Société

Un apatride dans la ville

© D.R

Vers la fin des années 70 et alors que l’Irak était parmi les pays arabes les plus prospères, beaucoup d’Irakiens venaient au Maroc. C’est ainsi que Amina avait rencontré un ressortissant irakien avec lequel elle allait se marier et partir en Irak, à la ville de Bassorah.
Le destin avait voulu que la guerre éclate entre l’Iran et l’Irak, quelque temps après l’installation des deux nouveaux époux. En 1984, la guerre faisait rage et les villes sont bombardées sans répit de part et d’autre. Amina enceinte, elle vivait mal ses envies de grossesse. Son mari lui a suggéré de partir au Maroc le temps que les choses s’arrangent ou en attendant qu’il la rejoigne au Maroc. C’était en avril 1984 lorsque Bassorah croulait sous le pilonnage de l’artillerie iranienne. En août 2004, Amina donne naissance à un garçon pour qui elle a choisi le prénom de Nabil. Après la naissance, elle a envoyé une lettre à son époux et s’est dirigée vers l’ambassade d’Irak pour déclarer la naissance du fils d’un ressortissant irakien. Là-bas on lui a dit d’attendre un peu que le nouveau né grandisse pour l’enregistrer par la suite, du moment que le service d’état civil de l’arrondissement Sidi Belyout l’avait déjà enregistré, ce n’était qu’une question de paperasse. Mais au fur et à mesure que le temps passait, les différents fonctionnaires de l’ambassade irakienne au Maroc renvoyaient poliment Amina à chaque fois qu’elle revenait à la charge pour enregistrer son fils.
Tous les prétextes étaient bons pour que les fonctionnaires se dérobassent de la demande légitime de la femme. Le problème c’est que les fonctionnaires de l’ambassade d’Irak n’étaient pas permanents, et à chaque changement, c’était un nouveau calvaire pour Amina et son enfant qui commençait à grandir. Nouvelles demandes, nouveaux certificats et ainsi de suite. La situation de l’Irak au sein de la communauté internationale n’arrangeait pas les choses depuis l’invasion du Koweït et les répercussions qui s’en étaient suivies. Un consul irakien avait proposé l’enregistrer de l’enfant au nom de sa mère en attendant que le problème soit réglé!!
L’on faisait fi de l’acte de mariage ratifié par le ministère marocain des Affaires étrangères, l’ambassade irakienne à Rabat et le tribunal. Le temps passe et l’enfant a grandi. En attendant, Amina s’était bien occupée de son enfant et lui consacrait tout son temps, travaillant jour et nuit, en tant que couturière. Il a suivi une formation en « Equipements électroménagers», juste pour éviter d’être expulsé à la classe terminale. On ne passe pas le baccalauréat sans identité. Le bébé d’antan est devenu un jeune homme, sans carte d’identité nationale ni même une carte de séjour, comme les étrangers résidant au Maroc. Ce n’est qu’après l’invasion de l’Irak au printemps 2003 et la fermeture de l’ambassade d’Irak que les responsables marocaines, comprenant la situation, lui ont délivré une carte de séjour. Ce n’est pas pour autant réglé pour Nabil, qui ne lorgne même pas sur la nationalité marocaine, comme le lui ont suggéré certains membres d’ONG. «Le problème ne se pose pas au niveau des autorités marocaines. Je considère que le Maroc m’a beaucoup donné, c’est là que j’ai grandi, que j’ai pu apprendre à connaître mes droits. Si seulement le comportement des fonctionnaires de l’ambassade étaient comme celui des fonctionnaires de l’administration marocaine. Mais pourquoi le pays de mon père refuse de me donner mon droit le plus légitime ? C’est là la question.» explique Nabil avec un brin d’amertume. Et de poursuivre que «Les nouveaux diplomates irakiens ont tout mis sur le dos de l’ancien régime en me disant que ces gens ne faisaient pas leur travail et me demandant de nouveaux papiers de nouveaux certificats, voire-même la carte d’identité de mon père dont j’ignore même l’existence.
Après tout ce qu’a vécu l’Irak, comment ferai-je pour retrouver mon père ? et puis que faire de ces documents authentiques que je traîne vainement depuis des années ? ». Nabil est aujourd’hui dans une situation dans laquelle il est aussi absurde de regretter le passé que d’organiser l’avenir. Il sombre dans une tristesse à peine perceptible mais l’intonation de la voix et les messages lancés par son regard, en disent long sur l’état psychique de ce jeune homme sans identité, qui attend toujours de recouvrer son droit.

Articles similaires

SociétéUne

50 villages touchés connectés désormais grâce à Intelcia et l’Apebi

Le programme Smart Douar soutenu par le sponsor officiel 2024 Intelcia a...

SociétéUne

Epreuves du permis de conduire : Les précisions de la Narsa

Durant les deux premiers jours de la mise en vigueur de la...

Société

Tarfaya : Intensification des opérations de contrôle des prix et de la qualité des produits

La commission provinciale mixte de contrôle des prix et de la qualité...

RégionsSociété

A l’occasion de la Journée mondiale de l’eau : La gestion rationnelle de l’or bleu en débat à Béni Mellal

Sous le thème «La préservation des ressources en eau est une responsabilité...