Après la contestation pacifique de la plus haute autorité religieuse chiite, le grand ayatollah Ali Sistani, qui a rejeté la loi fondamentale devant régir la période de transition, le jeune chef religieux radical, Moqtada al-Sadr, a décidé de lancer ses troupes dans la rue. Ali Sistani conditionne tout contact avec l’Onu au rejet par l’organisation internationale de la loi fondamentale provisoire adoptée le 8 mars par l’Exécutif irakien sous l’influence des Etats-Unis.
Cette position du chef spirituel des chiites a été transmise dans une lettre à l’émissaire du secrétaire général de l’Onu, Lakhdar Brahimi, attendu lundi à Bagdad. Qualifiant la loi fondamentale de « loi étrangère » imposée « par les forces d’occupation », l’ayatollah Sistani demande à l’Onu d’adopter « une position claire affirmant que l’Assemblée nationale (irakienne) ne sera pas engagée par la loi fondamentale et que celle-ci ne figurera dans aucune résolution du Conseil de sécurité de l’Onu sur l’Irak ». Mais la contestation d’une partie de la communauté chiite s’est aussi déplacée dans la rue ces derniers jours, sous l’impulsion de Moqtada Sadr.
« La rue est échauffée, le chômage est très élevé, le niveau de vie est très bas. Des personnalités respectées sont liquidées, même des enseignants intègres sont assassinés, c’est le règne de l’insécurité », a affirmé un professeur de sciences politiques de l’Université de Bagdad. « C’est le sommet de l’iceberg qui émerge », a dit ce professeur, Hassan al-Ani. « Tous ces jeunes désoeuvrés sans travail constituent un terrain favorable de recrutement pour le jeune et bouillant chef chiite », a-t-il ajouté. Il a rappelé les manifestations de chômeurs dans différentes régions chiites depuis trois mois, que ce soit à Amara, à Bassorah, à Kout (dans le sud), à Najaf (centre) ou encore à Bagdad. « Plus de 60% de la population active est au chômage dans une société où près de 70% des habitants ont moins de 20 ans. Ces jeunes sont prêts à épouser n’importe quelle cause qui puisse leur rendre leur dignité et leur donner un sentiment de puissance », a-t-il dit, relevant que les aspirations de ces jeunes ont trouvé écho auprès du mouvement Sadr. Profitant en outre de la psychose née des attentats antichiites ayant fait début mars 182 morts et 556 blessés à Bagdad et Kerbala, le jour de l’Achoura, sacré pour cette communauté dans ce pays, les partisans de Sadr veulent se poser comme protecteurs des lieux saints, rôle que leur refuse la coalition. Ils ont ainsi fait défiler dans la banlieue chiite de Sadr City à Bagdad quelque 15.000 miliciens de l’Armée du Mehdi, créée en juillet 2003, lors d’une sorte de parade militaire organisée et disciplinée.
A l’issue de la marche, un responsable du bureau de Sadr, Qaïss al-Khazaali, a affirmé qu’il s’agissait d' »une démonstration de force pour prouver le poids de son mouvement dans la communauté ». Selon ce professeur, le mouvement Sadr tente de jouer sur les fibres nationalistes et religieuses des jeunes. Un des dirigeants du mouvement Sadr à Bagdad, haranguant des miliciens de l’Armée du Mehdi, a proclamé : » Nous sommes les instruments du Hamas (palestinien) et du Hezbollah (libanais) en Irak ». Cependant, les proches de l’ayatollah Sistani sont opposés à ce désir de confrontation avec la coalition. Un des membres du bureau de ce dignitaire religieux avait récemment affirmé à l’AFP prôner la voie pacifique pour régler les désaccords avec la coalition.
• Nadra Saouli AFP