Société

Quelle justice pour les mineurs en détention?

© D.R

ALM : Pensez-vous à l’instar de Bernard Werber que le Maroc a réalisé de grandes avancées en matière de justice des enfants ?

Ahmed Habchi : Je dirais que certaines grandes avancées ont été réalisées et notamment grâce à l’implication pendant de nombreuses années d’Assia El Ouadie, alias Mama Assia, et bien entendu grâce au Souverain qui a pris ce sujet très à cœur  et a permis de concrétiser certains projets. Ainsi, nous attendons prochainement l’ouverture d’une institution indépendante qui s’occupera exclusivement de l’enfance. Pour le moment, les centres de protection de l’enfance dépendent d’un service du ministère de la jeunesse qui manque cruellement de fonds.
Si je devais citer un autre point positif, ce serait la scolarisation obligatoire des enfants vivant dans ces centres. Pour les plus âgés d’entre eux, un programme de formation professionnelle a également été mis en place dans les centres dits de réforme.
 
Quelle est la différence entre centres de sauvegarde et de réformes ?

Les premiers cités regroupent les enfants abandonnés, les sans-abri, les auteurs de petits délits, ceux qui sont en situation précaire… Mais à vrai dire, on y trouve de tout. Ce sont des centres ouverts où les enfants vont et viennent.
Puis, il faut aussi compter les trois centres de réforme, qui se trouvent à Oukacha, Settat et Salé, et qui abritent les délinquants et les auteurs de délits.
 
Comment les enfants sont-ils envoyés dans ces centres? Sur quels critères ?

La décision d’envoyer un mineur dans un centre de réforme ou de sauvegarde de l’enfance doit normalement être prise en dernier recours… Ce qui n’est pas toujours le cas. Normalement, le juge n’a pas le droit de rendre un tel jugement avant d’avoir au préalable réuni la famille du mineur pour essayer de renvoyer l’enfant chez lui. Les enfants qui se retrouvent en général dans ces centres sont abandonnés ou ont été rejetés par leurs familles.

Parlez-nous de la réinsertion sociale. Où en sommes-nous?

Nous avons encore beaucoup de chemin à faire. Certes, il existe maintenant trois unités de formation professionnelle dans les centres de réforme, mais la réinsertion sociale manque d’un encadrement psychologique et d’une assistance sociale de l’enfant, lequel devrait être entouré afin de réussir sa réinsertion. Certains directeurs de centres sont impliqués, mais d’autres n’en ont rien  à faire. Sans compter la mentalité des Marocains qui enfonce ces enfants. «Ould el hram», «il n’a que ce qu’il mérite»… voilà ce que ces enfants entendent quotidiennement.
 
Quel est l’impact sur les enfants de ces séjours dans les centres ?

Environ 70% des enfants qui séjournent dans des centres de sauvegarde récidivent en commettant des délits encore plus graves et sont ensuite envoyés dans les centres de réforme où ils sont privés de liberté. Dans ce pourcentage, il faut aussi compter les enfants qui n’avaient jamais commis de délits et qui à leur sortie du centre, vont s’adonner à la délinquance. Ils n’apprennent rien dans ces centres. Ils y mangent, ils y dorment, ils y découvrent la violence, se font du mal entre eux et s’endurcissent. Après quelques mois ou années passées dans un centre, ils doivent se débrouiller par eux-mêmes. Idem pour les orphelins qui sont jetés à la rue dès qu’ils atteignent l’âge de 18 ans. Nous n’avons pas de véritables infrastructures à même d’assurer leur suivi et les fonds alloués à ce problème sont encore minimes.
Quel est le rôle joué par les familles de ces enfants, quand famille il y a ?
Les familles n’aident pas leurs enfants, souvent parce qu’elles n’en ont pas les moyens. Les parents préfèrent souvent voir leur enfant quitter le domicile familial plutôt que de devoir l’assumer. Sans compter qu’on considère qu’il a sali l’honneur de la famille. Ces enfants sont des victimes, mais on ne leur reconnaît pas ce statut. On ne comprend toujours pas que si un enfant fait des erreurs, c’est parce qu’il apprend. Le problème pour la suite, c’est qu’un enfant se souvient de tout, des bonnes choses comme des mauvaises. Ces enfants se construisent sur des bases négatives.
 
Que pensez-vous du rapport du CNDH qui traite de la question. Est-il proche de la réalité ?
Absolument. La plupart des directeurs de centres ne se sentent pas concernés, on sert aux enfants des aliments avariés, la plupart souffrent de malnutrition, sans compter les membres du personnel qui détournent la nourriture destinée aux enfants pour l’emmener chez eux…

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