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Ramadan à Tindouf : destination : les geôles de Tindouf (1)

© D.R

Je m’appelle Abdellah Lamani, je suis né à Casablanca. Mon père était originaire de Tata au sud du Maroc. Avant d’être kidnappé en 1980 par un commando du Polisario, j’étais électricien dans la société Alumaroc à Casablanca. Mon enlèvement, ainsi que celui de sept autres Marocains dont la moitié était des civils, ont eu lieu, tôt le matin, sur la route principale qui mène vers Agadir à une vingtaine de kilomètres de Tata. Je venais d’achever un court séjour dans la ville natale de mon père. C’était la fin d’une période de ma vie et le début d’une autre, beaucoup moins joyeuse que la première, c’est le moins qu’on puisse dire. En fait, l’enfer nous attendait à quelques kilomètres de là. Je me demande toujours comment un commando du Polisario a réussi à pénétrer à l’intérieur du sol marocain pour kidnapper des citoyens marocains, civils et militaires, et en exécuter d’autres. Cette fameuse route qui relie Tata à Agadir était empruntée également par les officiers de l’armée et même le gouverneur de Tata. C’est dire que le Polisario était capable d’atteindre des points censés êtres suffisamment protégés. Dès notre capture, nous avons été tous ligotés avec des cordes et des fils de fer. Direction: Tindouf. Ahmed Benboubker, également un employé d’Alumaroc, un mécanicien, a été kidnappé en même temps que moi. Nous avons été libérés ensemble le même jour. Le 1er septembre 2003, avec douze autres prisonniers civils. Avant d’atteindre notre destination finale, Tindouf, nous avons eu droit à plusieurs escales. Je suis incapable de dire, aujourd’hui, combien de fois nous nous sommes arrêtés et où exactement. En tout cas, à chaque fois, des interrogatoires nous attendaient avec leur lot d’humiliations, de tortures et de douleurs. Ces interrogatoires étaient tous menés par des officiers algériens. Ils notaient nos noms, notre région d’origine, notre métier… Mon premier mensonge en tant que prisonnier a été de taire mon métier, celui d’électricien. Ce qui intéressait les militaires algériens c’était de rassembler un maximum d’informations sur l’effectif des troupes marocaines, leur emplacement, le type d’armement qu’elles utilisent, etc. Depuis notre enlèvement, trois jours étaient passés. Nous avions subi trois jours d’interrogatoires interminables. Trois jours, durant lesquels nous avons parcouru des dizaines de kilomètres. Trois jours sans manger, ni boire. Trois jours de tortures. Dès la première seconde de notre enlèvement, nous avons été roués de coups, sans aucune raison. Une fois arrivés au camp de détention: la misère nous attendait. Le Polisario nous utilisait pour la construction des dépôts qu’il utilisait pour dissimuler les munitions, les chars et les Land-Rover. Nous travaillions comme des bêtes, tous. On travaillait, on creusait et on dormait pour reprendre le travail forcé, le lendemain. Ce travail était obligatoire le matin comme la nuit. Et en cas de pleine lune, nous exécutions nos tâches sans interruption, toute la nuit. Nous étions de véritables animaux, nous les prisonniers. On ne se parlait plus tellement nous étions esquintés, sales et humiliés. On nous frappait parce que nous étions tout simplement des Marocains. Les coups fusaient de partout et de tout le monde. La nuit, si ce n’est pas toi qui est torturé, c’est ton voisin qui y passe. Chaque nuit nous entendions des cris et des hurlements. Vous comprenez pourquoi je vous dis que nous ressemblions à des animaux. Nous n’étions plus capables de ressentir ne serait-ce qu’un simple sentiment humain. Pendant des années, nous avons cessé de sourire. J’aurais l’occasion de revenir dans le détail sur nos conditions de vie et la relation entre nous et les gardiens. Mais sachez que, personnellement, je suis resté avec les habits que je portais le jour de mon enlèvement, une année entière. C’est le cas de tous les autres d’ailleurs. De temps en temps, les gardiens avec lesquels nous nous sommes liés d’une grande amitié pour certains, nous donnaient, en cachette de leurs supérieurs, un pantalon délabré ou une veste complètement déchirée. Sachez également que nous n’avions pas droit à nous laver. A peine nous avions quelques gouttes d’eau potable pour boire, sans plus. Pratiquement tous les prisonniers ont fini par perdre leurs dents. Moi-même j’ai une lésion au genou qui m’empêche de rester debout plus d’un quart d’heure. Je ne veux pas dire qu’il y avait un manque d’hygiène dans les camps du Polisario. Non. Elle était inexistante. Aussi, personne n’avait le droit de porter des chaussures. Pour éviter les fuites, nous sommes tous restés pieds-nus pendant longtemps. Notre moral était au plus bas. Les conditions était tellement insoutenables que certains d’entre nous ont commencé à flancher. J’entends par cela qu’une boîte de sardines ou une cigarette pouvait convertir certains prisonniers Marocains en véritables taupes du Polisario, des Bergagas au sens propre du terme. J’en ai moi-même fait les frais. Dès mon arrivée au camp, j’ai avoué naïvement aux prisonniers Marocains que j’étais électricien. Le lendemain, j’ai été convoqué par la sécurité du Polisario. Ils voulaient que je serve de formateurs pour leurs troupes, ce que j’ai catégoriquement refusé arguant que mes connaissances étaient uniquement théoriques. Petit à petit, j’ai commencé à connaître le système. J’ai donc commencé à parler aux prisonniers pour les dissuader de pactiser avec le Polisario. C’est là que j’ai eu droit aux foudres d’un autre Bergag, l’infirmier, un prisonnier Marocain. Il m’a administré des gouttes pour les yeux qui m’ont causé une perte de la vue durant un mois pendant lequel je pouvait rien faire tout seul, sans l’aide d’un autre prisonnier. Chaque semaine, une nouvelle vague de Marocains venait au camp. Le Polisario avait lancé une première campagne de kidnappings de 1976 à 1981. Et après quelques années de répit, les rapts ont repris de plus bel entre 1987 et 1989.

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