Société

Ma princesse

Khadija ! Une moue d’étonnement figea le visage de mon grand frère. Il se ravisa rapidement s’apercevant qu’ainsi je donnais à ma fille le prénom de notre mère. C’était décidé depuis le début. La mère prénommerait le fils, le père la fille. Mais dans mon subconscient, il survivait depuis plus d’une vingtaine d’années. Enfoui. Le lendemain, Abdallah Stouky m’expliqua que Khadija signifiait une naissance à sept mois. Je me souviens vaguement qu’il ajouta aussi que Khadija avait un rapport avec le chamelon, son sevrage ou quelque chose comme ça. Saïd Jdidi qui n’a que des filles, Noureddine Saïl qui n’a que des garçons me firent comprendre qu’un garçon, une fille, c’était le choix des rois. Les autres se contentèrent d’un mbarouk mass’ôud. Si quelqu’un avait quelque chose à redire, il l’a probablement gardé pour lui.

Khadija. C’est pour elle que j’ai dit à la télévision que si j’avais quelque chose à léguer je ne comprendrai pas que ma fille puisse recevoir moins que mon fils. C’était en mars 2000, lors d’une émission de Malika Malak, face à Saïd Saâdi, à l’époque secrétaire d’Etat en charge de la Femme. Un dossier brûlant que le Souverain fraîchement installé sur son Trône devait régler au profit de l’autre moitié du monde avec tact et détermination. La scène nationale était en ébullition, mettant en prise partisans et opposants au plan d’intégration de la femme dans le développement. Pas plus tard que l’autre semaine, j’ai reçu encore d’une intégriste un mail me traitant de satanique pour avoir tenu ce propos jugé blasphématoire.
Le lendemain de l’émission, je ne me concevais pas à la manifestation de soutien au plan sans ma fille. Avec elle serrant fermement ma main, j’ai croisé Mohamed Reddahi, un ancien détenu politique, aujourd’hui prof d’histoire – géo. Camarade de lycée et au sein du mouvement maoïste à l’époque, nos lectures, à coté du livre rouge, tournaient autour de l’incontournable ouvrage de Mahmoud Houssine, «Sira’â attabakate fi Misr» (la lutte des classes en Egypte), «Almar’atou hya al asl» (la femme est l’origine) de Nawal Sâadaoui et bien sûr «La révolution sexuelle» de William Reich. Et Rosa Luxembourg parce que c’était Rosa Luxembourg. Reddahi posa un regard attendri sur ma fille et dit : «maintenant, on peut se rendre à une manifestation et revenir chez soi prendre une douche et se parfumer.» J’ai souri. C’était réconfortant de pouvoir regarder les années de plomb par-dessus l’épaule.

Khadija. Son prénom ne lui a jamais posé problème. Jusqu’à son entrée au primaire. Sarah, Hind, Lina…étaient ses copines. Tout semblait dans l’ordre. Une fille heureuse et studieuse qui pleurait quand elle n’était que deuxième de sa classe. Un jour, sans préavis, elle me demanda : «baba, pourquoi tu m’as appelée Khadija ?» «Ton prénom ne te plait pas ? C’était celui de ma mère.» Elle ne se laissa pas attendrir et répliqua sèchement : «C’est un prénom pour vieilles.» Je lui expliquai que ces vieilles l’avaient porté enfants, mais elle resta insensible à mon jeu de logique. Je tente le coup de la foi. C’est le prénom de l’épouse du Prophète, la mère des croyants, et la tradition veut qu’on l’inscrive au mur lorsqu’on n’a pas une Khadija à la maison. Ce n’est pas qu’elle est mécréante ma fille, mais elle me répondit que j’aurais mieux fait de l’écrire sur le mur. Désarçonné aussi bien que désappointé, je me réfugiai dans l’humour : «je ne sais pas pourquoi, mais mon père nous a nanti d’un nom qu’il a cherché dans les prénoms moyen-orientaux version méditerranéenne». Si je t’avais prénommé Lina ou Leïla qu’est-ce que ça aurait donné ? Lina Kamal, Leila Kamal ? Au mieux une chanteuse libanaise siliconée ou une danseuse de ventre égyptienne.» Ça ne l’a même pas fait sourire.

Khadija. J’ai voulu me faire plaisir, j’ai collé à ma fille un fardeau. Notre vie continuait toutefois comme si de rien n’était. Je l’ai inscrite pour la gymnastique au sol au FUS, aux cours de danse classique de Mme Delgambi à Rabat, je l’ai rêvée faire du piano, du violoncelle… Un jour elle vint me dire : «baba, j’ai envie de faire du kick boxing !» Sur le coup j’ai été sonné. Puis amusé, j’ai fini philosophe. Après tout, si un jour cela peut lui servir pour se protéger contre l’agressivité machiste.
Ce conflit pronominal avec ma fille a eu au moins l’avantage de me faire beaucoup réfléchir sur cette propension très humaine à reconduire le passé dans l’avenir, à charger nos enfants de nos chagrins d’enfance, à y faire revivre une mère, un père, un frère, à vouloir leur faire faire ce que nous n’avons pas pu réaliser. D’autres plus malins ou plus consensuels, ont trouvé l’astuce. Accoler à leur progéniture deux prénoms leur laissant pour plus tard le choix de s’annoncer à leurs amis comme ils l’entendent. Un jour qu’elle revenait sur le sujet, j’ai craqué : «si tu veux, on intente un procès, on sacrifie un mouton qui n’a rien demandé et on ajoute un prénom de ton choix sur ton état civil. Il faut juste espérer que le juge admette notre raisonnement…Au besoin, je quêterai un coup de pouce.» Je ne croyais pas si bien dire. Il viendra du ciel

Mercredi 28 février, 20 h 29. Un sms de mon épouse : «mabrouk lalla khadija.» Sur le champ, je n’ai pas réalisé. J’allais l’appeler pour de plus amples explications quand la lumière fut dans mon esprit. L’heureux évènement que la Royaume attendait s’est produit. C’est tout naturellement ma fille que j’ai appelée. «Allo, ma princesse.» «Charrie pas, baba», frime-t-elle. Mais je percevais nettement dans son intonation un accent de contentement. Son rire était plutôt joyeux. De mes souvenirs remonte feu Hassan II. Il avait remis au goût du jour le prénom Soukaïna, alors désuet, en baptisant ainsi la fille de la Princesse Lalla Mariem. Le prénom avait fait florès et une grande majorité des filles de vingt et un ans et moins qui le portent aujourd’hui le doivent à cet évènement. Mais déjà ma fille pose un autre regard sur son prénom ré-anobli. J’ai des remerciements à faire ? Comment dit-on dans la formule consacrée ? Prompt rétablissement à la maman. Longue et heureuse vie à la nouvelle née.

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