Société

Une loi pour protéger les petites bonnes

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A l’ordre du jour du dernier conseil des ministres, où la question du travail des mineurs et les lois le régissant a été discutée jeudi dernier, les petites bonnes refont de nouveau parler d’elles. Cette fois-ci, pour tracer les modalités de lutte contre un phénomène dont la gravité n’a d’égale que son enracinement dans ce qui est devenu le nouveau modèle de la famille marocaine. Elles sont en effet pas moins de 22.900 filles mineures employées domestiques.
Près de 60% d’entre elles n’ont même pas 15 ans, et ce rien que dans la région du Grand Casablanca. C’est du moins ce qui est ressorti d’un sondage supervisé par le Haut Commissariat au plan qui a révélé l’ampleur du drame que vivent des milliers de petites filles, souvent maltraitées, toujours mal payées, systématiquement ignorées. Une situation face à laquelle la législation, qui interdit, sans que cela soit respecté par ailleurs, le travail d’enfants, devait également avoir son mot. Un mot autre que l’indignation, ou l’interdiction, sans mesures de contrôle. En phase d’élaboration depuis quelque temps au sein du ministère de l’Emploi, un projet de loi relatif à l’emploi de mineures en tant que bonnes verra incessamment le jour. A l’étude, des mesures tendant à renforcer l’arsenal juridique existant, dont le nouveau code du travail. Un code dont l’apport à ce niveau réside dans l’interdiction de l’emploi des enfants de moins de 15 ans, au lieu de 12 ans comme dans le passé. Le code pénal, quant à lui, comporte des dispositions prohibant le travail des enfants de moins de 18 ans dans des métiers à risque. Mais si les textes condamnant le travail des petites filles seront renforcées par cette nouvelle loi, la pierre d’achoppement réside dans le contrôle de l’application de ces dispositions.
Surtout que le recours aux petites bonnes est loin d’être considéré dans la société marocaine comme étant quelque chose de « mal ». L’enquête précitée, élaborée sur un échantillon de 529 filles domestiques et rendu publique, a révélé que ces filles domestiques travaillent chez des ménages résidant, à proportions quasi-égales, dans tous les types d’habitats. Près de 34% d’entre elles dans des villas, 35% dans des appartements et 31% dans les autres types d’habitats. Il a été relevé que 94% des ménages employeurs disposent de logements de plus de 3 pièces et que près de 82% des ménages comptent au moins 3 personnes. C’est dire que ce ne sont pas les moins aisés, ni les moins instruits d’entre nous, qui ont recours à des domestiques de bas âge. Un contraste que renforce une réalité bel et bien marocaine : la pauvreté. La grande majorité de ces filles (86,8%) est issue du milieu rural, aussi démuni en général que peu familier à la planification familiale. Preuve en est que la plupart d’entre elles appartiennent à des familles nombreuses (taille moyenne des ménages de 8 personnes). Parmi ces dernières, celles dont le père est décédé représentent près de 70%. La faiblesse des ressources des parents constitue la raison déterminante du recours au travail (96,4%). Le moyen utilisé par la majorité des filles pour trouver un emploi reste le contact d’une personne de la famille. Cependant, 20% de filles trouvent un emploi à l’aide d’intermédiaires, ceux qu’on appelle, «semsara», ces négriers des temps modernes qui continuent d’exercer leur métier en dehors de toute impunité. Ces derniers font également parler eux, par certaines de leurs pratiques. «Les bonnes qui m’étaient envoyées via des intermédiaires, en contre-partie d’une somme allant de 200 à 400 DH, ne restaient pas plus de quelques jours à la maison et demandaient systématiquement à être payées à la semaine. Une fois la première paie encaissée, je ne les revoyais plus. Elles retournaient chez le semsar qui s’arrangeait pour les envoyer illico-presto chez une autre famille. Et rebelote !», s’indigne une mère de famille.
Le recours au travail intervient à un âge très précoce dans la mesure où l’âge moyen de la fille domestique se situe à un peu plus de 10 ans. On notera selon l’enquête, que 8% de ces domestiques ont déclaré être âgées de 5 à 7 ans. L’écrasante majorité de ces filles domestiques (82% environ) sont analphabètes, soit à cause du refus du tuteur ou de l’éloignement de l’école. Pour ce qui est des conditions de travail, les filles domestiques continuent d’entretenir des contacts avec leurs familles en recevant les visites de leurs parents ou en rendant, elles-mêmes, visite à ces derniers. Les parents se rendent chez le ménage employeur essentiellement pour percevoir le salaire de leur fille (70%). En plus des travaux ménagers, plus de 3 filles sur quatre se chargent également des courses. Près de 20% accomplissent simultanément trois tâches : la garde des bébés, les courses et l’accompagnement des enfants de l’employeur à l’école. « Et quant on ose poser la question, au moment du recrutement, sur la nature exacte des tâches à accomplir, on n’a pour réponse qu’un doigt. Celui de l’employeur, souvent des femmes, qui nous pointent la porte de sortie. Ici, on doit tout faire ou bien on ne veut pas de nous ».
Les filles domestiques sont les premières à se lever et les dernières à se coucher. Une partie d’entre-elles ne bénéficie ni de congé annuel, ni de jours de repos, ni de jours de fêtes. Considérées comme des salariées de seconde zone, le montant de leur rémunération mensuelle reste faible, oscillant entre 220 dhs pour les filles de 7 à 10 ans à un maximum de 500 dhs pour les filles âgées de 15 à 17 ans. Ces filles sont non seulement mal payées mais font également l’objet, dans l’exercice de leurs tâches, de punitions, de sanctions et d’abus: 86% ont fait l’objet de réprimandes (injures, etc.), 55% ont été battu et 4,2% ont déclaré avoir subi des abus sexuels des la part de leurs employeurs. Des abus doublés d’une méconnaissance presque totale des maladies sexuellement transmissibles, encore moins des risques de grossesse, synonyme de descente directe aux enfers. Face à une réalité qui relève plus des temps de l’esclavagisme, certaines petites filles se vengent de la cruauté de leurs patrons en allant même jusqu’à commettre des vols ou crimes. «Souvent, la vengeance est prise sur une famille autre que celle où la bonne était maltraitée.
Parfois, ce n’est même pas une vengeance mais un désir de répondre à des besoins matériels, la paie étant systématiquement dirigée, dans ce qui ressemble à de la confiscation, au père ou la mère de famille de la bonne», explique un parent outragé par de telles pratiques, mais qui n’a d’autre choix que de s’indigner en silence. Les dossiers opposants des employeurs à leurs domestiques s’empilent dans les tribunaux. Mais une question demeure sans réponse: qui doit-on condamner ?

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