Société

USFP : la nécessaire reconstruction identitaire… Par Jamal Berraoui

Mohamed El Gahs puis Ali Bouabid ont mis sur la place publique le débat concernant l’USFP. Ce débat est initié dans une conjoncture très particulière : il émerge quelques mois à peine après le 7ème congrès de l’USFP. Sauf à n’y voir qu’un exercice de style pour satisfaire des egos, il s’agit bien d’un acte politique, c’est-à-dire répondant à un besoin politique. A mon sens, ce débat est l’expression du trouble des militants et reflète le fameux «instinct de survie tihadi». 7ème congrès a évacué tout débat. Non seulement il n’a pas apporté de réponses, mais il ne s’est même pas posé de questions. C’est un congrès plat, qui s’est limité  à relégitimer la direction, non sans bagarre d’appareil par ailleurs. Même si cette fois il n’y avait pas de bataillons en ordre de marche. Ce faisant, le congrès au lieu de ressouder le parti, a ajouté à son trouble. Le débat ajourné lors du 6ème congrès, scission oblige, étant renvoyé aux calendes grecques alors que les militants et les sympathisants du parti ne se reconnaissent plus dans l’USFP, tétanisé, aphone.
L’objet de cette contribution est de mettre en évidence les questions lancinantes que se posent les militants de base dont je fais partie. Mes deux amis ont insisté sur le projet de l’USFP, à partir de l’énoncé des valeurs. Ma grande peur est que l’on continue à entretenir un mythe ou du moins une demi-vérité. Le projet USFP n’existe qu’en l’état de slogans telles que la modernité, la démocratie, ou (plus gros) social-démocratie.
Tous des mots qui deviennent obscènes mis en rapport avec certaines pratiques qui sont elles cohérentes dans leur éloignement des valeurs énoncées. C’est ce que je me propose d’étayer. L’USFP n’a plus théorisé son action depuis le milieu des années 80. Les changements intervenus sur la scène internationale et locale n’ont été que partiellement pris en compte lors d’un 6ème congrès marqué par la scission. Le parti n’a pas répondu à la question : qu’est-ce qu’être socialiste aujourd’hui ?
La social-démocratie au niveau européen a connu de vrais déchirements avant d’y apporter des réponses très variées et sans doute non définitives, si l’on en juge par l’âpreté des débats à l’intérieur du Labour, du SPD allemand et du PS français. Il faut une dose de prétention certaine pour affirmer détenir des recettes simples face à une situation très complexe. La globalisation de l’économie s’attaque d’abord aux acquis sociaux, au service public, aux espaces culturels non consumérisés. Or, c’est une réalité qui s’impose à tous, sans alternative réelle.
Dans le cas du Maroc, il y a le sous-développement en plus avec ses déficits sociaux abyssaux. Or l’USFP est passée du soutien de toutes les revendications y compris les plus farfelues du genre le SMIG à 5000 dh, à une gestion comptable des plus cyniques. Pour faciliter l’alternance, on a escamoté le débat et adopté la ligne du FMI en particulier et de la pensée unique en général. Les équilibres fondamentaux, l’ouverture tous azimuts ont été assumés par le même parti, voire la même personne, qui quelques mois auparavant stigmatisait «les choix anti-populaires».
Cela n’était pas inéluctable. Au sein du parti, il y avait des voix, Habib El Malki et Larabi Jaaidi entre autres, pour proposer une vision budgétaire moins étriquée, laissant au gouvernement une marge sur le social, on a enterré ce débat au profit d’une orthodoxie quasi-livresque. Le Roi, en lançant l’INDH, a tout simplement condamné cette vision comptable qui est à l’opposé de ce qui devrait être le projet de l’USFP. Au départ, cette vision s’accroche à une supercherie : le taux de croissance. Selon cette nouvelle religion, il suffirait de porter celui-là à un certain niveau sur la durée pour réaliser le développement et régler tous nos problèmes en comblant les déficits. La supercherie est que ce raisonnement n’est valable que dans une économie intégrée où les effets de la croissance sont diffusés dans tout le tissu économique. Au-delà de l’aléa climatique et de son influence sur les chiffres, ce n’est pas le cas pour le Maroc. Les secteurs les plus performants ne tirent pas le reste. Très rares études affinées le prouvent. Ce choix a été catastrophique parce qu’il a induit une politique sans aucune relation avec nos fameuses valeurs. Après avoir voté contre la loi sur la privatisation, c’est grâce à celle-ci que nous avons  maintenu les fameux fondamentaux. L’ouverture a concerné aussi les services publics concédés à des privés dont la culture est très éloignée de la notion de mission de service public. La défense du service public (et non pas du secteur public), la solidarité sociale, l’équité fiscale, la lutte contre la précarité, voilà ce qui devrait constituer la colonne vertébrale de notre action, cela a-t-il été le cas ?
Le projet social-démocrate de l’USFP, moderniste, devrait être porteur de réformes essentielles. Celle dite agricole a été bannie des discours. Restent les autres : sur la question de la femme, l’USFP a failli. Lors de la bataille autour du plan d’intégration de la femme, il s’est déchiré en aile réellement rétrograde qui a soutenu l’intégrisme et aile fidèle aux engagements mais qui a préféré regarder ailleurs. Seuls quelques militants ont sauvé la face.
L’enseignement est un enjeu majeur de la société marocaine. Quel programme y déclinons-nous depuis que nous sommes en charge de ce portefeuille ? Les responsables de la COSEF sont unanimes pour tirer la sonnette d’alarme sur l’échec de la réforme. Pourtant, celle-ci n’a rien de social-démocrate et fait la part belle à tous les conservatismes.
Que proposons-nous pour démanteler le secteur rentier ? N’est-ce pas là une déclinaison évidente de notre hypothétique projet social-démocrate ?

Des institutions
De cela, l’USFP ne débat point, et ce faisant, il paie un lourd tribut à son histoire. L’ancienne direction a géré la marche vers l’alternance comme une affaire personnelle. Dès la fin des années 80, l’option de pression sociale a été abandonnée au profit de négociations informelles cachées en action dans les institutions. La Koutla puis la fameuse motion de censure ont constitué l’expression de ce virage. Il ne s’agit pas là de juger de la pertinence d’une telle démarche, mais de voir ses implications. Elles ont été multiples. D’abord, et c’est un acquis historique, cette démarche a enterré la hache de guerre avec la monarchie rassurée quant à la contestation de sa légitimité. Ceci a permis, en relation avec la fin de la guerre froide et «du vent démocratique», l’ouverture du chantier de l’élargissement du champ de liberté. Mais elle a eu une onde de choc au sein du parti, fossilisant les positions d’une partie des militants qui, en l’absence d’un débat, du début même d’une théorisation, ont campé sur leur posture contestataire qui les mettra hors du parti. Elle a ensuite abouti à une alternance dont personne ne connaît la teneur de l’accord fondateur. Youssoufi ayant cru s’en sortir avec l’histoire du Coran.
C’est ce qui nous amène à la question des institutions posée par Ali Bouabid. Personne n’est dupe, si l’USFP et l’Istiqlal ont voté oui à la Constitution de 96, c’était uniquement pour préparer l’alternance. La nouvelle loi fondamentale ne répondait nullement aux propositions du mémorandum, quant à l’équilibre des pouvoirs entre la monarchie et les représentants de la légitimité populaire. Ce que l’on oublie, cependant, c’est que cette même Constitution reprend mot à mot la Constitution française s’agissant des attributions du Premier ministre. S’il y a défaillance, ce n’est pas au niveau du texte qu’il faut la chercher. Pour ma part, je trouve infantile d’offrir un thé à Basri après son éviction et de pérorer sur les poches de résistance que l’on situe au niveau de la haute Administration. Maintenant, Ali Bouabid a raison quand il écrit : «Un Etat fort est d’abord un Etat qui s’incarne dans des institutions légitimes dans leur fondation, lisibles dans leur organisation et leur fonctionnement et crédibles et efficaces dans leur action». C’est exactement ce vers quoi il faut tendre et cela s’appelle la modernisation des institutions, c’est chercher une mauvaise querelle que de croire que le frein c’est la volonté du Palais de monopoliser le pouvoir. Ce conservatisme-là, comme les autres, ne s’efface que si un processus crédible est entamé. Or, il n’y a pas de résistance des concernés ni de recherche de cohérence.  Pourtant, ils n’ont qu’à se réclamer des textes, de la règle de droit et de sa suprématie. En clair, les ministres n’ont qu’à exercer leurs prérogatives constitutionnelles. Les conseillers n’en ont pas et les différents conseils ne remplacent pas les ministères.
Quant à la cohérence et la clarté des décisions prises au nom de l’Etat, je ne peux que souscrire au constat de Bouabid, il y a effectivement problème. A plusieurs reprises des décisions fortes ont été abandonnées, occasionnant un recul qui perturbe l’image de l’Etat et laisse perplexe puant au mode de préparation de la décision. Le plus grave c’est que cela concerne des questions centrales de la transition telles que le respect des institutions, ou l’intégrité territoriale 
De mon point de vue, la Constitution actuelle, imparfaite parce qu’elle n’est pas le produit de rapports sociaux déterminés, n’est pas un obstacle à l’approfondissement de la démocratie, ni à la modernisation du pays. La revendication de réforme constitutionnelle me paraît être une feuille de vigne pour cacher l’incapacité de situer correctement la phase historique et répondre aux questions qu’elle pose. De manière générale, ma conviction est qu’une nouvelle Constitution ne peut être que le produit d’un processus de modernisation et non pas son signal. Il n’y a qu’au Maroc où des dirigeants politiques affirment sans rire que «chaque Roi doit avoir sa Constitution».
Oubliant que Hassan II en a eu 3 toutes répondant à des situations politiques déterminées et donc dépassées dès que ces situations ont changé. La reforme constitutionnelle souhaitable est celle qui interviendrait après un processus de modernisation aboutissant à des consensus sociaux dont la lois fondamentale ne serait que l’expression. Le mot d’ordre posé aujourd’hui est en déphasage absolu. Il excipe de l’ancienne demande qui résumait tous nos rapports avec la monarchie, alors que celle-ci était en crise – ce n’est pas le cas aujourd’hui, la crise concernant la société dans sont ensemble et la monarchie étant l’utilisation qui s’en sort le mieux. 

Des questions de l’heure
Parce que la politique politicienne, les rapports avec les représentants de la monarchie ont pris le dessus, le parti ne réfléchit pas sur la société. Pourtant, le processus de démocratisation, la transition ne sont pas l’unique phénomène digne d’intérêt.
Pire, les Marocains suivent ces évolutions avec un détachement évident. Si la prise de parole se généralise, la démocratisation institu- tionnelle, le jeu politique ne sont pas le premier souci de la société. En plus de la profondeur de la crise sociale, des angoisses liées à la faillite de l’enseignement et de la santé publique, la société marocaine vit de nouvelles fractures mettant en danger la nation, ce n’est pas un hasard si dans le débat on  a évoqué avec insistance la symbolique de la patrie. La crise identitaire est réelle, le phénomène intégriste, surfant sur le conservatisme de larges couches, a gangrené des pans entiers de la société. Il constitue un obstacle à la modernité, prône une idéologie de la haine, minore férocement la femme, mais ce ne sont là que ses aspects les plus visibles.
Là où il est le plus dangereux c’est qu’il est facteur d’implosion. Son référentiel nie la notion de la patrie et la remplace par celle d’une Oumma aux frontières mouvantes. En faisant de l’Islam le seul référent identitaire, il nie tous les autres affluents de l’identité marocaine, en particulier les Amazighs sans oublier la composante juive et les influences méditerranéennes.
Cela a pour effet de radicaliser certains mouvements amazighs qui ne cachent plus des relents séparatistes et pour quelques individus totalement racistes.
Il ne s’agit pas là de phénomènes marginaux, mais d’une réelle menace. La crise sociale aidant, ces phénomènes sapent le sentiment d’appartenance. Aujourd’hui, il est plus que nécessaire de reconstruire l’identité nationale dans un processus lié à la modernisation du pays, l’un ne pouvant se faire sans l’autre. Nous, sociaux-démocrates, devrions être à la pointe de ce combat en proposant la restitution politique, institutionnelle, de la complexité de notre identité, mais aussi la fin du système rentier, les réformes de l’éducation, la justice, les institutions politiques et en prônant une solidarité effective, par le biais de l’impôt. Voilà l’énoncé d’un projet pour l’USFP.

Du débat interne
Répétons-le, le débat autour du projet de l’USFP n’a pas eu lieu dans ses derniers congrès. Il est donc salutaire qu’il débute aujourd’hui, d’autant plus qu’il ne couvre aucune bataille d’appareil, ni de contestation clanique, ce qui en fait un débat sain qui doit être mené jusqu’à son terme dans cet esprit. Il se fait aujourd’hui par voix de presse parce que l’organisation est paralysée.
 Ali Bouabid fait le même constat, mais ne cherche pas à en détailler les causes . Chercher de nouveaux modes opératoires restera lettre morte si l’on ne s’attaque pas aux problèmes profonds, que Mohamed El Gahs, Ali Bouabid et tous les militants connaissent. Effectivement, le mode organisationnel doit suivre la conception politique, c’est une lapalissade. Ce n’est pas ce qui revigorera, par pur automatisme, le parti, celui-ci subit les contrecoups de plusieurs phénomènes :
• L’absence de débats, parce qu’il n’y a pas de création d’idées et encore moins de support. (Pas de bulletin intérieur et désertion du terrain par la presse du parti);
• Les luttes claniques depuis des décennies.
• La gestion des élections et des candidatures etc…
Le parti n’est pas un modèle de démocratie interne. Les parachutages sont quasiment la règle. Or, cela s’imbrique avec une donnée fondamentale : le parti n’a pas élaboré un système définissant ses rapports avec ses élus. L’action partisane est devenue un moyen d’ascension sociale, ce qui explique l’âpreté du combat entre candidats à la candidature. La direction a envenimé les choses en «recrutant» des candidats auprès des partis dits de l’administration (…). Ils voient dans cette attitude une volonté de s’assurer un score électoral sans relation avec l’action du parti. Celui-ci n’étant plus, selon l’un d’eux, assurément excessif «qu’une ligne sur les CV d’une dizaine de ministrables». A celà s’ajoutent quelques cas où l’éthique est bafouée. L’USFP ayant pendant longtemps fait de l’agitation en stigmatisant ces comportements, ses représentants à l’instar de la femme de César, ne peuvent pas être soupçonnés. Ce constat pessimiste ne m’empêche pas de croire que l’USFP peut redevenir le parti des forces populaires. A condition de se doter d’un programme, de devenir une force de proposition, d’adopter une nouvelle mentalité récusant le sectarisme et s’ouvrant sur la société civile en y agissant en tant que militants. Jusqu’ici soit on casse soit on ignore. Surtout il faut inventer un système mettant le parti en situation de contrôler ses élus et non l’inverse.

2007, c’est demain
Tous ces défis se posent à un moment crucial pour la transition démocratique dans son ensemble. L’échéance de 2007 n’est pas un rendez-vous notable comme les autres. Non pas parce que le PJD  va tout rafler comme l’annoncent les Madame Soleil de la place, mais parce qu’il devrait constituer une rupture sur au moins deux plans.
D’abord la moindre fioriture décrédibiliserait l’étape toute entière tant en interne qu’à l’international.
Ainsi, s’il est exclu d’accepter le moindre tripatouillage des résultats, il ne serait pas acceptable non plus d’exiger ou de «conseiller» aux intégristes de ne pas couvrir tout le territoire. Ensuite, le Roi a annoncé la désignation d’un politique, donc l’officialisation de la nomination à la Primature du chef de la majorité.
Surtout 2007 devrait sonner le glas du consensus mou et faire apparaître les clivages. Pour y parvenir, la stratégie des alliances des uns et des autres devrait être claire. Pour l’USFP, sa famille proche s’appelle la gauche, en s’élargissant il pourrait s’allier avec l’Istiqlal. Il faudrait bien fixer un rivage aux alliances, en relation avec les référentiels des uns et des autres, pour rendre à la politique son sens et à la démocratie son utilité. Celle-ci est un mode de gestion des divergences pas un moyen de les gommer. Ceci doit être effectué dès à présent pour amener les électeurs à s’intéresser au scrutin et à voter en masse, et en particulier l’électorat de gauche peu mobilisé. Aujourd’hui au sein  de l’USFP, tous les signaux sont négatifs. L’histoire de la barrière des 10% pour le financement des partis est une déclaration de guerre au PPS qu’on ne peut pas traiter en allié un jour et par dessus la jambe le lendemain. Par-contre le PJD est épargné depuis quelques mois par la presse du parti et l’acceptation d’alliances contre-nature lors des municipales fait craindre le pire, la fin des haricots c’est-à-dire la participation à un gouvernement où siègeraient les intégristes.
Le parti a besoin d’un véritable recensement idéologique, bien que le terme ait été sali par Staline, de sa réorganisation et de la clarification de sa stratégie pour la nouvelle étape de la transition.Il doit être clair que soit la gauche recueille l’adhésion populaire et elle gouvernera pour appliquer son programme, soit elle revient à l’opposition aux forces conservatrices. Toute autre attitude signifierait l’attachement au gouvernement sous n’importe quelle condition et donc la fin du parti de Ben Barka et Omar Benjelloun. Perspective que les militants USFP refusent d’envisager, et que El Gahs et Bouabid veulent sans doute éloigner en ouvrant un débat qui n’est probablement qu’à ses débuts et qui fatalement s’imposera au sein du parti. Il serait plus efficient de l’organiser comme premier acte de la vitale reconstruction identitaire.
                                                                      

Jamal Berraoui
 Militant USFP Section Maârif Casablanca

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