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Nouzha Skalli : «Les sanctions prévues ne permettent pas de lutter efficacement contre la mendicité»

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ALM : Où en est le projet de loi visant à combattre la mendicité?
Nouzha Skalli : Au Maroc, le code pénal interdit déjà la mendicité à travers ses articles 326 à 333. Cependant, d’après les constats tirés des différentes évaluations de la Stratégie nationale de lutte contre la mendicité (SNLCM), les sanctions prévues ne permettent pas de lutter efficacement contre ce phénomène. Les intervenants locaux et notamment les représentants du ministère de la justice recommandent la révision des dispositions légales pour prendre en considération l’ampleur et les nouvelles formes de ce fléau comme les sommes d’argent importantes gagnées par les mendiants, la mendicité de personnes non nécessairement nécessiteuses ou de personnes aptes physiquement simulant l’handicap, enfin des personnes pratiquant la mendicité en exploitant des enfants, personnes âgées et personnes en situation de handicap. Nous n’avons pas à proprement parler un projet de loi mais une étude pour préparer cette opération. Cette étude a été effectuée pour le compte du ministère par l’Université Al Akhawayn.

Vous avez indiqué que ce projet sera élaboré à partir des conclusions d’une étude réalisée par l’Université Al Akhawayn. En quoi consiste cette étude ?
Un premier travail a été effectué pour le compte du ministère par un groupe d’experts et de professeurs enseignant à l’Université Al Akhawayn d’Ifrane. Il s’agit d’une étude qui a permis de confirmer les insuffisances de l’arsenal juridique actuellement en vigueur, dont notamment les difficultés relatives aux éléments constitutifs du délit de mendicité comme l’existence des moyens de subsistance et le fait de s’adonner habituellement à cette pratique. Le devenir des sommes d’argent obtenues par la pratique de la mendicité ne fait également l’objet d’aucune disposition particulière. Cette étude a eu aussi pour finalité de présenter un benchmarking d’expériences internationales, et quelques pistes et options pour le futur projet de loi.

Quelles en sont les principales conclusions ?
Ayant effectué une analyse comparative de la législation en vigueur dans un certain nombre de pays, l’étude réalisée par les experts de l’Université Al Akhawayn conclut que seule une politique largement sociale peut être efficace contre les formes les plus néfastes de la mendicité en estimant que les lois simplement punitives ne réussissent qu’à masquer le phénomène de mendicité pour un laps de temps.
L’étude a ainsi dégagé trois recommandations pour mettre en place une politique sociale pour lutter contre la mendicité. Cette loi devra viser à sanctionner les formes les plus nuisibles de la mendicité en évitant de sanctionner l’acte de mendicité sans distinction.
L’étude recommande l’extension du réseau des centres de services sociaux à tout le territoire national. La dernière recommandation concerne la sensibilisation des citoyens pour l’émergence d’un consensus sur le rôle de la charité individuelle dans la société sociale qui devra contribuer à résoudre les problèmes liés à la mendicité.

Où en est la Stratégie nationale de lutte contre la mendicité qui a démarré en 2007?
Le ministère du développement social, de la famille et de la solidarité a élaboré la Stratégie nationale de lutte contre la mendicité conjointement avec le ministère de l’intérieur et le ministère de la justice. Celle-ci est placée également dans le cadre du programme de lutte contre la précarité de l’INDH. La mise en œuvre de la SNLCM dans l’ensemble des grandes villes du Royaume passe par la mise en place d’un partenariat entre le ministère, les autorités locales (wilaya, préfecture ou province) à travers la mise en place d’un centre d’accueil provisoire des mendiants ou la réhabilitation de centres existants avec tout ce que cela suppose comme infrastructures, ressources humaines et budget de fonctionnement, pour assurer l’accueil, la réinsertion familiale, institutionnelle ou économique des mendiants. La gestion du centre est assurée grâce au partenariat avec une association locale. Par ailleurs, des unités d’intervention ou Unité mobile d’assistance sociale sont mises en place. Elles se composent de représentants des forces de l’ordre et d’assistantes et assistants sociaux. Ces unités disposent de véhicules utilitaires dédiés à la lutte contre la mendicité et de moyens de communication.
Le programme est opérationnel au niveau de Casablanca, Rabat, Fès et Sefrou et la contribution du ministère à la mise en œuvre de ce programme, depuis son lancement, dépasse largement 16,5 millions de dirhams. Tout récemment, le centre de Ain Atig a été inauguré par Sa Majesté le Roi après sa reconstruction. Notre ministère a contribué pour 3 millions de dirhams à ce projet en plus de l’accompagnement en formation des ressources humaines en adéquation avec la loi14-05 fixant les conditions d’ouverture et de gestion des établissements de protection sociale. La mise à niveau de ce centre pilote entre dans le cadre du programme précarité de l’INDH et de la Stratégie de lutte contre la mendicité.
L’opérationnalisation de cette stratégie concerne également les villes de Marrakech, Agadir, Tanger, Safi et Laâyoune avec des centres d’accueil en cours de réaménagement ou en construction.

Quels sont les obstacles à cette stratégie?
Malgré cela, les difficultés sont réelles à cause de l’insuffisance du dispositif législatif aussi bien pour combattre la mendicité professionnelle que pour combattre par exemple l’exploitation des enfants dans la mendicité.
Conformément à sa vocation et à ses missions, le ministère œuvre pour la réorientation de la stratégie vers une approche sociale. Le ministère a effectivement pris l’initiative d’adresser une lettre aux ministères de l’intérieur et de la justice en vue de constituer une commission tripartite pour réaliser une évaluation nationale en plus des évaluations locales. Nous souhaitons une révision de cette stratégie en désignant comme chef de file de la lutte contre la mendicité professionnelle les départements à vocation sécuritaire et pénale.
La lutte contre la mendicité n’est pas simple. Il s’agit d’une problématique qui touche à la pratique de l’aumône qui est enracinée socialement. Ainsi à la porte des mosquées, dans les marabouts ou les cimetières, par exemple, il est de tradition de trouver des personnes nécessiteuses qui viennent à la rencontre de gens qui souhaitent distribuer l’aumône. Changer cette culture en mettant en place d’autres mécanismes de solidarité plus rationnels et plus efficaces n’est pas simple.
Mais cela s’avère être une nécessité car à travers la grande générosité des Marocains et Marocaines, ce sont des chiffres d’affaires considérables qui hélas attirent les réseaux de mendicité qui doivent être combattus énergiquement. Parallèlement les établissements de protection sociale voient leur nombre augmenter sensiblement ainsi que la qualité de leurs prestations.

Sur quelle approche doit reposer la SNLCM ?
La Stratégie nationale de lutte contre la mendicité (SNLCM) repose notamment sur la réintégration, l’approche judiciaire et la sensibilisation. Les trois approches de la SNLCM sont toutes nécessaires et elles se complètent, du fait que les mendiants ne constituent pas une population homogène. En tant que ministère en charge du développement social, nous sommes particulièrement concernés par l’approche sociale de solidarité et de réintégration.
Nous pensons que notre pays est aujourd’hui capable d’assurer la dignité à chacun de ses citoyens et citoyennes. Mais pour ce qui est de la pratique de la mendicité lucrative, la mendicité professionnelle, par des personnes qui refusent d’apprendre un métier ou de pratiquer une activité génératrice de revenus préférant une activité juteuse qui exploite la compassion des gens ou encore exploitent autrui (nourrissons, personnes âgées ou handicapées) dans la pratique de la mendicité, dans ces cas là, c’est l’approche sécuritaire et judiciaire qui s’impose.

Quelle évaluation faites-vous des actions des unités mobiles pour la protection sociale ?
La stratégie étant mise en œuvre par les acteurs locaux que nous avons cités, des réunions d’évaluations sont régulièrement organisées. Un travail très important est réalisé: plus de 11.000 cas traités à Casablanca, 6.000 à Rabat et plus de 1.200 à Fès. Pus de 80% de ces personnes ont été réinsérées dans leurs familles. Je rappelle que cette stratégie est également placée dans le cadre du programme précarité de l’INDH qui s’appuie non seulement sur le renforcement des structures d’accueil mais aussi sur le développement d’activités génératrices de revenu et d’emploi.

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