Société

Pluralisme : De la parole en démocratie

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Une ambiguïté flagrante s’est installée au Maroc entre la démocratie et le libéralisme politique. Celui-ci est un système qui se fonde sur une Constitution consensuellement établie, qui garantit l’organisation d’élections «libres et transparentes», la séparation des pouvoirs qui gèrent l’Etat de droit ; protège les libertés fondamentales, et permet une alternance réelle entre les élites, au niveau local comme sur le plan national. Or, la somme de ces conditions, en fait, référent au «libéralisme constitutionnel» qui peut traduire des choix démocratiques sans pour autant les incarner. Car la démocratie suppose, en plus de ces impératifs institutionnels et politiques, des droits essentiels, économiques, sociaux et culturels.
Cet amalgame n’est nullement une autre «spécificité» marocaine. On assiste à une «croissance» du discours libéral, de tendance constitutionnaliste, et une régression de la démocratie, même dans les pays démocratiquement avancés comme chez ceux qui tentent de l’expérimenter ou de l’implanter en dépit du poids inhibant des différentes formes de despotisme.
Les mots ont une importance particulière en démocratie. Depuis les Grecs jusqu’à nos jours. La démocratie s’expose à toutes formes de menaces dès que le sens des mots est oblitéré par des usages trompeurs. C’est pourquoi les démocrates sont, toujours, vigilants pour défendre les significations justes et essentielles des mots à partir de la conscience selon laquelle toute concession sur les significations suppose la perte de son essence et une acceptation, volontaire ou non, de faire de la démocratie un système sans esprit et sans crédibilité.
Toutefois, celui qui s’intéresse aux sens des mots -en démocratie –n’est pas démocrate nécessairement. Car le fondement de la démocratie, en plus de ses dimensions sociales, économiques, politiques (le pouvoir de la majorité et l’acceptation de l’alternance) et culturelles, consiste dans la transparence, l’information honnête, la concertation, la prise de parole libre, en d’autres termes, la pratique de la liberté critique et du contrôle populaire.
Il y a des sources plurielles et diversifiées de la culture démocratique et une mémoire pluraliste de la démocratie à la lumière de laquelle on ne peut imposer un modèle préétabli. C’est pour cette raison qu’un malaise commence à s’instaurer au sein des démocrates quant aux droits, à l’opinion publique, à la représentativité, au niveau de la gestion et la maîtrise des conflits, et les différentes formes de déficits dans l’élaboration de nouvelles règles du contrat social.
La démocratie n’est guère un acquis définitif. Les démocrates sont ses véritables acteurs à la condition de ne pas l’instrumentaliser comme une simple vitrine pour défendre le capital et la technique ou justifier la mainmise des traditions et de l’autocratie.
Les nouvelles formes d’inégalité dont les signes commencent à se manifester au Maroc ne se réduisent pas seulement à l’économie et au social, mais s’étendent aux inégalités dans l’accès à la participation à la chose publique et à la compétence aussi. Il devient de plus en plus difficile de reconstruire le contrat social ou des valeurs communes sans horizon collectif ou même de s’engager dans un projet réformiste sans une animation politique de la démocratie dans un cadre représentatif réel.
D’autres formes de « rationalité » ou de manipulation se constituent à l’encontre du principe de représentativité. Elles déforment l’essence même de la représentation et mettent en cause sa crédibilité. Ce qui pose autant le problème de la légitimité que de l’incapacité flagrante à réduire l’abîme entre les discours et le vécu des gens. Comme si tout fonctionne dans la fragilité. Des déficits sociaux jusqu’à l’incompétence de toutes sortes. L’incapacité à résoudre les problèmes de l’emploi, de l’enseignement, des finances publiques, de l’habitat et de la culture produit des attitudes ou des réactions sceptiques à l’égard de tout discours politique spécialement ceux véhiculés par les milieux officiels.
La démocratie ne connaît –ni ne reconnaît- de vérité unique. Elle peut organiser l’espace public, comme elle contribue- aussi paradoxalement qu’elle puisse paraître- à la déconstruction-reconstruction du champ politique et aux réaménagements des conflits et des acteurs politiques. Car l’enjeu démocratique crée un ensemble de possibles sans prévoir lequel a le plus de chances d’aboutir nécessairement. Il arrive des moments où le débat se brouille et les discours politiques traversent des impasses sachant que la politique ne répond pas toujours aux critères rationnels. Le long processus de manipulation des élections au Maroc a généré des réactions qui menacent, par leur négativité, l’essence du choix démocratique quelles que soient sa nature et ses finalités. De larges couches de la population se sentent complètement étrangères au champ politique central et résistent à croire aux promesses de formations politiques ; celles-ci souffrent d’un déficit tragique de communication et de capacité de convaincre.
Les dernières élections législatives (7 septembre 2007) furent une manifestation éloquente du décalage entre une société politique désemparée et une société «désespérée» et orpheline de ses élites.
Ce genre de situation politique produit des cas de transfert du débat, censé être à l’intérieur des espaces publics adéquats, vers la création de conflits qui échappent à la compréhension, à la régulation et à leur gestion susceptible de proposer des solutions.
De nouvelles formes de revendications commencent à s’exprimer dans la place publique. La contestation diversifie ses langages et ses méthodes pour formuler les attentes des couches au nom desquelles elle se positionne. En dehors des partis ou des organisations syndicales, les nouveaux mouvements sociaux revendicatifs ont trouvé dans des associations ou dans des structures d’organisations particulières des passerelles à travers lesquelles ils s’expriment. Elles défendent des « causes » à travers des groupements, des revendications claires et des acteurs mobilisateurs. Par des sit-in, des rassemblements, des manifestations, tolérés ou non, des fractions de la société, qui se sentent «victimes» d’une injustice quelconque, commencent à faire entendre leur «voix» dans un climat politique où les acteurs politiques «traditionnels» n’arrivent pas à les intégrer dans leurs actions ou dans leurs discours.
Au fait, on assiste à une «fatigue» de la politique, à un blocage dans les idées et une incapacité à proposer des mots d’ordre pouvant rétablir la confiance en la politique comme étant une démarche «noble» pour mobiliser les gens dans un projet de société. Paradoxalement, les éléments pour reconstruire un discours mobilisateur ne manquent pas, mais les modes de communication «usés», l’absence de «voix» capables de transmettre et de convaincre, la confusion des positionnements des acteurs politiques, ainsi que le harcèlement des détracteurs de tous genres, le nihilisme, la mauvaise foi ou la critique facile de certains médias etc… n’aident guère à mettre en œuvre cet idéal dont le Maroc a besoin.
La compétence démocratique est une exigence primordiale pour relancer les débats sur les questions fondamentales de la société marocaine. La lutte contre les formes d’amalgames et de confusions qui se sont installées dans les écrits et les paroles sur la politique, est un impératif «pédagogique» pour «animer» le champ politique quelles que soient les résistances, les réactions viscérales ou les volontés de perpétuer une situation qui participe au renforcement des attitudes de non participation.
Pour cela, le Maroc politique a besoin de «voix», d’orateurs, de «discutants» qui replacent la parole démocratique dans les débats structurants de la vie politique du pays.


• Par Mohammed Noureddine Affaya

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