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Presse : La tempête allemande

La presse quotidienne allemande est confrontée à sa plus grave crise depuis la guerre. Depuis plusieurs mois, nombre de quotidiens multiplient les économies. Plans sociaux, pagination réduite, suppléments abandonnés, les quatre titres qui revendiquent une audience nationale sont particulièrement touchés : à l’instar de la Süddeutsche Zeitung, le quotidien de gauche Frankfurter Rundschau a lancé une vaste restructuration pour tenter d’assurer sa survie. Ses effectifs doivent passer à 1 200 salariés en 2004, contre 1 600 début 2001. Son voisin et rival conservateur, la Frankfurter Allgemeine Zeitung, a annoncé près de 200 suppressions de postes, dont une centaine dans la rédaction (Le Monde du 6 novembre). Seul du lot à être adossé à un groupe puissant (Springer), Die Welt, à Berlin, a été contraint de fusionner ses équipes avec celle d’un quotidien local aussi contrôlé par sa maison mère, le Berliner Morgenpost. A la clé : près de 120 emplois supprimés (Le Monde du 7 juillet).
« Le séisme actuel est violent, mais il est en bonne partie conjoncturel. La crise est surtout financière »,dit Helmut Heinen, le président de la Fédération des éditeurs de journaux allemands. Faiblesse de la croissance oblige, les recettes publicitaires se sont effondrées. Les petites annonces d’emplois ont chuté de 41 % cette année par rapport à 2001. Les journaux, très épais il y a peu, ont sérieusement maigri. Après une période de vaches grasses, liée à l’euphorie suscitée par la bulle technologique, ce retournement brutal a fait d’autant plus mal que l’équilibre financier des principaux quotidiens allemands dépend aux deux tiers, voire davantage, de la publicité et des annonces. En deux ans, le chiffre d’affaires de la Frankfurter Rundschau a reculé d’une cinquantaine de millions d’euros, pour atteindre péniblement 140 millions cette année. La tendance est générale : « Le boom de la fin des années 1990 est difficile à digérer. La plupart des éditeurs se sont diversifiés à grands frais, en particulier dans Internet. Ils doivent aujourd’hui couper dans les sureffectifs et se recentrer sur leurs activités historiques », indique-t-on du côté de la Westdeutsche Allgemeine Zeitung (WAZ), géant de la presse régionale installé dans la Ruhr.
Néanmoins, le problème pourrait être plus grave encore. L’expansion de la télévision, avec l’essor des chaînes privées dans les années 1980, puis le boom d’Internet exercent une concurrence de plus en plus sensible. C’est vrai tant sur le plan de la publicité que sur celui des ventes. Si le taux de pénétration de la presse allemande demeure élevé – 371 exemplaires de journaux achetés pour 1 000 habitants (contre 181 en France) –, la diffusion totale des quotidiens s’effrite peu à peu : elle est passée de 19,5 millions en 1995 à 17,8 millions cette année. Ce déclin progressif touche en premier lieu les titres régionaux, qui constituent l’essentiel de la diffusion. La diversité et la vitalité de la presse locale et régionale ont certes de quoi faire baver d’envie les éditeurs français, avec plus de 330 titres distincts.
A Berlin, Munich ou Cologne, plusieurs journaux se disputent encore les faveurs des lecteurs, sans compter les quotidiens populaires comme Bild. Mais le nombre de titres régionaux, malgré l’unification, a décliné de près d’un tiers depuis les années 1960.
« L’enjeu fondamental, c’est de toute façon la perte d’influence des quotidiens vis-à-vis des jeunes », dit Hermann-Dieter Schröder, un universitaire de Hambourg spécialisé dans l’économie des médias. 77 % de la population allemande affirme lire régulièrement un quotidien, qu’il soit régional ou national. Mais la proportion tombe à 65 % pour les 20-29 ans. S’il rejette l’hypothèse d’une faillite de son journal, Utz Grimmer, un cadre supérieur de la Frankfurter Rundschau, est plutôt pessimiste pour l’ensemble de la profession : « La génération de ceux qui voulaient lire un journal à tout prix le matin au petit déjeuner passe la main. Les jeunes sont éduqués de manière beaucoup plus visuelle, selon des schémas imposés par la télévision, et impossibles à transposer dans la presse écrite. » Même en cas de forte reprise, les petites annonces d’emplois iront en partie vers les supports de type Internet, prédit M. Grimmer. Du coup, selon lui, la crise actuelle est sans doute passagère sur le plan conjoncturel, mais les quotidiens pourraient avoir du mal à retrouver leur santé d’antan.

• Philippe Ricard
Le Monde du 28/11

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