Société

Noureddine Ayouch réajuste le tir

© D.R

ALM : Vous avez défrayé la chronique par votre dernière sortie dans le quotidien «Attajdid». Quel est le secret de la sympathie que vous semblez cultiver à l’égard du PJD ?
Noureddine Ayouch : Tout d’abord, je tiens à préciser que je n’ai pas de sympathie particulière pour le PJD. En les recevant, il y a moins d’un an avec mes amis du collectif Démocratie et Modernité, dans le cadre des réunions que nous avons organisées avec les différents partis politiques marocains, j’avais pris la parole pour leur exprimer nos divergences tout en soulignant l’importance d’un dialogue constructif. Maintenant cela ne m’empêche pas de reconnaître au PJD un certain nombre de qualités, tant au niveau de son organisation et de sa démocratie interne que de ses  réalisations concrètes sur le terrain. Les nombreuses actions qu’il vient d’organiser, comme récemment l’université d’été pour les jeunes, celles qu’il est en train de lancer en faveur du Sahara marocain, et la réelle mobilisation de ses élus dans les communes sont autant d’exemples de dynamisme qui caractérisent cette formation. Cela dit, le PJD est traversé par des courants contradictoires tels que le courant modéré du secrétaire général Saâdeddine Othmani et celui, ultra-conservateur, de Mustapha Ramid. De plus, son association phare, le MUR, qui édite le journal Attajdid, véhicule des idées fondamentalistes, et publie quelquefois des articles et des tribunes que je réprouve personnellement. Je pense notamment à leur dernière réaction, véhémente, contre les festivals. Un tel discours est totalement dépassé et je n’ai jamais hésité à m’élever contre ses auteurs. Dans le cadre  de notre collectif, nous avons lancé plusieurs pétitions pour dénoncer le racisme contre les Juifs marocains, les appels au meurtre, les fatwas rétrogrades et bien d’autres inepties dangereuses publiées dans ce journal, telle la tragédie humaine du Tsunami qui a été présentée comme l’expression de la colère de Dieu contre les impies.
 
Allez-vous voter pour le PJD en 2007 ?
Mon vote va depuis plus de 20 ans à un parti dont je tairais le nom, vu mes engagements dans le cadre de la Fondation Zakoura. Je m’interdis d’utiliser l’action sociale que je mène dans cette Fondation à des fins politiques.

Dans  quel cadre peut-on donc inscrire votre sortie médiatique? 
J’ai tout simplement répondu à une demande d’interview d’un de vos confrères. Et si aujourd’hui je m’exprime à nouveau sur le sujet dans votre journal, c’est pour lever toute équivoque auprès de l’opinion publique, et non pour répondre à certains de mes amis du Collectif, qui sont censés connaître parfaitement mes idées à ce sujet.
Mon action s’inscrit modestement, et depuis longtemps, dans le cadre du rassemblement de toutes les forces politiques et de toutes les compétences de la société civile pour construire ensemble notre pays sur des bases saines et solides. Une position que j’ai défendue au lendemain des attentats de Casablanca. Dans une intervention datant du 14 juin 2003, j’avais déjà exprimé publiquement, devant plusieurs centaines de personnes, l’idée que nous ne voulons pas d’un Maroc déchiré, où la moitié des Marocains se dresse contre l’autre. Et j’ai appelé les associations et les partis dits « islamistes » à adopter une position claire et définitive au sujet de la démocratie, de la tolérance, de la non immixtion dans les convictions religieuses des citoyens, le combat contre le racisme et l’antisémitisme et la séparation nette et définitive entre le religieux et le politique.  Pour autant, je me suis toujours opposé à tout dévoiement  de la démocratie. Que le PJD en soit l’auteur ou la victime, comme le fait qu’on ait exercé des pressions sur le PJD, lors des dernières élections de 2002, pour qu’il ne présente pas des candidats partout.

Qui  « on »?
Ce n’est un secret pour personne. C’est le ministre de l’Intérieur qui a demandé au PJD de ne pas couvrir l’ensemble des circonscriptions électorales. La démocratie doit s’appliquer à tout le monde et de la même manière. Sans discrimination. Et si les résultats des urnes en 2007 venaient à placer le PJD en tête, je ne vois pas pourquoi ce parti ne dirigerait pas le gouvernement. Sa participation serait soumise à des conditions préalables comme le respect des règles démocratiques, la tolérance, l’application des conventions internationales des droits humains signées par le Maroc, le strict respect du nouveau code de la famille, la non-immixtion dans les convictions religieuses des citoyens.

Vous semblez faire trop confiance au PJD. Certains trouvent que cette formation est trop rétrograde pour prendre le pouvoir?
Certaines lois  et certaines actions de l’Etat sont tout aussi rétrogrades. Quand vous êtes embarqué par la police parce que vous vous promenez avec votre amie en toute innocence, ou avec votre femme et que vous ne portez pas sur vous votre acte de mariage, n’est-ce pas rétrograde ? Certains partis politiques ayant manifesté à Casablanca avec le PJD contre le plan d’intégration de la femme ne sont-ils pas rétrogrades aussi ? Maintenant, le changement radical que doit opérer le PJD serait d’abandonner définitivement l’usage de la religion comme parapluie. Un tel usage sera de toutes les manières interdit par la nouvelle loi sur les partis. Et je suis persuadé que le PJD évoluera dans ce sens. Mieux encore il peut s’inspirer de l’expérience turque souvent donnée en modèle.

Le PJD ne dispose justement pas d’expérience dans les affaires pour préjuger déjà de sa compétence…
Ce n’est pas une raison pour le laisser à la marge. Nous avons besoin de toutes les forces vives à même de participer à la construction du pays. Et pourquoi pas le PJD ? Ce parti a des compétences à apporter et des programmes à mener. De toute façon il sera jugé sur pièces, alors pourquoi le condamner d’avance.

Le parti de Saâdeddine Othmani prend son importance du vide laissé par les autres formations politiques. Quel est votre avis ?
Peu de partis investissent le terrain, en lançant des actions de proximité en faveur des démunis, ou des idées mobilisatrices pour la jeunesse. Quel parti a présenté aujourd’hui un programme politique, économique, social et culturel avec une vision à long terme?
Il est vrai que nous avons une carte politique balkanisée et hétéroclite. D’ailleurs, je trouve qu’il n’est pas normal qu’à elle seule, la gauche compte près de dix partis. Idem pour les conservateurs et les libéraux ou les centristes. Ce qui favorise plus la surenchère et les querelles stériles que l’action en faveur des citoyens. La logique voudrait qu’il n’y ait que trois principaux pôles, la gauche, le centre et les conservateurs.

A votre avis, comment le PJD arrive-t-il à sortir du lot ?
Non seulement le PJD agit efficacement sur le terrain, mais en plus il sait mettre en valeur son action, en menant des actions de communication bien structurées. Et pourtant, il existe au Maroc des partis politiques historiques, ayant une forte assise populaire. Comme l’USFP, l’Istiqlal, le PPS et la Mouvance Populaire qui gagneraient à être plus entreprenants, plus présents sur le terrain et plus proches des problèmes des Marocains. La scène politique marocaine a besoin de trois ou quatre partis forts pour préserver son pluralisme et gagner en efficacité. Tout démocrate devrait contribuer à la recomposition du champ politique pour clarifier l’idéologie de chaque parti et sa vision politique et sociale.

En attendant, on ne voit que le PJD…
Aux autres partis de contrecarrer la montée du PJD. Jamais je ne me plierais à un dévoiement de la démocratie. En Algérie, qu’est-ce qui a été derrière les 12 années de guerre civile sanglante sinon le coup d’arrêt imposé au processus démocratique qui était favorable au FIS ? Ne pas respecter le jeu démocratique reviendrait à répéter le même scénario. N’ayons pas peur, notre pays a une culture politique et une monarchie bien enracinée. Et puis, il y a des garde-fous. Un parti ne saurait imposer sa loi, ni faire valoir son idéologie, si celle-ci va à l’encontre de la volonté des Marocains.
Le PJD au gouvernement sera forcé de s’adapter. Sa marge de manoeuvre sera limitée par les lois et les institutions qui régentent notre pays. Et même si des dépassements étaient enregistrés, les pouvoirs dont dispose le Roi peuvent changer la donne. Sans oublier toutes les forces vives du pays qui, le cas échéant, se mobiliseraient pour contrer une quelconque atteinte aux libertés publiques ou aux acquis démocratiques. Et je serais le premier d’entre eux.

Certains membres du collectif Modernité et Démocratie voient dans votre sortie à «Attajdid» une manière de vous positionner dans la perspective de 2007. Que répondez-vous à cela ?
Je ne suis nullement intéressé par la politique au sens où l’entendent certains, ni guidé par des intérêts financiers. Ça me fait sourire. Soyez sûr et certain, je ne me positionne que par rapport aux intérêts de mon pays. Je n’entreprendrais rien qui irait à l’encontre de mes principes que je n’ai cessé de défendre depuis mai 1968, puis dans la revue «Kalima», et aujourd’hui au sein de la Fondation Zakoura et du collectif Démocratie et Modernité.

Accepteriez-vous, si le PJD vous demande de faire partie de ses rangs ?
Hors de question ! Mon indépendance est la seule chose que je revendique et je ne suis pas prêt à la monnayer. Pour rien au monde. Je suis très heureux en tant qu’acteur de la société civile d’apporter ma contribution au développement de mon pays, bien que j’aie été sollicité par certains partis, et par le gouvernement, à plusieurs reprises. Je trouve plus de passion à travailler dans le cadre de la Fondation Zakoura. A l’actif de celle-ci, plus de 80.000 personnes alphabétisées, des milliers d’enfants scolarisés et des opérations de microcrédit qui bénéficient à plusieurs centaines de milliers de personnes à travers tout le Maroc.
Je ne «courtiserai» jamais le PJD, ou toute autre formation politique. Je ne courtise que mon pays.

Justement, la société civile prend de plus en plus de place au détriment de l’action politique. Trouvez-vous cela normal ?
La Société civile ne remplacera jamais les partis politiques ou le gouvernement. Chacun dans son domaine doit participer à l’amélioration de la vie des Marocains. La société civile est une composante qui bouillonne d’idées et de projets. C’est une chance pour le Maroc. Mais elle ne peut nullement faire le travail des autres. Son action ne concerne en tout et pour tout que 10% des personnes démunies et analphabètes. Et les 90% restants ? Avons-nous le droit de les laisser pour compte ? L’Initiative Nationale pour le Développement Humain est aujourd’hui une chance à saisir par le gouvernement, les partis politiques, les syndicats et la société civile. Ensemble nous devons conjuguer nos efforts pour son plein succès.

Votre conception de la laïcité, est-elle conforme à ce qui est rapporté dans l’entretien accordé à Attajdid ?
Je n’ai jamais dit que laïcité était synonyme d’athéisme. Je regrette que le journaliste d’Attajdid ait mal interprété ma pensée. Je n’avais pas lu l’article après l’interview et j’en assume la pleine responsabilité. Pour moi la laïcité, c’est la liberté de conscience, de pensée, d’action. Un croyant tout comme un athée peuvent choisir la laïcité comme mode de vie et de pensée. La laïcité pour moi c’est le respect de l’autre, la liberté d’expression de chacun, la liberté de choix religieux. Il n’y a pas de laïcité sans liberté : liberté de conscience, liberté de pensée, mais aussi liberté d’expression. Un problème social doit être traité par des mesures sociales, et ce n’est pas parce que quelqu’un souffre d’injustice sociale qu’il faut l’instrumentaliser par la religion et l’abandonner à la compensation illusoire de l’intégrisme. La laïcité est une valeur essentielle, avec une liberté de conscience et l’égalité de tous les hommes qu’ils soient croyants, athées ou agnostiques.
La laïcité n’est pas contre la religion. C’est le plus grand contresens qu’on puisse faire sur la laïcité que d’y voir une quelconque hostilité à la religion. C’est un idéal d’affirmation de la liberté de conscience, de l’égalité des croyants et des athées, au niveau politique, économique et social.
Je terminerai par une citation de Jésus-Christ répondant aux Pharisiens qui cherchaient à le mettre dans l’embarras à propos du pouvoir de César : «RENDEZ A CESAR CE QUI EST A CESAR ET A DIEU CE QUI EST A DIEU». A croire que Jésus était déjà un laïc.

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