Société

Moustapha, cireur de chaussure…depuis 1943

Au coeur de Rabat, la capitale marocaine, il est là tous les jours depuis 62 ans, à slalomer douze heures par jours entre tables et parasols sur la terrasse ombragée d’un hôtel suranné, le long de l’élégante avenue Mohammed V.
1943: les troupes nazis sont battues à Stalingrad, Mussolini arrêté, le ghetto de Varsovie se soulève, Churchill, Staline et Roosevelt se partagent le monde à Téhéran. A Rabat, Moustapha a 8 ans et cire ses premières godasses des colons français.
Le Maroc est alors sous protectorat, les premiers frémissements de l’indépendance se font sentir avec la création du parti de l’Istiqlal et le gamin manie déjà le chiffon et la brosse à dents aux poils collés par le cirage.
Trois règnes – ceux des souverains marocains Mohammed V, Hassan II et Mohammed VI – plus tard, le "gamin" a 71 ans et huit enfants. "Cinq garçons, trois filles. Y’en a que trois qui travaillent". La femme? "A la maison".
Comme un chat à l’affût, il repère vite sa proie: la chaussure sale, terne, si possible "étrangère": ça paye mieux.
Parfois assis à l’ombre sur son minuscule tabouret de poupée, il attend, le menton dans la main, dans sa blouse bleue. A ses pieds sa petite boîte de cireur qui s’ouvre sur les côtés, tel un capot de voiture des années 20. Toute sa vie tient dedans.
Sous un petit bonnet d’où émergent ses cheveux blancs, le visage est dépigmenté autour d’une fine barbe, blanche elle-aussi. Les dents sont rares et de guingois. Et pourtant, il arrive à sourir.
Combien de chaussures a-t-il pu cirer en 62 ans? Derrière ses épaisses lunettes, le regard incrédule s’agrandit devant une telle question.
"Je gagne 1.000, des fois 1.500" dirhams par mois (entre 100 et 150 euros).
"Il gagne bien. Ca va", sourit un garçon de café un peu moins âgé, le plateau chargé de verres de café fumant.
"M’arrêter? Pas possible. Il faut nourrir la famille, payer le loyer, acheter les médicaments", continue Moustapha en sortant d’une poche deux vaporisateurs contre l’asthme.
Et Mohammed VI, surnommé le "roi des pauvres"? "Oooh je l’aime beaucoup. Je le regarde tout le temps à la télévision. Il est gentil. Mais il ne peut pas donner à tout le monde. Y’a beaucoup trop de pauvres!", sourit-il avec un léger claquement de brosse sur sa boîte en bois: le signal pour changer de chaussure sur le repose-pied.
Moustapha traverse l’Histoire sans histoire, accroupi, les poches remplies de boîtes de cirages, avec en tête des regrets teintés de fatalisme. "Avec les Français, c’était bien, bien… Avec Hassan II aussi. Maintenant y’a moins de travail".

Par Jacques Lhuillery

AFP

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