Le chef de l’Etat, en temps normal omniprésent à la télévision, n’a fait aucune adresse à la nation depuis le début de cette vague d’attentats. Une discrétion qui dissimule mal, selon les analystes, les limites atteintes par sa politique dans le Caucase du Nord, où « l’opération antiterroriste » (ou deuxième guerre de Tchétchénie) s’enlise depuis près de cinq ans.
Mercredi, M. Poutine est rentré de sa résidence d’été de Sotchi, sur la mer Noire, quelques heures après le début d’une prise d’otages dans une école d’Ossétie du Nord, dans le Caucase russe. Quelques images de sa réunion d’urgence avec le ministre de l’Intérieur, Rachid Nourgaliev, le chef du FSB (services spéciaux) Nikolaï Patrouchev et celui des garde-frontières, Vladimir Pronitchev, ont été diffusées par les télévisions russes, mais sans son. Seul le ministre de la Défense, Sergueï Ivanov, s’est exprimé à la télévision, évoquant « une guerre sans adversaires visibles ni ligne de front » déclarée à la Russie. « Que peut dire Poutine, puisqu’il est incapable de résoudre le problème tchétchène ? Il n’a rien à dire et les forces de l’ordre sont incapables de lutter contre le terrorisme », a commenté Iouri Korgouniouk, un analyste de la fondation Indem. Après l’explosion qui a fait onze morts mardi à Moscou, attribuée à une kamikaze et revendiquée par le groupe islamique soutenant les séparatistes tchétchènes qui avait déjà revendiqué la double catastrophe aérienne, le président russe n’a fait aucun commentaire. Alors que la presse évoquait un double attentat contre deux avions de ligne et titrait sur « le 11 septembre russe », M. Poutine avait attendu près de vingt-quatre heures pour intervenir à la télévision. Revenu là encore d’urgence de Sotchi, il s’était contenté de réclamer la « vérité » et de présenter ses condoléances aux familles des victimes.
Un jour de deuil avait été déclaré mais aucune cérémonie officielle n’a été organisée et le président russe n’a pas eu d’occasion de revenir sur le sujet. La lenteur des autorités à reconnaître la piste terroriste avait soulevé les soupçons de la presse sur la volonté de masquer l’échec de la politique en Tchétchénie. Sa seule déclaration importante depuis a été, une semaine plus tard, pour réaffirmer sa volonté de combattre les « terroristes » en Tchétchénie, en dénonçant leurs liens avec le réseau Al-Qaïda – qu’il a lié au double attentat aérien -, lors d’une rencontre avec le président français, Jacques Chirac et le chancelier allemand, Gerhard Schroeder. Une retenue tranchant avec ses déclarations choc sur la Tchétchénie, comme en septembre 1999 quand il appelait à « buter les terroristes jusque dans les chiottes ». C’était juste avant le lancement, en octobre 1999, de la deuxième guerre de Tchétchénie, qui allait devenir la clef du succès à l’élection présidentielle de mars 2000 de ce partisan d’une ligne dure à l’égard des indépendantistes tchétchènes.
Cette vague d’attentats « est un échec total de notre politique dans le Caucase », où les forces russes et tchétchènes pro-russes sont accusées par les ONG de multiples exactions contre la population civile, analyse le politologue, Andreï Piontkovski. Selon lui, la politique intransigeante du président Poutine a eu pour effet de « pousser une partie de la résistance vers le terrorisme international ».
• Delphine Thouvenot (AFP)