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Sabra et Chatila (2)

© D.R

Peu d’hommes politiques ou de journalistes savent vraiment ce qui s’y passe, même lorsqu’il ne s’y passe rien. Une ignorance qui explique celle aussi du public, dix ans après les tragiques événements du Liban. Certains journalistes craignent d’attaquer ou de désapprouver les services de sécurité comme si une puissance protectrice occulte était capable d’exercer une vengeance contre les critiques téméraires. Il est vrai que ces services peuvent faire un usage illégal de leur force, mais quel est le sens d’un Etat démocratique lorsque les hommes publics et les médias font des courbettes aux chefs des services de sécurité comme si c’était leur devoir ? Même à Moscou, ce n’est plus de saison. Un journaliste fait exception. Le 13 janvier 1989, Alouf Benn écrit dans le journal Ha’ir : L’arrogant N était responsable entre autres du dossier libanais. Son zèle infatigable a pris fin le jour du meurtre de Béchir Gemayel… Le cuisant échec du Liban, resté collé comme une tache indélébile au nom de Hoffi et le rapport de la commission Cohen, ont appris au chef du Mossad combien son siège était branlant… Depuis sa création, la liste des fiascos du Mossad n’a fait que s’allonger… Le dernier en date est la guerre du Liban où l’appui enthousiaste d’un groupe de hauts responsables du Mossad a, dans une large mesure, entraîné Israël à forger une désastreuse alliance avec les Phalanges… L’affaire des témoignages du Mossad devant la commission d’enquête est un scandale en soi. Je suis personnellement au courant des mensonges de Monsieur X qui, par miracle, n’ont pas incriminé d’innocents Israéliens dans le massacre de Sabra et Chatila. Pauvre Begin qui n’a pas appris la terrible nouvelle par le Mossad placé sous sa responsabilité, mais par un bulletin d’information de BBC, deux jours après le massacre! Monsieur X – il a quitté entre-temps le service pour « faire de l’argent » grâce aux relations acquises dans ses fonctions – était aussi en contact avec un important représentant de la CIA dans la région. Il « échangeait des idées » avec lui sur les conséquences politiques de la guerre du Liban : en l’occurrence, la destitution d’Ariel Sharon, haï du gouvernement américain, et le départ de Menahem Begin de la vie politique. L’Américain était en si bons termes avec Monsieur X qu’il se permit de dire publiquement : Sharon s’en ira prochainement, le bordel prendra fin et nous pourrons rétablir l’ordre au Liban… Le 23 octobre 1983, cet « ordre » coûtera aux Etats-Unis la vie de 239 soldats tués dans l’explosion d’un camion-suicide du Hezbollah au QG des Marines à Beyrouth, tandis qu’un autre camion-suicide faisait au poste français 58 victimes. Et c’est Sharon qui, avant sa démission, avait plusieurs fois conseillé aux Américains de ne pas poster de Marines à Beyrouth à cause des résistants restés dans la ville. Washington a exploité cette relation entre Monsieur X et les représentants de la CIA, à première vue légitime et officialisée, pour accélérer la chute du gouvernement Begin et le départ de Sahron. C’est la raison pour laquelle la CIA et le Département d’Etat n’ont pas permis aux dirigeants chrétiens du Liban de signer un véritable accord de paix avec Israël, même et surtout après l’assassinat de Béchir Gemayel. Afin que Begin et Sharon ne puissent pas le présenter au public israélien comme un important succès de la guerre du Liban. Monsieur X était en si bons rapports avec la CIA qu’il tenait ses amis de Washington au courant des travaux de la commission d’enquête. Après sa comparution, il leur écrivit que les membres de la commission avaient trouvé son témoignage « brillant » et l’avaient comparé à Kissinger pour « sa façon passionnante d’exposer les faits ». Un mégalomane ! Pour compléter la triste histoire du Mossad, devenu infirme à l’époque de Hoffi, il est impossible de ne pas planter le dernier clou dans cet immense cercueil plein de cadavres, y compris celui de la justice israélienne. La date de publication du rapport de la commission d’enquête, fixée au 8 février 1983, fut tenue secrète et, la veille seulement, une copie en fut remise au Premier ministre. Mais Nahum Admoni connaissait déjà cette date depuis quinze jours et il savait que le Mossad et lui-même sortiraient intacts de l’épreuve. Le Mossad,, qui ne savait pas ce qu’il fallait savoir au Liban, savait ce qu’il n’aurait pas dû savoir à Jérusalem. La preuve, Admoni invita à dîner, pour le 8 février, l’avocat qui l’avait représenté auprès de la commission d’enquête « pour célébrer » l’événement. On ne célèbre pas en général une mauvaise nouvelle : le chef du Mossad savait qu’il pourrait fêter son innocence et celle de son service. Admoni ne peut pas démentir la chose. Dans l’agenda du chef du Mossad, qui reste obligatoirement dans les archives du service, l’invitation à dîner de l’avocat est dûment notée. Lorsque j’apprends à Ariel Sharon fin janvier que le rapport de la commission d’enquête sera publié le 8 février et que le Mossad en sortira blanc comme neige, le ministre de la Défense ne me croit pas: Mais la commission a refusé de divulguer la date de publication de son rapport et à plus forte raison ses conclusions… C’est vrai. Mais Admoni dîne avec son avocat le 8 février. Vous pouvez commencer à emballer vos affaires au ministère de la Défense. Si le Mossad est innocenté, c’est que vous avez été désigné comme le coupable… Ariel Sharon n’en croit toujours pas ses oreilles. Six ans après cette date fatidique, le journal Ha’ir publie un article sur le rôle de Nahum Admoni au Liban : Le massacre de Sabra et Chatila est intervenu quelques jours après son entrée en fonction à la tête du Mossad. Il était impossible de dissimuler le rôle du Mossad au Liban à la veille du massacre, mais son chef a réussi à passer entre les mailles du filet. La commission d’enquête a conclu qu’on ne pouvait rien lui reprocher puisqu’il venait d’entrer en fonctions. D’autres ont payé le prix. Sur les milliers ou les centaines de milliers de mots publiés à propos de la guerre du Liban, cette petite phrase est peut-être ce qui a été de plus vrai sur l’affaire. Les Israéliens, notamment les hommes politiques et les membres de la presse, ne souhaitaient pas connaître la vérité sur le rôle du Mossad au Liban et le sang inutilement versé par sa faute, préférant s’occuper de querelles politiques mesquines et de lutte pour le pouvoir. Monsieur X a quitté le Mossad en 1985. Il a eu le temps d’y monter en grade, et d’être récompensé sur le compte de l’Etat. Il a fait une somptueuse tournée dans des pays exotiques. Puis on l’a envoyé se perfectionner pendant un an à Boston. De là, s’il le désirait, il pouvait demeurer en contact étroit avec ses amis de la CIA et du Département d’Etat.
• D’après «Mossad, 50 ans de guerre secrète» de Uri Dan

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