«Les avis sur la question sont très partagés, entre ce qui est considéré comme acceptable et ce qui ne l’est pas, et il est difficile de parler d’islamistes en tant que groupe homogène », prévient l’analyste d’origine algérienne Hasni Abidi. Par ailleurs, « les situations sont différentes », les mouvements palestiniens ayant par exemple une cause de « libération nationale », s’empressent-t-ils de le souligner. Quarante et une personnes, dont 12 kamikazes, ont été tuées le 16 mai à Casablanca, dans une série d’attaques à la bombe, et 34 autres, dont 8 Américains et 9 kamikazes, le 12 mai, à Riyad. Les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, commis par 19 kamikazes, avaient été accueillis par des applaudissements dans les rues du Caire, donnant la mesure de la frustration, de la désespérance politique et de l’anti-américanisme dans un pays dont le régime est allié de Washington. Considéré comme l’arme du faible face à la machine de guerre israélienne, l’attentat-suicide se justifie car il constitue un « dernier recours », pense le mufti d’Egypte, cheikh Ahmed Al-Tayeb. «Les opérations martyres en Palestine sont licites à 100%», a-t-il ainsi répété en mars. Partant de l’analyse que la force adverse, qu’il s’agisse de l’armée israélienne ou de la coalition américano-brritannique en Irak, pratique le «terrorisme», nombre de religieux musulmans, y compris proches de régimes modérés, justifient sans retenue les attentats-suicide. Et ce bien que le suicide soit interdit par l’islam. «Les opérations martyres contre les forces d’invasion (en Irak) sont autorisées par la loi» islamique, déclarait ainsi en avril l’imam d’Al-Azhar, Mohammed Sayyed Tantaoui, qui représente la plus haute autorité de l’islam sunnite. Pour ce dignitaire nommé par le président Hosni Moubarak, l’occupation de l’Irak est une «agression injuste», et «quiconque attaque autrui, verse du sang, porte atteinte à l’honneur et à la terre des autres est un terroriste». Quant au mufti de Syrie, cheikh Ahmad Kaftaro, il a été plus loin, appelant «les musulmans à utiliser tous les moyens possibles pour faire échouer l’agression (américaine), y compris les opérations martyres». Pourtant, cheikh Tantaoui a condamné les attentats de Riyad et de Casablanca, perçus cette fois comme une atteinte au monde musulman. De tels actes «nuisent à la réputation de l’islam et des musulmans», a aussi estimé le chef spirituel des fondamentalistes chiites au Liban, Mohammad Hussein Fadlallah. Et pour les islamistes des Frères musulmans, ces attentats «servent les intérêts des ennemis de l’islam (…) qui pratiquent le terrorisme en Palestine, en Irak et en Afghanistan», allusion claire à Israël et aux Etats-Unis. Certains «cherchent à semer le chaos dans les pays musulmans, à trouver des prétextes pour les occuper», estiment-ils. Cette thèse est partagée par de nombreux islamistes modérés, souligne M. Abidi, qui dirige à Genève le Centre d’études et de recherches sur le monde arabe et méditerranéen (Cermam). «Ils craignent que ces attentats provoquent une répression accrue par les régimes en place, et menacent leur stratégie de progression sans violence vers le pouvoir», a-t-il expliqué. «Ceux qui ont été tués sont des gens pauvres ou des civils, c’est inacceptable», souligne pour sa part le chef spirituel des Frères musulmans, Maamoun al-Hodeiby. Pour lui, de tels actes n’ont que des retombées négatives. «Même si ces attentats n’ont pas eu lieu en Egypte, les conséquences sur le tourisme s’y feront sentir, car les gens ont peur de voyager», a-t-il ajouté.
• Michel Sailhan (AFP)
