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Sabra et Chatila (1)

© D.R

Le massacre des habitants palestiniens des quartiers de Sabra et Chatila à Beyrouth-Ouest, exécuté par des chrétiens libanais les 16 et 17 septembre 1982, est un corollaire de l’assassinat de Béchir Gemayel. Il fait craindre à juste titre que les hommes armés laissés derrière lui par Arafat ne déclenchent les combats à Beyrouth, réduisant à néant les résultats positifs de la guerre du Liban. La CIA, comme le Mossad, sait que près de 2.000 résistants palestiniens se cachent à Beyrouth, notamment à Sabra et Chatila. Des utilités héliportées de Tsahal, débarquées le 15 à Beyrouth-Ouest, engagent de durs combats pour le contrôle des voies d’accès menant à l’enclave des résistants. Sur la demande réitérée d’Israël, Pierre et Amine Gemayel consentent cette fois à engager leurs Phalanges. Les miliciens qui pénètrent dans les quartiers de Sabra et Chatila tuent les résistants armés qui leur résistent et massacrent les habitants. Le rapport publié en novembre 1982 par le procureur général des tribunaux militaires libanais, Assad Germanos, fait état de 460 morts, parmi lesquels 15 femmes et 20 enfants, mais certains affirment qu’il y en eut trois fois plus. Cette horrible hécatombe traumatise naturellement l’opinion israélienne et provoque des réactions indignées dans le monde entier. La commission d’enquête nommée par le gouvernement d’Israël rejette en février 1983 la responsabilité indirecte du massacre sur le ministre de la Défense Ariel Sharo, sur le chef d’état-major Rafaël Eytan, sur le chef de l’Aman Yehoshua Saguy, et sur leurs subordonnés qui « auraient dû prévoir à l’avance » que les Phalanges chrétiennes étaient capables de se livrer à de tels excès. En même temps, la commission déclare catégoriquement qu’aucun ministre, aucun officier et aucun soldat israélien n’a participé au massacre. Contraint de démissionner du ministère de la Défense, Ariel Sharon est nommé ministre sans portefeuille. Ce remaniement affaiblit le gouvernement où Sharon était le principal soutien de Begin, son officier d’opérations dans tous les domaines essentiels. Quelques mois après, Menahem Begin démissionne à son tour. Le départ de ces deux hommes clés provoque l’effondrement de la politique de sécurité israélienne au Liban. La guerre, qui aurait pu se terminer au printemps 1983, va se prolonger jusqu’à l’été 1985, portant le total des pertes de Tsahal à 600 hommes. Miracle des miracles, le Mossad sort une fois de plus blanc comme neige de toute l’affaire. La commission d’enquête le dégage de toute responsabilité sous prétexte que son chef, Nahum Admoni, n’est entré en fonction que quelques jours avant le massacre de Sabra et Chatila. Quant à Yitzhak Hoffi, il avait déjà quitté son poste. Pas un des agents du Mossad qui étaient en relation avec les Phalanges, avec Béchir Gemayel avant son assassinat, avec les chefs des unités libanaises entrées à Sabra et Chatila, n’est accusé de la moindre responsabilité « indirecte ». Comme si le Mossad n’avait joué aucun rôle au Liban. La commission d’enquête a travaillé dans le plus grand secret. Sauf dans de rares cas, elle a recueilli tous les témoignages à huis clos – en particulier ceux des agents du Mossad. On peut se demander comment le Mossad s’est dégagé de toute responsabilité concernant les activités des Phalanges, et pourquoi les membres de la commission d’enquête l’ont lavé de tout soupçon. C’est pourtant le Mossad qui a jalousement gardé le monopole des relations avec les milices chrétiennes du Liban, qui s’est enorgueilli d’avoir pratiquement « inventé » le lien avec les Phalanges. N’aurait-il pas dû être au courant des intentions de ses « alliés », savoir qu’ils planifiaient un massacre ? Et, surtout, comment le Mossad a-t-il pu rester quarante-huit heures dans l’ignorance de ce qui s’était passé ? Un officier supérieur du Mossad, que nous appellerons Monsieur X (nommé parfois N) a eu l’audace de déclarer à la commission d’enquête qu’il a assisté à la réunion où les chefs chrétiens ont pris la décision d’entrer à Sabra et Chatila, qu’il n’a rien su du massacre perpétré dans la nuit du jeudi au vendredi malgré sa présence au Liban, et qu’il ne l’a appris que le samedi soir en téléphonant à son fils à Tel-Aviv. Quant à moi, je sais que dans la matinée du samedi, Monsieur X était en train de se bronzer sur la plage de Djouniyé, à deux pas du QG des Phalanges et du PC du Mossad. Lorsqu’un agent du Mossad est venu lui dire qu’il s’était passé « quelque chose de grave » à Sabra et Chatila, il l’a renvoyé en lui disant de « ne pas lui raconter d’histoires à dormir debout ». Il est sûrement possible que le Mossad, qui n’a fourni aucun renseignement authentique digne de ce nom à la veille de la guerre, ait ignoré ce qui se passait chez ses amis chrétiens, se révélant ainsi incapable du début à la fin. Dans ce cas, la commission d’enquête aurait dû au moins l’accuser d’incompétence monumentale, dont les responsables étaient Yitzhak Hoffi, son adjoint-successeur Nahum Admoni et, bien entendu, Monsieur X, qui les représentait au Liban. Admoni a assumé sa fonction de chef du Mossad quelques jours avant le massacre, mais en qualité d’adjoint de Hoffi, il était sûrement tenu au courant des relations avec les Phalanges. Si la commission d’enquête n’a pas rejeté la responsabilité de l’affaire sur le Mossad, comment a-t-elle pu reprocher au ministre de la Défense et à certains officiers de Tsahal de n’avoir pas « prévu » le massacre ? C’est tout de même le Mossad et ses officiers supérieurs, comme Monsieur X, qui étaient au Liban « les yeux et les oreilles » de Begin et de Sharon. Un Mossad aveugle et sourd, durant toute la guerre du Liban… Dès la publication du rapport de la commission d’enquête, certains milieux politiques appuyés par les médias ont réclamé la tête de Sharon et, si possible, également celle de Begin. La commission leur a jeté en pâture Sharon et ils s’en sont contentés à ce stade. Par ailleurs, le Mossad est une institution sacrée aux yeux de nombreux Israéliens, l’incarnation du secret.
• D’après «Mossad, 50 ans de guerre secrète» de Uri Dan

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