Société

Terrorisme et Organisations internationales

© D.R

Tout d’abord j’aimerais insister sur le fait qu’on pourrait se demander s’il est pertinent d’aborder ce thème par le biais des organisations internationales puisqu’il est communément admis que le terrorisme est avant tout celui des individus, ce n’est vrai qu’en partie puisqu’il est établi que des Etats sont impliqués; Il y a donc place pour une étude de droit international et là réside toute la difficulté puisqu’on a  affaire à des Etats souverains par définition ;
L’organisation internationale, quant à elle de par ses caractéristiques représente alors le meilleur creuset, la meilleure enceinte de concertation, de coordination et de lieu d’élaboration des textes .
L’approche adoptée, les techniques utilisées ne sont certes pas toujours les meilleures mais il existe bien une coopération internationale qui cherche avant tout à rapprocher et harmoniser les positions politiques.
S’entend également mieux l’approche des instances internationales lorsqu’elles ont eu à connaître des manifestations du problème.
Puisque celui-ci vient du politique, la dépolitisation («technique» ou «conceptuelle») en droit de la notion devait permettre d’extirper le terrorisme de l’infraction politique, et permettre ainsi une meilleure répression. Diverses conventions internationales ont, par ce biais, tenté de faire perdre aux infractions particulièrement graves leur protection politique. L’ONU a suivi une voie similaire. Mais les définitions par trop énumératives du terrorisme et les différents problèmes liés en particulier au drame palestinien n’ont pas permis d’aboutir à une incrimination unanimement reconnue du phénomène.
La quasi-absence de définition du terrorisme, donc l’absence d’unanimité de sa condamnation affaiblit considérablement l’ensemble du dispositif car c’est à partir de la dénonciation unanime d’un comportement par la société internationale  que peut s’établir une répression efficace, à l’heure où l’établissement d’un consensus autour d’une seule définition parait impossible tant les points de vue demeurent encore inconciliables.                                                                                      
Comme l’écrivait Georges Scelle, le droit naît de "la rencontre de l’éthique et du pouvoir" et cette jonction est difficile à réaliser dans la pratique des Organisations internationales dont les initiatives dépendent nécessairement des majorités politiques conjoncturelles, avec toutes les manœuvres et les surenchères que cela implique, souvent sans relation avec le respect du droit et la défense de la justice.
Tout cela n’est pas sans conséquences sur la mutation de la nature même de l’Etat dont l’une des principales manifestations essentielle de souveraineté dans l’ordre international consiste dans son consentement indispensable pour la création du droit, sa sanction et sa mise en œuvre définitive.
Tout en condamnant et en dénonçant tout acte de terrorisme, il est de notre responsabilité de mettre en lumière et de critiquer toutes les situations dans lesquelles les règles du droit international ne sont pas respectées tout en explorant les voies susceptibles d’améliorer l’édifice fragile d’un ordre international fondé sur le droit dans une configuration où sécurité, pauvreté et développement sont plus que jamais interdépendants. Le terrorisme est évidemment un mal absolu que l’on doit condamner absolument, mais il est également l’arme de ceux qui n’ont pas d’État et / ou sont peu dotés militairement et qui ne s’appuient pas prioritairement sur les structures d’un État pour faire la guerre, même s’ils sont le plus souvent instrumentalisés par des États.
Une observation s’impose cependant: certaines injustices historiques n’ont été redressées que grâce à un processus de violence, les historiens s’accordent à dire que la violence a été fréquemment le déclencheur des évènements qui ont amené les changements politiques nécessaires aussi bien sur le plan interne qu’international, le terrorisme se nourrit de cette idée.
Le terroriste  agit pour un motif idéologique et affirme être dans l’obligation de perpétrer son acte en refusant d’adhérer à l’ordre public, il se présente alors comme la victime de cet ordre qu’il cherche à déstabiliser et à changer.
Le système devient alors l’auteur de la contrainte et le terroriste sa victime, ou est alors la logique et ou se situe le droit dans cette tentative de transformation politique sociale et économique de l’ordre établi, surtout que quand de véritables révolutions se sont produites, elles ont remplacé un ancien système répressif par un autre souvent plus pernicieux.
Se vérifie alors la maxime de Mao Tsé Tung selon laquelle la vérité sort du canon d’un fusil.
Il apparaît clairement que toute idéologie qui vise à remettre en cause un système politique est génératrice d’un recours à la violence, la forme terroriste étant souvent la plus aisée du point de vue opérationnel, ceux qui font de l’évolution pacifique une impossibilité rendent la violence inévitable, c’est là que se situe la problématique de l’intégration de certaines tendances politiques dans le processus de construction de la démocratie des pays en développement. La guerre contre le terrorisme se gagne non pas par la force des armes, mais par l’atténuation des disparités de développement entre Etats engendrant de la haine et de la frustration, par les symboles, par une cohérence entre un discours moral et religieux, par une réduction de la «clochardisation», terreau sur lequel se nourrit la violence.
Si, chronologiquement on peut scinder les actions entre l’avant et l’après 11 septembre, on se rend compte à l’évidence que le problème reste entier, en terme de droit, même s’il est un catalyseur du rôle des Etats-Unis dans les nouvelles relations internationales, rôle qu’on ne peut encore évaluer dans un environnement géostratégique en pleine mutation générée par  : -la résurgence des nationalismes- la quête de spiritualité et son corollaire le prosélytisme religieux-la dispersion des armes de destruction massive, la prolifération du micro armement et surtout- le problème de la maîtrise des ressources énergétiques.               
Dans pareil contexte, et en se plaçant toujours dans une perspective juridique, on ne peut que constater que le problème continue d’être abordé sans véritable rupture dans le traitement de la question, au-delà de la réponse immédiate qu’a connu la scène internationale après les attentats du 11 septembre.
Comme le rappelait l’ancien ministre français des Affaires étrangères Dominique De Villepin, défenseur acharné du droit international pendant la crise irakienne, la gravité des circonstances actuelles, la détérioration de la situation internationale et la perspective de nouvelles mutations du terrorisme risquent malheureusement de faire tomber les acteurs de la scène internationale dans de nombreux pièges.   Tout d’abord, l’assimilation de la lutte contre le terrorisme à une guerre sans merci, aussi bien politique qu’économique place les Etats dans des situations justifiant parfois des dépassements qui légitiment un usage inconsidéré de la force et des « dommages collatéraux » eux-mêmes générateurs d’une haine difficile à endiguer.                                                               
Le second piège consiste à se figer dans cette perpétuelle hésitation diplomatico-stratégique, qui met le droit international de côté, qui place les Etats les plus puissants dans une logique de règlement ponctuel de situations, sans perspectives de règlements durables des crises les plus graves des relations internationales, et sans envisager de véritables solutions aux problèmes de de développement dans un environnement marqué par les difficultés économiques, sociales, culturelles, qui sont le terrain le plus fertile pour toutes les idéologies terroristes.                                                                            
Dans une société internationale composée de près de deux cent Etats souverains, il est incontestable que, sous le poids de l’histoire, s’est profilée une aspiration à une solidarité et à une conscience juridique plus grande qui s’est traduite par une recrudescence du rôle des organisations internationales.                                            
Malgré cela, force est de constater que la plénitude du droit international est un idéal et une virtualité, tout comme l’aspiration à une "communauté internationale" dont elle procède. En effet, chaque Etat cherche avant tout à défendre avec succès ses intérêts et à cette fin utilise et oriente les nombreux instruments à sa disposition, le droit international en général et celui de l’organisation internationale en particulier.  On mesure alors comment la notion de droit international est perçue par les Etats.                                                                            
L’outil juridique est évoqué et utilisé le plus possible dès qu’il apparaît le plus approprié, il est délaissé chaque fois qu’il paraît plus expédient de recourir à d’autres méthodes. En fait, dès lors que l’on parle de droit international, il est question de l’Etat souverain qui apparaît le plus souvent comme un obstacle à l’application du droit.                                                                           
Les actions collectives des Etats ne sont générées qu’à partir du moment où chacun d’eux prend conscience de la nécessité de la présence de mesures destinées à le protéger individuellement et l’imposition de nouvelles normes sur le plan international est une tâche éminemment politique qui ne peut se faire sans bouleverser l’ensemble du droit des traités et du droit international en général.  S’impose la question du rôle normatif des Organisations internationales et la nécessité de son renforcement ainsi que celui du renforcement des juridictions répressives avec un mode de création autre que celui des résolutions du Conseil de sécurité qui, elles, favorisent le recul de l’effet du droit international sur la bonne marche des relations internationales, le terrorisme étant justiciable d’une répression pénale des individus et non d’une «légitime défense préventive».
A partir de là, l’échec du droit international à contrôler ou organiser la lutte contre le terrorisme semble avéré et les carences inhérentes à la nature de la collaboration des Etats à travers les Organisations internationales semblent logiques.
La coopération technique autour de certains éléments constitutifs du terrorisme ne fait qu’ignorer la dimension politique du problème qui est à la base de l’organisation de la répression réclamée en permanence par les acteurs de la société internationale mais qui, dans le même temps, en freinent les modalités de mise en œuvre                   
Malgré des avancées régionales, l’insuffisance de la collaboration est évidente et reflète bien les paradoxes de la société internationale ou les timides avancées normatives sont rythmées par la propagation  du errorisme.                                                                           
Les perspectives actuelles qui ressortent de l’analyse du système international utilisent des termes comme : chaos, turbulence … et font état d’un phénomène d’entropie qui  caractérise  notre  époque où l’incertitude va de pair avec la propagation du désordre, le système perdant de plus en plus sa capacité à préserver la sécurité.                                                                               
Les déséquilibres engendrés génèrent une situation qui conduit les Etats les plus avancés technologiquement à se protéger des guerres classiques par un armement ne laissant aucune chance à leurs adversaires tout en plaçant leur société en position de vulnérabilité croissante. Les possibilités de confrontation directe bloquées par cette révolution de la puissance, les risques d’affrontements disséminés qui s’inscrivent au sein des espaces sociétaux augmentent, permettant de faire pression sur les Etats les plus puissants sans avoir à les combattre, les moyens militaires les plus performants sont mis au défi par les instruments les plus  sommaires.                                                                           
Tout cela s’accompagne d’une dynamique de «déterritorialisation» de la violence de moins en moins contrôlable, autant pour des raisons techniques, liées aux progrès des moyens de communication, que pour des raisons sociologiques tenant au rythme de circulation des personnes, qu’il s’agisse des flux migratoires ou des déplacements ponctuels.                                                                                             
La prolifération et la radicalisation  progressive de la violence terroriste affaiblissent considérablement les Etats et les Organisations internationales qui ne peuvent pas maîtriser le rôle des «micro-acteurs» de la société internationale et dont les instruments semblent parfois désuets ou inadaptés dans un contexte nouveau ou ils peuvent encore moins espérer faire d’un encadrement juridique précaire et déséquilibré la clé de voûte de la lutte internationale contre le terrorisme, qui semble désormais un phénomène durable et incontournable des relations internationales.                                                                                    
Comme l’écrivait Madame Chemillier Gendreau, grande dame du droit international :
«La question du droit se pose alors (…) dans les termes suivants. Par lui-même, le droit ne peut apporter qu’une réponse très partielle à la question du terrorisme ; mais cela ne signifie en aucune façon que la réponse au terrorisme doit s’affranchir du droit ; si la réponse à l’illégalisme est l’illégalisme, le droit n’existe plus pour personne. Il n’y a plus que le terrorisme».
La vigilance des juristes, gardiens de la loi, sans laquelle aucune civilisation n’a jamais pu durer doit donc s’accroître par une prise de conscience plus grande de leurs responsabilités; et l’histoire enseigne qu’au cours des siècles, aucune des 21 grandes civilisations reconnues n’a survécu sans un équilibre entre droits et responsabilités, obligations sociales et morales.
Le Maroc, au regard de l’analyse objective en terme de droit, soucieux de la légalité et actif au sein des Organisations internationales, peut se targuer d’aborder le problème avec une approche qui fait honneur à ses institutions et qui s’inscrit dans celle des grands Etats, dans une atmosphère de rationalisation de l’autorité, de différenciation des structures politiques et de participation.

Aalim  El Amrani,
Docteur en droit

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