Tel Siméon le stylite, Omar Ali Abou Bakr, qui se présente comme un opposant libyen, vit depuis dix mois dans un arbre, à proximité de l’ambassade des Etats-Unis, dans un quartier résidentiel de Rabat, en attendant d’obtenir un statut de réfugié politique. "J’ai été torturé et jeté en prison en 1998 après l’explosion d’une salle de réunion à Ras Lanouf (à 600 km à l’est de Tripoli, dans le Golfe de Syrte). J’y ai croupi durant cinq ans", raconte cet homme de 27 ans, perché sur son ficus, où l’on devine à travers les feuillages un sac de couchage.
"En sortant, j’ai appris que ma femme avait été violée par les agents des services de sécurité libyens et que huit membres de ma famille avaient été tués", ajoute-t-il. Il a donc décidé de fuir et a réussi à monter à bord d’un navire pour débarquer à Casablanca.
Il se rend aussitôt à Rabat et s’installe, rue Meknès, entre le siège du Haut commissariat de l’Onu pour les réfugiés (HCR) et la légation américaine. "Ici, c’est parfait: je n’ai pas dû marcher des kilomètres pour obtenir un statut de demandeur d’asile et je suis à l’abri des tueurs du (colonel Mouamar) Kadhafi car l’ambassade de Bush est très protégée", explique en souriant ce gaillard à la chevelure et à la barbe rousses. En fait, il occupe deux arbres distants d’une centaine de mètres. Sur le premier, il dort et sur le second, il se lave et fait sa lessive. Il a accroché un seau à une ficelle pour sa douche et a tendu une cordelette pour accrocher son linge. L’homme porte d’ailleurs une chemise colorée et un pantalon gris immaculé. "Je ne dors jamais sur le sol. Je me lave et change de vêtements tous les jours", assure-t-il. Les voisins sont partagés sur sa présence. Chaker ben Ali, un analyste financier, estime qu’il a une attitude indécente. "Pour prendre sa douche, il se dévêt complètement ou reste en caleçon, ça choque les femmes du quartier", se plaint-il.
Pas du tout, rétorque Moustapha el Hou, 46 ans, qui lui donne à manger plusieurs fois par semaine. "Je ne suis pas le seul, d’autres habitants le nourrissent. Il faut être solidaire et aider son prochain dans le besoin. D’ailleurs, il ne fait aucun mal", soutient ce gardien d’une villa cossue. "Je peux vous confirmer qu’il a déposé effectivement une demande de réfugié, et nous lui avons délivré une carte de demandeur d’asile. Cela signifie que selon les conventions internationales, il est sous notre protection", a certifié à l’AFP Marouane Tassi, attaché de liaison au HCR à Rabat. Selon la procédure, une personne, qui demande le statut de réfugié, est enregistrée et doit passer un entretien. Il obtient, en attendant la décision, un document valable trois mois, mais renouvelable, prouvant qu’il est demandeur d’asile.
Si sa demande est rejetée, il a 30 jours pour faire appel, et une nouvelle enquête démarre. Durant, toute cette période, il est sous la protection du HCR et ne peut être renvoyé dans son pays.
"Depuis mai, il y a un afflux. Nous recevons chaque jour 40 à 50 demandes qu’il faut traiter. C’est considérable mais nous faisons face et je peux vous assurer qu’en une semaine le requérant obtient son attestation de demandeur d’asile", explique M. Tassi.
A l’extérieur, des dizaines d’Africains attendent. "J’habite à l’autre bout de la ville et je viens à pied chaque jour pour obtenir un renouvellement de ma carte de demandeur d’asile, mais chaque fois, ils me disent de revenir dans une semaine", assure Issa Bassuki, un Congolais de 33 ans.
"Faux", rétorque M. Tassi, rendez-vous donné, rendez-vous honoré. Ils voudraient rentrer ici et attendre jusqu’à ce que nous leur donnions leur carte de réfugié. C’est impossible".
Omar Ali Abou Bakr se faufile dans cette foule avec un bidon en plastique qu’il fait passer au-dessus du portail. Un des gardiens du HCR le lui remplit d’eau. "Moi, j’habite à côté, c’est plus facile. Il faut seulement savoir être patient", garantit-il.
• Sammy Ketz (AFP)