre détenu à cet effet par les hôpitaux agréés par la loi à prélever et greffer. Toutefois, il est possible de prélever un rein sur une personne décédée s’il y a accord de sa famille dans un délai de 48 heures. Les quatre greffes au CHU Ibn Rochd ont pu être réalisées grâce à l’accord des familles des donneurs. L’article 21 de la loi 16-98 relative au don, au prélèvement et à la transplantation d’organes et de tissus humains précise : «Lorsque le défunt est un mineur ou un majeur faisant l’objet d’une mesure de protection légale, le prélèvement ne peut être effectué qu’après accord de son représentant légal consigné dans le registre spécial par le médecin directeur ou son représentant, et dans la mesure où le défunt n’a pas fait connaître de son vivant son refus à de tels prélèvements». Le prélèvement ne peut être effectué qu’après avoir établi un constat médical de la mort cérébrale du donneur et en l’absence de toute suspicion sur les origines du décès. Le constat est effectué par deux médecins spécialement désignés à cette fin par le ministère de la Santé. à noter que ces médecins ne peuvent pas être affectés à l’équipe médicale chargée du prélèvement ou de la transplantation de l’organe prélevé sur la personne dont ils ont constaté le décès.Le constat de la mort cérébrale est établi à partir des signes cliniques fixés par le ministère de la Santé. «Avant le prélèvement, il faut tout d’abord le constat médical de la mort, l’accord de la famille au cas où le défunt n’a pas mentionné sur le registre l’absence de refus au prélèvement d’organe, l’accord du tribunal de première instance pour le prélèvement et enfin la réanimation pour maintenir les organes en bon état», explique de manière synthétique Pr Fathi Meziane, chef du service d’urologie du CHU Ibn Rochd. Le médecin responsable doit s’assurer de l’accord du receveur. D’éventuelles contre-indications médicales au prélèvement sont recherchées pour éliminer le risque de transmission de maladies infectieuses ou néoplasiques aux receveurs. Enfin, la qualité des organes est analysée à l’aide d’examens biologiques ou radiologiques. De même un bilan immunologique est effectué pour pouvoir apparier au mieux sur le plan immunologique les organes du donneur aux différents receveurs.

Le prélèvement et la transplantation
«C’est l’équipe d’urologie qui effectue le prélèvement. L’équipe de réanimation maintient les organes en vie. Chaque minute est importante. Il faut qu’il y ait un parallèle entre le travail du chirurgien qui doit être très précis et le travail du réanimateur. Une fois le prélèvement effectué, on conserve les organes au froid dans des liquides de conservation. Entre le prélèvement et la transplantation, il faut compter six heures», souligne Pr Meziane. Et d’ajouter : «Le rein ne peut être conservé que 72 heures au-delà, il n’est plus fonctionnel. Plus la greffe est réalisée dans un délai court, plus elle réussit». Durant cette intervention, l’équipe chirurgicale transplante le rein dans la cavité abdominale, la plupart du temps sans procéder à l’ablation du rein malade. Le Pr Abdenbi Joual, chirurgien urologue de l’équipe de transplantation des quatre  greffés explique : «L’objectif de notre équipe est de réduire la durée d’ischémie du rein entre la phase du prélèvement et celle de la transplantation. Dans le cas d’un donneur cadavérique, la durée maximum est de 72 heures mais si le donneur est vivant, il faut absolument minimiser la durée d’ischémie pour que le rein reste sain». L’ischémie étant une insuffisance de la circulation du sang dans un organe. Le manque en oxygène perturbe, voire arrête la fonction de l’organe. Le Pr Joual précise que «lors de la greffe, le rein réagit sur le champ. Une fois le rein transplanté, l’urine se dégage automatiquement. C’est le premier signe de la réussite d’une greffe rénale».

Le suivi postopératoire
Après la greffe, c’est l’équipe du Pr Ramdani qui prend le relais. Celle-ci est chargée du suivi postopératoire. Le patient est pris en charge en unité de soins intensifs. La durée moyenne d’hospitalisation est de 15 jours en l’absence de complications. «Après l’opération, les consultations ont lieu au début de chaque semaine, puis tous les 15 jours, tous les mois, 3 mois, 6 mois et une fois par an», affirme Pr Ramdani. La diurèse et le suivi de la fonction rénale sont les principaux éléments à contrôler. «En cas de baisse d’urée, de fièvre ou de douleurs au niveau du greffon, le patient doit être hospitalisé immédiatement pour savoir s’ il y a un rejet ou une infection», note Pr Ramdani. Il existe deux sortes de complications : le rejet et les infections virales ou bactériennes. On parle de rejet lorsque la greffe n’est pas tolérée par le receveur. «Il faut distinguer le rejet aigu et le rejet chronique. Le rejet aigu a lieu durant les jours ou les semaines qui suivent l’opération alors que le rejet chronique va se faire dans le temps et on ne peut pas le maîtriser. Il peut avoir lieu dans 15 ou 20 ans», indique Pr Meziane. Et d’ajouter : «Il y a aussi les complications liées à la chirurgie : d’ordre  vasculaire et urinaire. Le pourcentage de complication reste raisonnable».

Greffe et dialyse
Le coût d’une greffe rénale varie de 200.000 à 250.000 DH en première année. «En comparaison avec la dialyse, le coût est à 50% moins cher à partir de la deuxième année de greffe. Ensuite, il faut compter 3.000 à 5.000 DH par mois pour le traitement immunosuppresseur (contre le rejet). Ce coût va en diminuant de telle façon qu’à un moment donné chaque malade greffé va permettre une économie de dix patients en dialyse. Ce qui est énorme. En France, une greffe rénale peut permettre une économie de 100.000 euros et ce à partir de la 3ème-4ème année», affirme Pr Ramdani. Pour la dialyse, il faut compter 850 DH par séance à raison de trois séances par semaine soit un montant global de 2.550 DH. L’hémodialyse revient à 10.200 DH par mois et 122.400 DH par année. Tous les professionnels de la santé sont formels : la greffe de rein est le meilleur traitement en cas d’insuffisance rénale chronique sévère. Et ce pour deux raisons précises : l’aspect financier et la qualité de vie. La greffe est non seulement moins chère que la dialyse mais elle permet au patient greffé de reprendre une vie normale (activité professionnelle, sport, les restrictions alimentaires sont moins nombreuses…). Le patient peut à nouveau mener une vie plus ou moins normale. C’est en quelque sorte une seconde naissance. Et ce n’est pas tout. Selon Pr Meziane, une femme ayant subi une greffe rénale peut avoir des enfants alors que la dialyse réduit la fécondité. Au Maroc, les personnes atteintes d’insuffisance rénale chronique se chiffrent à plus de 9.000 dont près de 1.300 pour la seule ville de Casablanca. La demande est énorme.  Actuellement, six unités sont autorisées à pratiquer la greffe rénale : le CHU de Casablanca, le CHU de Rabat, l’hôpital militaire de Rabat, Cheikh Zayed, les CHU de Fès et de Marrakech (depuis juin 2009). La première greffe rénale à Marrakech est prévue pour le mois courant.

L’histoire de la greffe au Maroc
La première greffe rénale au Maroc a eu lieu en 1986 au CHU Ibn Rochd à l’hôpital d’enfants. Cette première transplantation a été réalisée par des chirurgiens étrangers. «Une sœur avait donné son rein à son frère. Cette première greffe avait été une réussite. Le receveur est actuellement un très haut cadre de l’administration publique. Quant à la sœur, âgée actuellement de 42 ans, elle mène une vie normale et a trois enfants», raconte Pr Ramdani. Quant à la deuxième greffe, réalisée entièrement par une équipe médicale marocaine, date de 1991.  «Depuis, nous avons réalisé près de 150 greffes à partir de donneur vivant à Casablanca. Au niveau national, il faut ajouter à ce chiffre 68 greffes réalisées entre l’hôpital Avicenne, l’hôpital militaire de Rabat et Cheikh Zayed», indique Pr Ramdani.

Des objectifs ambitieux
Les équipes du CHU Ibn Rochd de Casablanca ne comptent pas s’arrêter là. «Nous sommes capables de réaliser 50 greffes par an au niveau de Casablanca. Nous espérons que les autres CHU en feront autant pour parvenir à 200 greffes annuellement», affirme Pr Ramdani.  Depuis la médiatisation de ces greffes, le CHU Ibn Rochd a déjà reçu 40 demandes. Grâce à cette expérience pionnière, le Maroc vient d’appliquer la Déclaration d’Istanbul qui élargit la greffe au donneur cadavérique et non seulement au donneur vivant. (voir encadré). Cette étape permettra d’ouvrir d’autres perspectives de greffes d’organes et de tissus (foie, cœur, pancréas, poumons).

La législation relative au don d’organes
Le don d’organe est autorisé par la loi. Selon la loi n° 16-98 relative au don, au prélèvement et à la transplantation d’organes et de tissus humains, le consentement du donneur est obligatoire. L’article 4 stipule : «Le prélèvement d’organes ne peut être pratiqué sans le consentement préalable du donneur. Ce consentement est toujours révocable par le donneur». Le don ne peut être rémunéré ou faire l’objet de transaction. «Le don ou le legs d’un organe humain est gratuit et ne peut, en aucun cas, et sous aucune forme, être rémunéré ou faire l’objet d’une transaction. Seuls sont dus les frais inhérents aux interventions exigées par les opérations de prélèvement et de transplantation ainsi que les frais d’hospitalisation qui y sont afférents», précise l’article 6. Par ailleurs, la loi exige l’anonymat et protège ainsi les donneurs et les receveurs .L’article 7 souligne: «Le donneur et les membres de sa famille ne peuvent connaître l’identité du receveur et il ne peut être divulgué aucune information susceptible de permettre l’identification de ce donneur ou du receveur». Les donneurs autorisés selon la loi marocaine sont les ascendants, les descendants, les frères, les sœurs, les oncles, les tantes du donneur ou leurs enfants. A noter que le conjoint peut être donneur à condition que le mariage ait été contracté depuis au moins une année (article 9). La transplantation ne peut être réalisée que dans les hôpitaux agréés et dont la liste est fixée par le ministère de la Santé.  Actuellement, six unités sont autorisées à faire la greffe : CHU de Casablanca, CHU de Rabat, l’hôpital militaire de Rabat, l’hôpital Cheik Zayed, et les CHU de Fès et de Marrakech (depuis juin 2009). Des dispositions pénales allant de l’emprisonnement de 2 à 5 ans et d’une amende de 50.000 à 500.000 dirhams sont prévues dans les cas suivants : transaction sur un organe humain, rémunération pour un don, prélèvement d’un organe humain ailleurs que dans un hôpital public agréé, violation de l’anonymat du donneur ou du receveur. Sont punies également les personnes qui effectuent un prélèvement d’organe sur une personne mineure ou une personne majeure sans recueillir son consentement ou sur une personne décédée qui n’a pas fait part de sa volonté de don.

 

Une équipe de choc
Au total plus de 40 professionnels de santé se sont mobilisés pour veiller à la réalisation de la greffe rénale à partir d’un donneur en état de mort encéphalique. À noter qu’en plus des chirurgiens urologues:  Fathi Meziane (chef du service d’urologie), Adil Debbagh(Pr agrégé en urologie), Abdenbi Joual (Pr en urologie), Ahmed Dakir (Pr agrégé en urologie) et Redouane Rabii (Pr. agrégé en Urologie), les autres médecins qui ont participé aux greffes sont des résidents en urologie, anesthésistes-réanimateurs ainsi que des infirmiers, à leur tête Malika Khabtou.

  Reportage réalisé par
  Laila Zerrour  et Kawtar Tali
  Photos : Chafik Arich

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