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Tout sur mohammed V (3)

© D.R

Mohammed V était un travailleur acharné. Il commençait sa journée à 6h45 par la visite de ses chantiers de construction. Puis il passait à son travail de gouvernement ; en somme quinze à dix-huit heures chaque jour. Ses familiers eussent été en droit de se plaindre d’une activité qui était souvent peu compatible avec leur vie familiale ; tous, en effet, étaient mariés et père de famille. Ils donnaient ainsi la preuve que l’équilibre de leur vie privée s’harmonisait parfaitement avec leur engagement professionnel. Ils formaient un groupe uni, parfaitement homogène, sans jalousie les uns pour les autres et un tel résultat ne put se maintenir pendant trente ans que grâce à la maîtrise de celui qui les commandait. Tous adoraient ce chef auquel ils étaient dévoués corps et âme et qui se montrait pour eux si juste et si bon. C’était un homme de coeur et tout le peuple fut unanime à évoquer cette bonté, au cours des journées qui suivirent sa mort. Au retour de son exil, alors qu’un de ses amis lui disait, en parlant d’un de ceux qui l’avait desservi pendant son absence : « Un tel n’a vraiment pas été très malin… », le Roi répondit à son interlocuteur : « Mais dans la vie, il ne suffit pas d’avoir seulement de l’intelligence, il faut avoir du coeur et savoir écouter ! Bien souvent, le coeur remplace l’intelligence ». Mohammed V était fidèle en amitié, prévenant, régulier. En septembre 1952, je tombais gravement malade. Au cours de cette maladie, Sidi Mohammed Ben Yousef me manifesta une affectueuse sollicitude dont je fus infiniment touché. Venant me voir deux à trois fois par semaine, tant à l’hôpital Marie Feuillet où j’étais soigné qu’à mon domicile, lorsque je fus autorisé à regagner ce dernier. Au cours de ces entretiens très amicaux, il ne fut jamais fait allusion aux événements politiques ; il ne fut pas question, entre nous, ni de l’interview accordée à un journaliste américain, ni du discours du Trône prononcé quelques jours plus tard. Cette réserve observée tant par mon Auguste interlocuteur que par moi-même était significative autant pour l’un que pour l’autre. Il me faut reconnaître que si les sentiments d’amitié de Sidi Mohammed Ben Youssef sont restés constamment les mêmes, il évitait depuis de nombreux mois dans cette période de crise de me manifester trop publiquement les marques d’une ferveur, dont ceux qui le supportaient dans sa lutte contre la Résidence, risquaient de prendre ombrage. En homme de coeur, le Souverain saisit l’occasion discrète de me prouver que ses sentiments à mon égard étaient restés inchangés. Ce que son entourage appréciait surtout en lui, c’était cette liberté qu’il leur laissait, aussi bien dans leur façon de penser que dans leurs habitudes. C’était en effet pour Mohammed V une règle absolue que de respecter la personnalité de chacun. Pour lui, toute opinion méritait d’être prise en considération, même celle qui était aux antipodes de sa propre pensée, à condition qu’elle fût sincère. S’il ne se laissait jamais de recueillir, sur les questions qui l’intéressaient, les avis les plus divers, Mohammed V n’aimait pas les conseils ! Sans doute classait-il parmi les balourds ceux qui les prodiguent et parmi les dangereux ceux qui se vantent d’être écoutés. Ce n’est qu’après s’être informé minutieusement et complètement, ce n’est qu’après avoir longuement réfléchi, que le Roi tirait ses conclusions. Il n’abandonnait à personne le soin de manoeuvre même la plus petite pièce de l’échiquier politique. Je ne me suis personnellement jamais permis de donner le moindre conseil au Souverain ; tout au plus, dans de rares circonstances ai-je avancé quelques suggestions que je me suis efforcé d’étayer de solides arguments. Si par la suite, il m’était arrivé d’apprendre, toujours indirectement, que certaines décisions avaient été prises dans le sens qui m’avait paru le meilleur, j’ai toujours cherché à ignorer dans quelle mesure mes propos avaient pu être efficaces. Mohammed V se plaisait beaucoup dans cette escrime à fleuret mouchetée qu’il m’avait révélée. J’y avais pris moi-même un très grand goût. Ceux qui me sollicitaient pour m’informer tendancieusement ignorèrent toujours l’exacte portée de leurs paroles. Mohammed V était d’une discrétion absolue et il s’attendait à ce que ses proches aient la même attitude. Il me confirma le jour où je lui avançais qu’à mes yeux il m’apparaissait comme un «coffre fort», rien ne sortant jamais de sa bouche que ce qu’il voulait qu’on soit sûr. Lorsque les rapports commencèrent à se tendre entre le Palais et la Résidence Générale, je commentais les événements avec un de mes amis assez intimes et je lui fis part de mon désaccord avec la politique menée par les représentants de mon pays et, en matière de conclusion, je lançais la boutade suivante : «La Résidence a sa politique ; j’ai la mienne et les deux ne sont pas les mêmes». Tel le boomerang, le propos me revint identique peu après dans la bouche du Souverain. Je compris que cet ami n’avait pas résisté au désir de faire part au Souverain d’un point de vue qui aurait dû rester confidentiel, étant donné qu’il reflétait une conversation que nous venions d’avoir ensemble. La discrétion n’est pas chose commune parmi les hommes, même parmi ceux qui, du fait des fonctions qu’ils exercent, devraient pourtant s’en faire une loi. On dit les femmes bavardes, mais ce n’est point là l’apanage féminin et les hommes à ce point de vue ne leur cèdent en rien. Je n’ai guère connu à cette règle qu’une exception qui n’était autre que Mohammed V. Il avait gardé un secret et cela n’était pas une de ses moindres qualités d’homme d’Etat. Mohammed V n’acceptait pas la déchéance. Il estimait qu’il devait être en possession de tous ses moyens pour assumer les fonctions de sa charge. «Vous ne voyez pas, dit-il quelques jours avant sa mort, le Roi du Maroc tendre l’oreille et faire répéter sa phrase à l’interlocuteur, au cours de ses audiences». En septembre 1959, les professeurs Garcin, David, Aubry et Wolfrom avaient effectué à ma requête le déplacement de Paris pour consulter le Souverain. Selon ces éminents spécialistes, aux côtés desquels je m’étais depuis lors rangé, l’état de santé du Souverain ne présentait aucune indication chrurgicle. Le professeur Aubry avait même affirmé : «qu’il s’agissait d’un Ménière qui disparaîtrait quand il le voudrait». Le Souverain s’était cependant tourné vers celui qui, de bonne foi et en toute honnêteté, lui avait fait entrevoir la possibilité de retarder de deux ans l’apparition de la surdité dont il était menacé. Au cours des quelques semaines qui précèdèrent la fatale intervention, et malgré l’avis formel qui lui avait été donné, il continuait son labeur de chaque jour. Mais chaque matin, il acceptait de se remettre entre les mains des médecins spécialistes chargés des soins préopératoires. Bien que ma présence fût pratiquement inutile, n’ayant rien à faire sur le plan technique, c’était une joie pour moi que d’accompagner mes confrères: j’étais heureux de le rencontrer et, bien qu’il parût soucieux et souvent taciturne, je savais que lui aussi était heureux de ma présence. Nous nous connaissons depuis de trop longues années pour ignorer nos pensées. Lorsque l’occasion s’offrait, j’en profitais pour lancer une de ces boutades dont j’avais coutume et j’étais heureux lorsque je voyais apparaître le sourire qui le détendait. La dernière fois que j’eus l’occasion de lui parler ce fut pour lui lancer : «Comme je plains Votre Majesté de se retrouver chaque matin aux prises avec ses médecins. Les médecins, Sire, il faut les voir à table mais non dans l’exercice de leur fonction. Mais, au fait, si Votre Majesté me le permet, je vais lui poser une question : « A qui préfère-t-elle avoir à faire ? Aux médecins dans l’exercice de leur fonction ou aux hommes politiques?» Le Roi partit d’un bon éclat de rire et me répondit : «Ah ! ça, aucune hésitation ! Les médecins sont mille fois préférables».

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