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Bouteflika : Une imposture algérienne (9)

Deux mois plus tard, le juge Aïdouni est promu secrétaire général du Syndicat national des magistrats acquis au clan présidentiel !
A trois mois de la fin de son mandat, Bouteflika était toujours persona non grata en Kabylie, région fermée aux officiels et aux élections. Les concessions de dernière minute, comme la reconnaissance de la langue amazighe, l’offre de dialogue sur l’application de la plate-forme d’El Kseur, n’y feront rien : Bouteflika bouclera son mandat sans avoir refermé la plaie kabyle.
Le président Bouteflika redeviendra putschiste quand il lui fallut assurer le succès de la stratégie électorale du candidat Bouteflika.
L’homme reviendra, en effet, à ses premières passions pour le coup d’Etat dès que fut établi le refus du FLN et de l’armée de lui apporter leur soutien pour un second mandat à partir de 2004. Il ne lui restait qu’à s’incruster au pouvoir par la force.
Son but principal : s’imposer comme candidat du FLN et de l’armée envers et contre leur volonté. Méthode choisie : renverser la direction du FLN élue en mars 2003 par un congrès, qui a consacré le divorce avec le président ; créer une tension psychologique autour de l’armée qui ferait réfléchir les généraux et, surtout, infléchir leur détermination.
Pour réussir son coup d’Etat contre le FLN, Abdelaziz Bouteflika a ressorti la formule gagnante de 1965, celle qui lui a servi avec bonheur pour évincer Ben Bella et s’installer au pouvoir durant quinze longues années. Mêmes hommes, mêmes procédés, même roublardise, mais aussi, mêmes appellations.
Bouteflika confiera la conception du putsch de 2003 à l’homme qui a « habillé » le putsch de 1965 : Mohamed Bedjaoui. « Le 21 juin 1965, deux jours après le putsch, j’ai croisé Bouteflika en compagnie de Bedjaoui. Il ne le quittera plus… », se souvient Bachir Boumaza. Le juriste des coups de force aidera à mûrir le concept de Conseil de la Révolution dont il trouvera avec brio les justifications juridiques pour marier avantageusement le Dalloz avec le kalachnikov. C’est le même Bedjaoui qui va être l’architecte du putsch de 2003 contre la direction du FLN.
Première étape : créer un mouvement de contestation inféodé à Bouteflika, dit « Comité du redressement du FLN », dirigé par le ministre des Affaires étrangères, Abdelaziz Belkhadem, et lui donner une existence juridique formelle. On notera que Belkhadem est chargé du même ministère qu’occupait Bouteflika à l’heure de renverser Ben Bella en 1965. Diriger la diplomatie algérienne confère décidément des vertus insurrectionnelles, et il n’est pas insignifiant que le président Bouteflika s’en soit rappelé pour désigner l’homme chargé de faire tomber Ali Benflis. « Même l’appellation de “redresseurs” a été utilisée pour la première fois par le leader chinois Chou En-Lai, le 19 juin 1965, en parlant des organisateurs du putsch contre Ben Bella», rappelle Boumaza.
Seconde étape : destituer la direction du FLN en invalidant le 8ème congrès qui lui a donné le jour. Bedjaoui va tenter de le faire annuler par la justice en faisant déposer par le « Comité du redressement du FLN » une plainte devant la Chambre administrative dont le président sera soumis à rude pression. Le 8ème congrès du FLN sera invalidé le 30 décembre 2003 et le FLN gelé.
Bouteflika limogera tous les juges qui auront rechigné à prendre partie pour le putsch. Cela sera le cas pour le procureur adjoint d’Alger, pour le président de la Cour d’Alger, pour le président du Conseil d’Etat et pour le secrétaire général du SNM.
Les titres de la presse libre soupçonnés d’être hostiles au président-candidat Bouteflika vont, eux aussi, faire les frais de la stratégie putschiste de Bouteflika à partir de l’été 2003.
De même, l’homme n’innove pas: en juin 1965, les auteurs du coup d’Etat avaient commencé par éliminer les journaux incommodes, notamment le quotidien «Alger républicain», proche des communistes, pour les remplacer par des gazettes officielles, dont «El Moudjahid».
Le 14 août 2003, six quotidiens parmi les plus influents sont interdits de paraître sur décision des imprimeries d’Etat actionnées par le pouvoir.
Ils ne reviendront dans les kiosques qu’après avoir payé de lourdes factures qu’un journal qualifiera joliment de « rançon ». S’ensuit, le même mois, un harcèlement policier sans précédent dans l’histoire de la presse algérienne.
Les directeurs des quotidiens incriminés sont arrêtés et conduits au commissariat central pour de longs interrogatoires auxquels ils décident de ne pas répondre. Les procès succèdent aux procès.
Le Fisc s’en mêle : les titres mal-aimés se verront frappés de lourdes impositions dont ils sont sommés de s’acquitter immédiatement sous peine de saisie de leurs avoirs. Bouteflika, devenu candidat, a oublié les professions de foi du président qui, plastronnant devant les observateurs étrangers, s’engageait à ne jamais inquiéter la presse, se comparant volontiers à l’ancien président américain Jefferson :
« La presse comme l’opposition font partie des éléments incontournables de la démocratie, en ce sens qu’ils constituent les antidotes aux tentatives de dérive ou d’excès dans l’exercice du pouvoir, n’hésite-t-il pas à affirmer à l’hebdomadaire français «L’Express». Mais je ne le répéterai jamais assez, je suis un fervent admirateur du président Jefferson, qui aurait préféré un pays où la presse est libre à un pays qui aurait eu un bon gouvernement.
Nous sommes en phase d’apprentissage. Je suis sûr que nous apprendrons un jour. »
L’homme qui parlait ainsi venait à peine d’accéder au fauteuil présidentiel. Il se prêtait avec grâce à la parodie du pouvoir. Une fois le second mandat compromis, il changera de discours pour entreprendre d’éliminer tout le dispositif de ses adversaires dans lequel, évidemment, il inclut la presse. «C’est l’opprobre, l’infamie, le K.O. politique international, qui ont commencé à le menacer – il n’est plus reçu, dans certaines capitales, que dans des petits salons et devant témoins -, qui ont poussé Bouteflika à vouloir bâillonner la presse indépendante », souligne le général Nezzar.
« Bouteflika aime s’adonner à la comédie, camper le personnage des autres, frimer quand rien ne le menace, souligne Chérif Belkacem.Au moindre danger cependant, il redevient mégalo-peureux. Il cesse la comédie et passe aux choses sérieuses. »
Les graves atteintes à la liberté de la presse entament le crédit du président : l’Algérie dégringole à la 108e place au classement mondial 2003 pour le respect de la liberté de la presse, établi par Reporters sans frontières. Le Parlement européen dépêche une délégation pour s’informer de la situation.

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