Société

Médecins en détresse et sans avenir

© D.R

Au cabinet du chirurgien A.B, sis à l’avenue Mers-Sultan, une triste atmosphère règne. La sensation d’un calme assourdissant ou le sentiment d’un malaise qui habite les murs de la salle d’attente. La pièce est vide ce jour-là. Il était 17h 30 mn. On entend juste quelques pas de va-et-vient de la secrétaire, jetant des regards vagues ou pensifs à travers les vitres de la fenêtre. Les clients se font rares. À cause de cette triste situation, ce médecin spécialiste jeune promoteur a du mal à joindre les deux bouts. Marié et trois enfants à charge, ce chirurgien, diplômé de la Faculté de médecine de Montpellier, est rentré au pays en 1991 après cinq ans de cursus brillant. "Après avoir décroché mon doctorat en médecine à Casablanca, je suis parti en 1985 à l’Hexagone pour poursuivre mes études. À l’issue de cinq ans de cursus, j’ai obtenu un diplôme de spécialité «chirurgie générale». Ensuite, j’ai décidé de rentrer au Royaume et d’ouvrir un cabinet. J’étais tenté par le crédit jeune promoteur, un mécanisme conçu en principe pour promouvoir l’auto-emploi et encourager la création d’entreprises et contribuer ainsi à la résorption progressive du chômage.", indique-t-il. Enthousiaste, le jeune médecin s’est lancé alors dans l’aventure. Il a obtenu un crédit d’un million de dirhams. "L’Etat a pris en charge 65 % du crédit. La part de la banque est de 25 % alors que les 10 % restant du crédit sont assurés par le médecin. Pendant une année, j’ai pu honorer mes engagements vis-à-vis de l’Etat et de la banque. Je payais chaque mois un montant total de 14.000 dirhams. Après, à cause des difficultés financières, je n’ai pas pu. Les recettes mensuelles sont devenues maigres. Elles ne dépassent guère les 10.000 dirhams. Les raisons sont diverses. Les impôts, dont la patente et l’IGR, sont lourds. Non seulement on doit payer la patente pour le local mais également pour le matériel. Sans oublier la concurrence illégale de certains organismes privés, qui n’ont pas une autorisation d’ouverture, délivrée par le secrétariat général du gouvernement, et qui continuent à exercer la médecine. Le pouvoir d’achat du citoyen marocain est faible. En outre, 15 % de la population bénéficient d’une couverture médicale. Quand j’étais étudiant en France, je vivais mieux que maintenant.", se plaint-il, l’air désolé.
Dans un quartier populaire de Aïn Chock à Casablanca, un médecin généraliste, bénéficiant du crédit jeune promoteur, a ouvert en 1991 son cabinet. "J’ai investi dans le privé parce que je n’avais pas le choix. À cette époque, les médecins ne sont pas recrutés dans le secteur public à cause de la restriction des postes budgétaires dans divers secteurs notamment la santé. Deux options étaient possibles : ouvrir un cabinet ou immigrer à l’étranger. J’ai opté alors pour le premier choix. J’ai obtenu alors un crédit de 150 000 dirhams. Sur quatre mois, je payais à la banque 2500 dirhams et à l’Etat 72 000 dirhams.", affirme-t-il. Et d’ajouter :" J’ai heureusement pu honorer mes engagements vis-à-vis la banque. Toutefois, depuis plus de quatre ans, je suis dans l’incapacité de rembourser mes dettes à l’Etat. Et bien évidemment le compteur des arriérés tourne. En 2001, je devais payer à l’Etat 52.000 dirhams. Après quatre ans, le montant est de 80.000 dh.". Ce père de famille dit vivre un véritable drame quotidien. Il risque à tout moment la prison. Des cas illustrant les déboires de la politique du crédit jeune promoteur sont nombreux.
Toujours dans la grande métropole du Royaume, à quelques kilomètres du centre-ville, se trouve une ophtalmologiste. Cette diplômée de la Faculté de médecine de Paris, dynamique et active, est rentrée au bercail avec son mari en 1995, pleine d’enthousiasme et d’entrain. Les problèmes d’endettement ont non seulement eu un impact sur son parcours professionnel, mais également était à l’origine de son divorce. "Ce crédit a bousillé ma vie professionnelle et personnelle. Je n’ai rien acquis. J’ai tout perdu. Actuellement, je vis dans la maison des parents. Je n’arrive pas à rembourser mes dettes qui s’accumulent d’une année à l’autre.", se plaint-elle, on ne peut plus en colère.
Ces médecins ne sont pas les seuls à souffrir de cette situation critique. Ils sont plus de 1000 médecins jeunes promoteurs, dont le dossier est au contentieux, sont menacés de la contrainte par corps.
Pour trouver une issue salvatrice à ce problème épineux, voire drame humain, le Syndicat national des médecins du secteur libéral a présenté au ministère de tutelle et au ministre des Finances des propositions dont le rééchelonnement des dettes ou la transformation des dettes en services rendus au secteur public. Le problème perdure sans aucune action concrète.

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