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France : Les démons de l’islamisme (6)

© D.R

La DGSE enquête sur les plongeurs d’Al Qaïda
Eindhoven, juillet 2003
La difficulté, c’est que le péril n’a pas de visage. En France comme ailleurs. C’est peut-être le plus angoissant. Car, en matière de plans apocalyptiques, les terroristes d’Al Qaïda ne manquent pas d’imagination. Ils avaient préparé celui du 11 septembre dans les meilleures écoles de pilotage américaines. Depuis, les services de renseignement ont appris à envisager toutes les hypothèses. À son corps défendant, un homme, Redouane Daoud, s’est retrouvé au coeur d’un scénario digne d’un polar. En avril 2002, la police néerlandaise arrête cet Algérien de vingt-sept ans grâce à des informations fournies par la DGSE. Les services secrets français craignent qu’il prépare des actions terroristes. L’homme est soupçonné d’appartenir au Groupe salafiste pour la prédication et le combat, un des mouvements les plus violents, une scission du Groupe islamique armé (GIA) algérien 1. Il aurait organisé une filière de recrutement de jeunes combattants pour l’Afghanistan et mis en place un trafic de faux papiers. À son domicile, aux Pays-Bas, les enquêteurs découvrent la photo d’identité de deux Hollandais « morts au combat » au Cachemire, où les islamistes combattent les forces indiennes. Ils tombent aussi sur le cliché de l’un des complices présumés de l’assassinat de Massoud, le leader de la résistance afghane éliminé à la veille du 11 septembre.
Au pays du gouda, les prisons rassemblent aussi à du gruyère. Après quelques mois de détention, Daoud parvient à s’évader du centre de détention de Breda. Il quitte les Pays-Bas et trouve refuge en France où la DGSE, visiblement bien informée, le localise à nouveau. Les espions de la caserne Mortier transmettent leur tuyau aux RG, qui préparent les arrestations en collaboration avec la Division nationale antiterroriste (DNAT).
En novembre 2002, la police monte une souricière aux abords de la gare du Nord, à Paris. Les enquêteurs craignent que l’oiseau ne s’envole pour l’étranger. Cinq hommes sont interpellés. La presse relève juste l’arrestation d’un «gros poisson» à la gare du Nord, ce fameux Daoud. Mais dans les salles de rédaction, personne n’imagine la face cachée de ce coup de filet. Même au ministère de l’Intérieur, peu de gens savent. En fait, cela fait plusieurs semaines que les services de renseignement occidentaux s’intéressent de très près aux activités d’un club de plongée réputé, le Safe Diving Club, à E-indhoven. Il s’agit du plus grand centre de formation à la plongée des Pays-Bas, affilié à l’Association professionnelle des moniteurs de plongée, basée aux Etats-Unis. L’un des instructeurs, âgé de trente-cinq ans, appartient au Front islamiste tunisien (FIT), un mouvement interdit dans son pays.
Cet homme a de quoi intriguer. Inscrit au club depuis son arrivée aux Pays-Bas, dix ans auparavant, il a fait preuve d’une motivation sidérante pour obtenir ses diplômes. Il les a même décrochés en neuf mois, quand les autres mettent beaucoup plus de temps. Ses formateurs ont été impressionnés par sa ténacité à participer à des sorties en mer, alors que le climat est glacial. Par ailleurs, ces stages coûtent très cher. Personne ne sait qui finance les 8.000 dollars de sa formation, ni la location d’équipements de plongée sophistiqués. Diplôme en poche, cet islamiste encadre à son tour des stagiaires. Il se comporte en professeur exemplaire.
Mais les services s’interrogent sur le profil des apprentis nageurs qu’il forme : des hommes ne parlant ni néerlandais ni anglais, venant du Liban, de l’Arabie saoudite et d’Afghanistan. Certains d’entre eux fréquentent la mosquée al-Fourkhan à Eindhoven, réputée extrémiste.
L’un des hommes ayant aidé à la préparation des attentats du 11 septembre 2001 depuis Hambourg, Mounir Motassadeq, a participé en 1999 à un séminaire islamiste dans ce lieu de culte. Dès lors, la tentation est grande d’établir un effrayant parallèle. À l’instar des pilotes formés aux Etats-Unis, des plongeurs de combat d’Al Quaïda sont-ils en train de s’entraîner au Safe Diving Club ?
Les agents secrets envisagent le pire : sabotage des cargos, ponts, barrages, plates-formes pétrolières… En août 2003, le Departement of Homeland Security américain diffuse un bulletin d’alerte contre d’éventuelles attaques de bateaux ou de ports par des plongeurs sous-marins. Le message mentionne de «nombreux incidents», démontrant que les terroristes s’intéressent de près aux installations maritimes américaines.
Aux Pays-Bas, les investigations se concentrent sur trois nageurs, arrêtés après leur passage au Safe Diving Club : Kasim. A., Irakien, Khaldi A., Iranien, et Mohamed B., Algérien. Les enquêteurs français réagissent à ce dernier nom. Il est connu de leurs fichiers. L’homme fait partie du groupe interpellé à Paris avec Redoune Daoud. L’un des très rares connaisseurs du dossier précise.: «Nous nous sommes rendu compte que Daoud connaissait plusieurs élèves formés au Safe Divind Club. Nous avons dû prendre nos précautions.» À la DGSE, les spécialistes de la plongée sous-marine se mettent au travail. «Face à une menace, nous analysons le potentiel des terroristes, puis essayons de l’entraver », explique un expert de la caserne Mortier. Les analystes de la DGSE listent les cibles potentielles en France. À quoi d’éventuels «plongeurs d’AL Qaïda» pourraient-ils s’attaquer ?
Le service découvre des failles étonnantes. Une petite charge peut suffire à faire sauter un barrage. Dans les centrales nucléaires, les prises d’eau pour le refroidissement des réacteurs sont facilement accessibles à des plongeurs expérimentés. Sans compter le danger que peut représenter une bombe placée tout simplement sous un bateau ou un pont. La DGSE transmet le résultat de son étude aux renseignements généraux. Curieuse coïncidence : les RG décèlent à la même époque des mouvements suspects autour d’une centrale nucléaire basée au bord de la mer du Nord.. Repérage ? Fausse alerte ? La menace, en tout cas, est d’ores et déjà prise très au sérieux. Mais souvent le danger prend une apparence beaucoup plus anodine.

1- Comme toutes les personnes mises en examen citées dans cet ouvrage, il est présumé innocent.

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