Société

Vengeance mortelle

C’est comme si douar Bouhmame, à Sidi Bennour, était désert ce jour de juillet 2002. Presque tous ses habitants sont là, à la salle d’audience de la chambre criminelle près la Cour d’appel d’El Jadida. Les uns arrivent pour soutenir la famille de Saïd et les autres pour réconforter les parents des trois frères, Fadel, Mohamed et Kamal. Ils y sont arrivés tôt pour que chacun trouve une place. Début de l’audience. « Dossier n°…,Mohamed, Fadel et Kamal… », appelle le président de la Cour. Les trois frères se lèvent du banc des accusés, avancent quelques pas vers le box.
Leur mère se lève aussi, tente d’échanger avec eux au moins les regards. Ses yeux fondent en larmes. Sa voisine cherche à l’apaiser. « Fadel, né en 1964 à Sidi Bennour, fils de…et de…, agriculteur… demeurnat à…douar Bouhmame…», relate à haute voix le juge, les yeux fixés sur les documents du procès-verbal.
Fadel n’a jamais mis les pieds à l’école. Ses parents n’arrivaient pas à épargner de quoi lui acheter les fournitures scolaires et les vêtements. Ils sont indigents. Ils travaillent dans les champs d’autrui pour gagner leur vie. Quand il a grandi, Fadel a rejoint son père au labeur dans les champs. Il devait l’aider pour avoir quelques sous de plus. Des mois sont passés. Et Fadel commence à bien éprouver le calvaire de la vie et à bien comprendre qu’il est exploité par autrui. «Je vais changer de boulot, dès que je trouve un autre bien rémunéré», pense-t-il. Il ne s’est pas contenté de changer d’emploi. Mais également de ville. Il ne pouvait plus errer aux environs de Sidi Bennour et a y chercher du travail. Ainsi, il a regagné, dans un premier temps, Kénitra. Il y a passé quatre ans en vendant dans des ustensiles en plastique. Sa deuxième destination était le port d’Agadir et le monde de la pêche.
Février 2002 arrive et il ne reste que quelques jours avant la fête du sacrifice. Fadel retourne chez lui. Quand il a vu ses deux frères après cette longue absence, il fut surpris de leur apparence. Ils étaient bien habillés et leurs allures manifestaient qu’ils mangaient et dormaient bien, pas comme avant. Il a remarqué qu’ils avaient de l’argent, assez d’argent et qu’ils ne pensaient plus à la dépense. Leur vie s’est améliorée. Comment ? se demande-t-il. Il sait qu’ils ne faisaient autre chose que d’aider leur père dans les champs. Et cela ne rapporte pas grande-chose. Il a passé par cette expérience pénible et sans revenu convenable. Comment peuvent-ils avoir tout cet argent ? s’interroge-t-il.
«On vend du haschisch…C’est mieux que de rester exploités en travaillant dans les champs d’autrui», lui répond son frère cadet, Mohamed. Fadel s’est contenté de hocher la tête en signe d’approbation. «Et pourquoi pas moi ?», demande-t-il à ses frères. Ils n’ont pas tardé une seconde à le solliciter à ce «bon commerce». Et le lendemain, il a commencé à apprendre le « métier ». D’un jour à l’autre, les trois frères commencent à élargir leur activité, en recourant à la vente du whisky de contrebande. Ils ont loué un logis de fortune pour le transformer en un dépôt pour la marchandise.
Saïd, un jeune homme, qui n’habite pas loin du logis en question, commence à être gêné par les comportements des trois frères, par leurs clients qui les attendent près de chez lui. Il a commencé à leur demander d’aller un peu plus loin. Mais en vain. Ils l’ont insulté à maintes reprises, lui ont demandé de les éviter. «Un jour, on va te liquider», le menaçaient-ils.
Saïd prend ses distances. Mais, il représente toujours une gêne pour la «bonne marche» du «commerce». Ils l’ont accusé de les dénoncer à leur voisine, Fatna. Celle-ci possède un champ qui lui permet de vivre tranquillement. La dernière fois, les trois frères ont profité d’une nuit sans lune pour mettre la main sur sa production. Seulement un inconnu les a dénoncés. Elle les a menacés de porter plainte contre eux.
«C’est toi qui nous as dénoncés…On va te donner une leçon que tu n’oublieras jamais…», le menace l’un des trois frères.
Saïd n’a pas pu répondre. Mais il a recouru à l’un de ses amis, plus proche de la famille des trois frères. «…Je te supplie de t’adresser à leur mère pour qu’elle leur demande de me laisser tranquille et qu’elle leur fait comprendre que je ne les ai pas dénoncés ni à Fatna, ni à une autre personne… »
Samedi 23 mars 2002. Dans l’après-midi. L’ami de Saïd est arrivé chez la mère des trois frères. Ils étaient chez eux en train de boire un verre de thé. Quand ils ont entendu ce que l’émissaire venait de demander à leur mère, ils sont sortis ensemble, en se dirigeant vers la demeure de Saïd. Il était en compagnie de sa soeur. Et sans lui dire un mot, l’un des deux frères lui a asséné un coup de bâton, puis un deuxième et un troisième. Alors que l’autre l’a criblé de coups de couteau sur tout son corps jusqu’au moment où il est tombé par terre.
Les coups de couteau n’ont pas épargné la soeur. Quand elle s’est réveillée, trois jours plus tard, à l’hôpital, elle a appris que son frère avait succombé à ses blessures et que les trois frères ont été arrêtés par la Gendarmerie Royale. Dans la salle d’audience, les deux familles attendaient le verdict : « La Cour a jugé Fadel et Mohamed coupables pour homicide volontaire et a jugé Kamal non coupable et par conséquent elle a condamné chacun des deux premiers à 30 ans de réclusion et elle a acquitté le troisième…», prononce le président avant de quitter la salle d’audience, laissant l’assistance entre la joie de la famille du défunt et le malheur de celle des trois frères.

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