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Mohamed Hachem Tyal : «Pour éviter une dépression, il faut renforcer son système de défense»

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ALM : Pourquoi l’on a de plus en plus tendance à qualifier la dépression du «mal du siècle» ?
Mohamed Hachem Tyal : C’est tout simplement parce que cette maladie est de plus en plus diagnostiquée et aussi parce que l’on vit dans un monde dans lequel les agents révélateurs de nos failles sont de plus en plus nombreux. Cela veut dire que la majorité des cas de dépressions sont ceux qu’on qualifie de névrotiques, c’est-à-dire des dépressions réactionnelles qui sont liées à des failles dans notre système de fonctionnement. En fait, il y a des fragilités qui sont propres à l’être humain, et ces fragilités vont, quand on est confronté à des situations à risque, des situations stressantes et d’agressions psychologiques intenses et surtout répétées, déterminer une réponse de notre psyché sous forme de dépression. Cette dépression exprime en réalité une faillite dans notre système défensif. Les dépressions sont plus ou moins graves, durent plus ou moins longtemps et disparaissent seules ou avec l’aide de soi approprié.

Quelle est la différence entre déprime et dépression ?
La déprime est une réaction physiologique de l’organisme. On passe tous, durant notre vie, par l’expression d’une sollicitation de nos émotions particulières qui sont à l’origine d’un sentiment de déprime assorti d’une tristesse et d’un mal vie . La déprime est en général passagère. Elle dure une ou deux semaines. C’est le temps nécessaire à la réorganisation du système défensif de l’individu. Par exemple, pour un deuil, une personne plonge dans la tristesse et arrive un moment où elle reprend le dessus. Dans le cadre de la déprime, la majorité des individus arrivent à reprendre le dessus. Mais certaines n’arrivent pas à le faire d’où la faillite du système défensif.

Comment expliquez-vous les mécanismes physiologiques de la dépression?
Toutes les dépressions existent en même temps qu’une modification des médiateurs chimiques cérébraux, c’est-à-dire ces petites substances qui sont dans le cerveau et qui déterminent son système d’information. Généralement, ce sont les anti-dépresseurs qui régularisent ces substances. Contrairement à ce que l’on pense, ce n’est pas parce qu’il y a chez quelqu’un une baisse des médiateurs chimiques qu’il y a automatiquement dépression. C’est l’état psychologique de la dépression qui détermine la modification de ces substances.

Quelle est la différence entre dépression névrotique et celle dite psychotique ?
C’est la question de l’origine de la dépression. Les dépressions névrotiques ont du sens, quand on examine la situation du patient en tenant compte de ses failles à lui et la lourdeur de ce qu’il a à digérer dans son quotidien. La dépression psychotique, pour sa part, est un autre type de dépression qui est généralement grave. C’est une dépression qui n’a pas de sens, c’est-à-dire une dépression endogène qui vient de l’intérieur par opposition aux dépressions exogènes qui ont une relation avec ce qui se passe autour de nous. Les pathologies qui rentrent dans ce cadre-là sont les dépressions mélancoliques. La mélancolie est caractérisée le plus souvent par des idées de culpabilité et des idées d’incapacité à guérir un jour qui sont très difficiles à vivre et qui génèrent le plus souvent des tentatives de suicide réussies. Pour les mélancoliques, le suicide est la seule voie pour qu’ils payent pour leurs fautes illusoires, soit ce suicide est dicté par l’idée que leur souffrance est trop importante d’où l’impossibilité de guérir un jour. Dans les dépressions psychotiques, il y a aussi les dépressions dites délirantes.

Que faire pour éviter une dépression?
Pour éviter une dépression, il faut commencer par renforcer son système de défense. C’est-à-dire aménager notre vie de telle sorte à ce que l’on subisse le moins possible les agents stressants. Car le stress nous agresse et nous fragilise. Et aussi penser à faire sur soi un travail de renforcement et de développement personnel. L’être humain n’est jamais statique, il se développe en permanence. Ainsi même si on a un bon niveau de fonctionnement, il faut chercher à l’améliorer.

Quels sont les traitements disponibles?
Ce qu’il y a de plus efficace en matière de traitement contre une dépression c’est l’association des anti-dépresseurs à l’accompagnement psychothérapique par un spécialiste. Quand on donne uniquement des anti-dépresseurs, leur efficacité est énormément amoindrie. Les anti-dépresseurs ne sont pas des bonbons ou des antibiotiques, ce sont des médicaments qui doivent s’inscrire dans une logique globale de prise en charge.

Quel rôle peut jouer la famille du patient ?
Dans ce cadre, les maladies psychologiques posent un problème réel. Quand l’on n’a pas vécu des problèmes psychologiques, d’abord on ne les comprend pas et ensuite on les rejettent. C’est comme si l’être humain ne pouvait pas avoir de problèmes psychologiques alors que c’est le psyché qui fait fonctionner tout. Autant l’on accepte une maladie organique, autant la maladie psychologique est rejetée complètement. Ainsi, la famille du patient, ses proches et ses collaborateurs du travail ne doivent absolument pas lui dire qu’il n’a rien, et que s’il croit en Dieu, il n’aurait pas eu cette maladie. Car cette personne est déjà malade et le fait de lui répéter à maintes reprises qu’il ne croit pas suffisamment en Dieu va aggraver sa situation. Tout ce qu’il faut faire à l’égard du patient, c’est le soutenir par de bonnes paroles et jamais par de bons conseils. Il faut être à son écoute. Tout ce qu’il faut faire à l’égard du patient, c’est lui démontrer qu’on a compris sa souffrance et qu’on est prêt à l’écouter et l’aider s’il a besoin de nous.

Quel rôle peut jouer la spiritualité dans ce cadre ?
Certes la spiritualité aide. Dans la vraie spiritualité, on transcende et on s’élève. Ainsi, la spiritualité donne un soutien important, mais elle nous ne protège pas. Parce que nos failles sont déjà en nous. En fait, la spiritualité aide surtout quand on est bien. Alors que quand on n’est pas bien, la spiritualité n’a plus aucune place, car  elle-même est un effort. Par exemple, durant le mois de Ramadan, on s’abstient durant la journée des plaisirs basiques, à savoir manger et faire l’amour, pour pouvoir rencontrer la spiritualité. Ainsi, c’est un effort qu’on fournit. Et on ne peut pas fournir cet effort si on est mal psychologiquement.

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