Spécial

France : Les démons de l’islamisme (13)

Raffarin regarde le feuilleton d’Al Manar
Hôtel Matignon, janvier 2004
La série télévisée «Al-Shatat» («Diaspora»), sur la chaîne du Hezbollah libanais Al Manar, ne fait pas dans la dentelle. L’un des trente épisodes montre le sacrifice d’un enfant chrétien pour que son sang serve à la célébration de la Pâque juive. Dans le feuilleton, les Juifs, en papillotes,sont représentés à la manière des caricatures nazies.
Le 19 novembre 2003, le département d’État américain proteste que «cet antisémitisme venimeux n’a absolument aucune place dans le monde civilisé». Un mois plus tard, le ministre français de la Justice, Dominique Perben, saisit le procureur de la République de Paris, car Al Manar est captée en France. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel abonde en ce sens. Son président, Dominique Baudis, évoque la question lors de la cérémonie des voeux : «La transmission par satellite de certaines chaînes étrangères permet la diffusion sur notre sol d’images et de propos parfaitement intolérables.» Le sujet auquel Leïla Bouachera peinait à intéresser ses interlocuteurs tourne à l’affaire d’État. Baudis écrit au président du directoire d’Eutelsat, en lui demandant de réfléchir pour que cela ne se reproduise plus. En 2003, la Commission européenne a établi que toute émission diffusé via cet opérateur de satellite relève de la responsabilité de la France. Le CSA n’a jamais conventionné Al Manar. La chaîne ne devrait pas pouvoir émettre sans être agréée. Pourtant elle est diffusée. Elle a beau ne pas être en règle, le CSA n’a toutefois pas les moyens juridiques d’empêcher sa diffusion.
Le dossier est sensible. Au cours du mois de janvier 2004, Jean-Pierre Raffarin réunit quelques-uns de ses ministres, Jean-Jacques Aillagon, Jean-François Copé, Jean-Louis Borloo et Nicole Guedj, pour visionner les images en cause. La série «Diaspora» révulse le Premier ministre. Dans un discours, il explique que les séquences sont «insupportables à la vue, brûlantes au coeur, révoltantes à la raison». Pour Raffarin, «la scénarisation de la haine est de retour». Au même moment, la chaîne du Hezbollah fait profil bas. Son propriétaire, la Libanese Corporation, écrit au CSA qu’il respectera toutes les normes de droit. Il était temps. Dans une seconde missive, les dirigeants d’Al Manar soumettent même une candidature de conventionnement. Bref, ils demandent maintenant une autorisation en bonne et due forme !
Une petite phrase du courrier intrigue Dominique Baudis. Elle concerne les «excellentes relations que nous avons avec l’ambassade de France à Beyrouth». En fait Al Manar se fait passer pour un vecteur de la francophonie auprès de certains diplomates français en poste au Liban.
Depuis octobre 2003, la chaîne diffuse en effet des «bulletins d’information» en français. À vrai dire, les émissions sont surtout des prêches, parfois assez enflammés. En mars 2004, pour mieux cerner les enjeux diplomatiques, Dominique Baudis demande par écrit son avis et son sentiment au ministre des Affaires étrangères, Dominique de Villepin. La situation est d’autant plus délicate que même des chaînes disposant de toutes les autorisations requises peuvent poser des problèmes. Lancée en 1990 par l’Union de la radio télévision égyptienne, Egyptian Satellite Channel a reçu l’agrément du CSA en 1993. Relayée sur le bouquet TPS, la chaîne a récemment diffusé une adaptation des protocoles des sages de Sion, un des textes fondateurs de l’antisémitisme moderne. Le titre de cette version moyen-orientale ? Le cavalier sans monture.
La plus connue des chaînes arabes, Al Jezira, ennuie aussi les pouvoirs publics français. L’origine de son agrément est d’ailleurs amusante. À la fin des années 90, la radio internationale française RFI cherche un émetteur dans la région du golfe Persique. Seul le Qatar est d’accord, mais à condition qu’il soit accordé à l’Emirat une fréquence radio à Paris. Pour les autorités françaises, c’et inconcevable. Finalement, un terrain d’entente est trouvé. Al Jezira, alors inconnue, est conventionnée en 1999. Elle peut émettre. Le contrat sera reconduit en juin 2001. La chaîne deviendra célèbre au lendemain du 11 septembre. Soudain, son audience explose. Après la diffusion en exclusivité de la première cassette de Ben Laden à la veille des bombardements en Afghanistan, les autorités américaines accusent la chaîne de faire le jeu des Talibans et de Ben Laden.
Au Quai d’Orsay, les spécialistes de la direction d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient sont plus timorés. On peut lire, dans une note du 9 novembre 2001 adressée au directeur de cabinet du ministre, ce propos qui se veut rassurant : «Il est abusif de qualifier ce média d’islamiste.» Mais la chaîne «reste néanmoins un vecteur important de l’islamisme politique» -ce qui est très différent en effet ! – face au «discours pâle et anachronique des intellectuels arabe».
Le 25 octobre 2001, le groupe «Câble et satellite» du CSA convoque deux représentants d’Al Jezira pour leur demander de «respecter l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion». Avec son homologue britannique, l’Independant Television Commission, le CSA met en garde la chaîne contre tout dérapage dans sa couverture du conflit. À plusieurs reprises, l’institution française adresse un avertissement à A Jezira pour «manque de maîtrise à l’antenne». Les messages de Ben Laden n’ont pas toujours été traités avec recul. Mais la chaîne émet toujours. Petite anecdote : lors des cérémonies du soixantième anniversaire du Débarquement en juin 2004, les RG filochent l’équipe d’Al Jezira qui couvre l’événement.
Le CSA suit d’aussi près les radios. Si l’on se refère aux cahiers des charges qu’il impose, une seule radio confessionnelle musulmane émet sur le territoire français : Radio-Orient. Chaîne internationale, elle diffuse aussi –et surtout-àBeytouth, Damas, dans les Territoires occupés, à Londres et Washington. Radio-Orient diffuse les prêches modérés de la mosquée de Paris, mais aussi, depuis longtemps, ceux de la Mecque. Ces derniers lui ont valu quelques déboires. Le vendredi 27 octobre 2000, la radio retransmet ainsi de la ville sainte le prêche d’un imam en arabe. Pendant deux heures, la diffusion a lieu en direct, par l’intermédiaire du satellite Arabsat, qui transporte le signal de la chaîne de télévision saoudienne Saudi 1.
L’imam s’enflamme à propos du conflit israélo-palestinien. Il appelle la malédiction divine sur les Juifs et prône leur destruction : «Il sont honnis et bannis par Dieu qui a fait d’eux des singes, des porcs et des adorateurs d’idoles ayant dévié du droit chemin. Tels sont les juifs, une suite ininterrompue d’injustices, d’obstination, d’hypocrisie, de trahison et de dépravations. Ils sèment la perversité sur terre ; or Dieu n’aime pas la perversité.» L’imam profère des élucubrations ignobles : «Mais où sont donc les musulmans, un milliard de musulmans qui s’ils décidaient d’émettre à l’unisson, ne serait-ce qu’un seul souffle chacun, les feraient complètement disparaître de la surface du globe ? Les temps sont proches où les musulmans combattront les Juifs, et les tueront.»
Cette retransmission de propos inadmissibles vaudra au président de la société de Radio-Orient une condamnation pour «complicité de provocation à la haine et à la violence raciale» de la 17ème Chambre spécialisée dans la presse du tribunal de Paris. Depuis, la chaîne prend ses précautions et ne diffuse plus les prêches de la Mecque qu’en différé, après avoir le cas échéant coupé des séquences tombant sous le coup de la loi française. Qui possède Radio-Orient, à l’origine de ces émissions ? Le Premier ministre libanais Rafic Hariri. Un ami personnel de Jacques Chirac.

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