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Pillaud : «La logistique, un métier sérieux»

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ALM : Quelle est, d’après vous, la tendance actuelle du transport de marchandises au Maroc ?
Philippe Pillaud : En France, dans les années 80 et devant la menace des logisticiens britanniques, les transporteurs, pour protéger et développer leur marché, ont dû proposer des solutions logistiques basiques au départ du type réception, hébergement et préparation de commandes  et  beaucoup plus industrialisées par la suite du type copacking
C’est ainsi que Norbert Dantressangle, petit transporteur, est devenu l’un des leaders européens de la logistique . Au Maroc l’approche est différente. Le parc de véhicules le plus important n’est pas chez les transporteurs mais chez les industriels.
Alors que le plus gros transporteur au Maroc doit avoir 200 camions, il n’est pas exceptionnel de voir entre 300 et 900 camions chez certains industriels. La structure de distribution est complexe et constituée de nombreux intermédiaires, le marché informel existe encore  même si la réforme du transport et l’exigence des donneurs d’ordre  ont largement contribué à professionnaliser le métier et diminuer ce marché. 
Compte tenu de ces contraintes, les multinationales de la logistique, qui, il faut le rappeler, n’ont plus dans leur cœur de métier l’intégration du  transporteur et  ne souhaitent donc  pas aller dans ce secteur. Au Maroc, et compte tenu de leur expertise métier production de services en logistique, ce n’est pas stratégique !
Les transporteurs marocains ne sont donc pas dans une stratégie de protection de marché.
Les opérations logistiques basiques ne sont donc pas pour eux prioritaires, au contraire le fait que le parc de véhicules soit chez les producteurs marocains et que nous soyons dans une phase de recentrage de leur métier font qu’ils auront de beaux jours devant eux ; à la condition de valoriser leur offre. Les transporteurs marocains pourront se positionner sur le marché de la prestation logistique à condition de ne pas rentrer directement en concurrence avec les spécialistes reconnues comme EXEL.
 
Pour vous, comment faire face à la dégradation continuelle des marges concédées aux transporteurs ? 
L’amélioration des marges des transporteurs dépend d’abord des donneurs d’ordres, les industriels ou les distributeurs etc… Ils doivent comprendre que pour obtenir de la qualité, la prestation des transporteurs doit être rémunérée  à  sa juste valeur. C’est d’autant plus inquiétant dans les produits sensibles comme les carburants, les produits chimiques, le gaz ou le fait de mal rémunérer les transporteurs peut mettre en danger la vie des consommateurs. Aux donneurs d’ordre d’établir des cahiers de charges draconiens pour réduire les différents dysfonctionnements entre autres les délais d’attente de leurs transporteurs qui pénalisent largement la rotation des véhicules  et d’instaurer des pénalités aux transporteurs qui manque de professionnalisme.
Cela dépend aussi des pouvoirs publics. Les ministères doivent responsabiliser les donneurs d’ordre pour faire respecter la charge utile des camions ! Régulièrement, les producteurs chargent des véhicules à 30 tonnes alors que la charge autorisée  est de 25 tonnes  sur un essieu. Le type de véhicules présents sur le marché ne peut supporter un tel poids sans générer une concurrence malsaine, engendrer des problèmes d’insécurité sur les routes, dégrader les réseaux routiers et autoroutiers, user prématurément les camions, augmenter la pollution, sans compter que pour obtenir 30 tonnes un chargement en vrac dans les produits de grande consommation est absolument nécessaire ce qui a pour conséquence d’immobiliser les véhicules pendant des heures aux quais. L’obligation de respecter la charge utile combinée à l’évolution du commerce moderne via la centralisation des approvisionnements ; inciterait clients et producteurs à palettiser les produits et tous les acteurs de la chaîne logistique seraient gagnants.
Pour leur part, les transporteurs doivent proposer à leurs clients des services à valeur ajoutée, c’est-à-dire sortir de la spirale des prix en apportant des solutions transport du type optimisation du parc, se situer plus dans un cadre de loueur de véhicules avec chauffeur et obtenir des contreparties contractuelles à 3 ans voire plus ( amortissement du véhicule) et proposer d’autres modes de facturation qui leur permettent de ne plus être pénalisés par les délais d’attente. 

Quel rôle pour les banques dans l’évolution du secteur ?
Les banquiers ne prennent pas de risques. Ils veulent donc des garanties. Si l’on parle de la fonction transport, son organisation actuelle n’attire pas les banquiers. Par contre si l’on présente à un banquier un contrat sur 3 ans contracté avec une  entreprise sérieuse ou de renom sur un produit spécifique comme par exemple le transport de gaz santé sur une base panier ou encore  la rentabilité d’un gabarit d’un type de véhicule par rapport à un autre correspondant à de nouveaux marchés, les portes s’ouvrent !
Si l’on parle de la fonction entreposage, c’est-à-dire le foncier, les clients, des prestataires pour une construction de 5 à 10 000 m2 peuvent s’engager sur une période qui varie entre 3 et 6 ans ; si la signature est bonne pour  un marché porteur comme la prestation logistique, là encore  le banquier sera plus enclin  à accorder des avantages financiers. 

Peut-on dire que la production de services en logistique est une affaire qui marche ?
L’externalisation de la logistique doit être une activité rentable pour le prestataire et le client à la fois. Le donneur d’ordre soustraite sa logistique pour différentes raisons, économique parce que le prestataire mutualise les flux de  plusieurs clients dans le même entrepôt. De ce fait, les coûts fonciers, de l’exploitation (masse salariale et matériele), les systèmes d’information sont partagés. Compte tenu de son savoir-faire, le prestataire aura une plus forte productivité que son client. Pour l’externalisation des risques sociaux, les entités juridiques et physiques sont différentes. Il y a aussi la priorité des investissements qui fait que les industriels se recentrent sur leur cœur de métier, la production ou la distribution et externalisent  les activité périphériques non stratégiques comme le transport ou l’entreposage. Ainsi, une enseigne de grande distribution qui souhaite se développer rapidement au Maroc  doit se poser la question : « Est-ce que j’investis dans un entrepôt et un parc de véhicules ou dans mes magasins ? ».
Pour être rentable, le client doit faire appel à des prestataires ou des personnes qui ont une forte expérience de ce métier. Les personnes qui ont une forte expertise dans ce métier l’ont acquise souvent à l’extérieur du Maroc chez des prestataires de services qui pratiquent depuis quelques dizaines d’années ce types de services. 
On apprend à gérer un entrepôt dans un entrepôt même si la théorie est apprise dans les écoles ou à l’université. C’est là que le responsable d’exploitation apprendra à configurer un chemin de préparation et des astuces pour éviter les erreurs de préparation ou d’inversion comme le fait de ne pas mettre un produit de la même couleur à côté de l’autre.
La qualité des informations demandée, obtenue et respectée est primordiale. De ses informations dépendront la réussite et la rentabilité du projet. 
L’anticipation du chef de projet et sa connaissance de la culture et des habitudes du pays est importante lors du démarrage. Prenons un exemple : vous prévoyez recevoir en grosse quantité des produits palettisés, vous recevez du vrac ! Un bon chef de projet aura anticipé ce dysfonctionnement et aura prévu les palettes et la main d’œuvre. Les renseignements demandés portent principalement sur les flux, les références , les stocks outils et la spécificité du produit à traiter, les incidences saisonnières etc….
Ces données nous serviront en fonction des contraintes de l’exploitation et du type d’entrepôt à traiter pour déterminer la surface, le nombre de quais, configurer le chemin de préparation, les engins de manutention, la masse salariale, etc…. Pour calculer la productivité, le prestataire se servira de son expérience au Maroc et en Europe.
Le taux d’absentéisme pris en compte devra aussi tenir compte d’un certain nombre d’évènements propres aux pays comme le Ramadan. Tous ces éléments, pris en compte au départ, seront consignés dans un cahier des charges mais aussi plus tard dans des modes opératoires. Pour avoir une visibilité et une rentabilité sur l’exploitation à court terme, le prestataire  travaillera à livre ouvert (open book). Ce dernier intègre l’exploitation prévisionnelle et les aléas de l’exploitation imprévus au départ comme des flux ou des nouvelles références importantes. Ces surcoûts seront facturés. C’est en respectant l’ensemble de ces conditions qu’une activité logistique sera rentable.

La logistique est-elle une fonction stratégique au sein de l’entreprise ?
La fonction logistique est devenue depuis 20 ans en Europe une fonction stratégique. Devenue « Supply Chain », la fonction logistique intègre la direction de la production des achats , les approvisionnements , la distribution et les outils de stockage. Les patrons de « Supply Chain » siègent au conseil d’administration des gros groupes. La fonction logistique a pour objectif de diminuer les stocks et d’optimiser le parc de véhicules, les engins de manutention et les surfaces de stockage.
Au Maroc, un certain nombre d’entreprises ont commencé à restructurer leur logistique. Cependant, un certain nombre de difficultés demeure : le manque de connaissance de ce métier, la peur du changement, le manque d’implication des directions dans une fonction stratégique qui peut faire gagner jusqu’à 30 % du budget logistique et le risque de mutualiser les flux des différentes filiales d’un même groupe. Comme exemple de manque d’optimisation, disons que dans certaines sociétés, alors que le client final est le même, 4 entreprises du même groupe livreront au départ de 4 entrepôts situés dans la même ville ce même client avec 4 camions différents.

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