Société

Plus forte que le terrorisme

© D.R

ALM : Vous étiez caissière au restaurant Casa De Espana, l’un des sites visés par les attentats du 16 mai. Vous vous Souvenez encore de cette nuit tragique ?
Nadia El Janani : Je m’en souviens, je l’ai encore en mémoire comme si c’était hier, depuis la première seconde des explosions. C’était un drame qui a hanté durant plusieurs mois mon esprit. Un cauchemar qui a empêché mes yeux de se fermer au point que je suis devenue une noctambule. Depuis, je rêve souvent des morts, des cadavres déchiquetés, des clients que je connaissais et qui ont trouvé la mort, du feu, des fantômes. La situation me dépassait. C’était horrible surtout pour une femme. La situation me dépassait. De temps en temps, je me demande comment la mort m’avait ratée alors qu’elle était plus proche de moi que mon propre nez.
Le drame est venu sans doute à bout de toutes les femmes atteintes de près ou de loin ?
En réalité, le drame du 16 mai a dépassé tant l’homme que la femme. Personne n’était en mesure de concevoir qu’un pays qui croit en un Islam tolérant peut accoucher de kamikazes qui tuent au nom d’Allah. Alors que Dieu a interdit aux êtres humains de mettre fin à la vie de leurs semblables sans motif ni raison. Toutefois la femme a été choquée plus que l’homme. D’une part, c’est normal, puisqu’elle est plus ou moins fragile au niveau sentimental par rapport à l’homme. Et d’autre part parce qu’elle est toujours au fond du drame puisque si ce n’est pas elle qui est tuée ou blessée, c’est son enfant, son père, son frère ou son mari. Dans tous les cas, la souffrance ne l’épargne pas.
Comment êtes-vous arrivée à surmonter cette horrible épreuve?
C’est très difficile de la surmonter. D’abord je suis une femme très sensible. Je ne peux même pas rendre visite à un patient, même pas voir une femme ou un enfant qui pleure. Lorsque les éléments de la protection civile m’ont transportée à l’hôpital Ibn Rochd, après les explosions, je n’ai pas pu y rester, avec tous les blessés autour de moi, à entendre les gémissements, les cris, les larmes des victimes et de leurs familles au point que j’ai quitté les lieux juste après avoir subi quelques soins. Je n’y ai retourné que le lendemain afin que les médecins fassent des points de suture à mes blessures. Je crois que je ne suis pas la seule à trouver une difficulté à dépasser ce drame, surtout les femmes. Soit celles qui ont été blessées, soit les veuves et les mères.
Mais il semble que vous êtes arrivée à transcender la situation critique dont laquelle vous étiez noyée durant les premiers mois ?
Effectivement, je ne suis plus Nadia d’avant. C’est-à-dire celle des premiers mois après le drame. Avec le courage et le soutien de la société marocaine en général et les amis en particulier, je suis arrivée à surmonter les séquelles immédiats du drame. En plus, l’écriture m’a également aidée à me libérer des cauchemars de cette nuit terrible. Je ne m’inquiète plus actuellement de me rendre à un lieu public, soit un café, restaurant, cinéma, ou assister à une conférence culturelle ou artistique. Contrairement à ce qui m’est arrivé les mois qui ont suivi les attentats, je ne pouvais plus fréquenter les lieux publics. Alors que maintenant, même si le restaurant Casa De Espana ré-ouvre ses portes je me sens capable d’y retourner sans crainte, sans peur des mauvais souvenirs.
Vous avez commencé à écrire un livre sur le drame du 16 mai ?
Je le souhaite profondément. Pour le moment je me contente de noircir des papiers en notant tout ce que j’ai ressenti le jour même et après le drame, sans oublier de rendre hommage à toutes les personnes que je connaissais et qui ont laissé leurs vies suite aux attentats C’est une sorte d’autobiographie. Vraiment, je souhaite que ces papiers soient publiés et je vais faire mon possible, avec le soutien de quelques amis, pour qu’ils le soient dans un futur proche.
vComment avez-vous pensé à fonder une association des victimes et des familles des victimes du 16 mai et pourquoi ?
Des mois après les évènements tragiques du 16 mai, nous avons commencé, nous les victimes, à penser à créer une association qui oeuvre pour la consécration de l’esprit de citoyenneté et d’appartenance au peuple marocain, pour la foi en des principes comme le droit à la différence et le respect de l’Autre et pour la protection de l’identité marocaine et le rejet de toutes les formes de terrorisme et d’intégrisme, ainsi que pour la paix et la tolérance et pour également l’établissement d’échanges avec les associations aux objectifs communs tant au niveau local, national qu’international. Bref, nous avons pensé à fonder une association qui marque notre présence et notre rejet de toute sorte de terrorisme et d’obscurantisme, qui tente de noyer notre pays dans le sang et enterrer la femme et ses acquis dans la société marocaine. Et le jeudi 29 janvier nous sommes arrivés à la réalisation de nos rêves en organisant l’assemblée constitutive sous le thème «Main dans la main pour la paix et la sécurité ». Et je suis élue secrétaire du bureau de l’association. Deux autres filles font partie du bureau à savoir Sanaâ Farhat et Nadia Ben Tammar.

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