Que s’est-il passé réellement au camp Gdim Izik ? C’est la grande question à laquelle la Commission d’enquête parlementaire sur les incidents de Laâyoune a essayé de répondre. A travers un rapport de 67 pages, présenté, mercredi 12 janvier, lors d’une séance plénière devant la Chambre des représentants, la Commission parlementaire a mis en avant les conclusions à propos des incidents sanglants qui ont secoué la ville de Laâyoune. Ayant entamé, lundi 6 janvier, sa mission d’investigation, la Commission, présidée par Rachid Talbi Alami, a présenté, dans son rapport, une chronologie assez détaillée de ces incidents. Elle a retracé, grâce aux témoignages qu’elle a recueillis et les investigations qu’elle a effectuées sur le terrain, une succession des événements, qui ont commencé par le dressage de quelques tentes à Gdim Izik jusqu’à atteindre le dossier du Sahara marocain en passant par le décès de onze éléments des forces de l’ordre et autres actes de vandalisme. La lecture du rapport a été faite par Ahmed Zaïdi, rapporteur de la Commission, en présence des membres du gouvernement. La Commission parlementaire précise, dans un premier temps, qu’au cours des deux semaines ayant précédé l’installation du camp Gdim Izik, pas moins de quatre camps de protestation, plus ou moins consistants, avaient eu lieu dans la région de Laâyoune. Et ce n’est que le dimanche 10 octobre 2010, qu’un camp a vu le jour, en plein désert, à 12 kilomètres de la ville de Laâyoune avec le dressage de 30 tentes. Il s’agit du camp de Gdim Izik qui va se multiplier par dix, selon la Commission parlementaire, dans l’espace de 24 heures. D’après la même source, les tentes ont été dressées d’une manière qui rend difficile l’intervention des forces de l’ordre. En effet, les terroristes, terme utilisé par la Commission pour qualifier les fauteurs de troubles du camp, ont installé des boucliers humains, sous forme d’une ceinture de sécurité, à savoir des tentes abritant des personnes âgées, des femmes et des enfants. Aussi, la Commission indique, dans son rapport, que des informations ayant filtré de l’intérieur du camp ont fait état de l’existence de personnes munies d’armes blanches, de bâtons et de fusils de chasse s’installant au deuxième rang du camp avec l’objectif d’empêcher les habitants du premier rang de fuir au cas où les forces de l’ordre interviendraient. Selon le rapport, les autorités locales avaient tenté de démanteler le camp, le même jour de son installation, mais l’opération n’avait pas abouti. Le 11 octobre, des chioukhs et des notables ont été interdits d’accéder au camp. Selon la Commission, les protestataires ont refusé de dialoguer avec ces derniers, sous prétexte que certains parmi eux ont amassé des fortunes exorbitantes aux dépens de la population. Le même jour, les autorités publiques de Laâyoune ont dépêché des éléments de la Protection civile et des médecins de l’hôpital civil au campement pour garantir les soins sanitaires aux protestataires. Le 12 octobre, soit deux jours seulement après l’installation du camp, le nombre des tentes est passé à 800. Pour assurer la continuité du camp, la Commission souligne que les protestataires avaient mis en place un organigramme d’encadrement. Au menu, une commission, composée de 27 personnes, chargée de gérer les affaires intérieures et extérieures du camp et un comité de dialogue composé de neuf membres. Bien que par la suite, selon la même source, il s’est avéré que cette commission ne figurait pas dans le cadre de l’organisation du camp. «L’objectif était d’empêcher cette dernière de jouir de la légitimité lui permettant de prendre des décisions au nom du camp lors des négociations», explique le rapport. En outre, une direction générale de la sûreté, une direction générale des affaires intérieures et une direction de contrôle général ont été mises en place, en plus d’une brigade de gardes, par les protestataires. Concernant la composition du camp, les investigations menées par la Commission ont permis de constater que 20% seulement des protestataires étaient en état de nécessité. Alors que le reste des protestataires appartenait à d’autres couches sociales, parmi eux figuraient des immigrés venus d’Espagne ayant regagné le Maroc à cause de la crise financière, des séparatistes de l’intérieur, des repris de justice et des personnes recherchées dans le cadre des bandes de contrebandiers.
Le 19 octobre va marquer un tournant dans cette affaire. Après plus d’un mois du dressage des tentes à Gdim Izik, le département de l’Intérieur va dépêcher une commission composée de trois gouverneurs relevant de l’administration centrale sur place pour examiner la situation et proposer des solutions. La commission parlementaire affirme, à travers son document, que lors de la première réunion entre cette commission de l’Intérieur et les représentants du camp, le 21 octobre, ces derniers ont affirmé leur attachement à leur marocanité, que leurs revendications revêtent un caractère purement social et qu’ils n’ont aucun lien avec le séparatisme. Le même jour, la Commission de l’Intérieur ayant mis en avant l’engagement de l’administration centrale à répondre aux revendications des protestataires, la Coordination du camp a demandé un délai de 48 heures pour procéder au recensement, tout en refusant de signer le procès-verbal de l’accord sous prétexte qu’elle n’était pas habilitée à le faire. La Commission d’enquête met également l’accent sur le cas du dénommé Djija Daoudi. Ce repris de justice ayant semé le trouble au camp en forçant, le 24 octobre, à bord d’un véhicule 4×4, un barrage sécuritaire, occasionnant la mort d’un jeune, Najem El Gareh et la blessure de quatre personnes. Le 31 octobre, et lors de la quatrième réunion entre la Commission de l’Intérieur et la coordination du camp, cette dernière va hisser, selon le document, le seuil de ses revendications, en demandant que la ville de Laâyoune soit reliée à Agadir par autoroute, en plus de la fondation d’une université à Laâyoune, la garantie des emplois à tous les jeunes sans exception et la mise en liberté de toutes les personnes poursuivies en justice. C’est ainsi, donc, que la Commission de l’Intérieur a constaté que le dialogue était devenu inutile. Selon la Commission, la coordination du camp était dépassée et les personnes qui dirigeaient réellement le camp étaient «des séparatistes, des repris de justice et des terroristes». Le 4 novembre, le ministre de l’Intérieur, Taib Cherkaoui, va tenir une réunion avec les membres de la coordination du camp. Le ministère a promis, dans ce cadre, l’emploi de tous les jeunes, la distribution des lots de terrain avec l’octroi de soutien financier pour la construction et la distribution des cartes de l’Entraide nationale aux personnes ayant atteint 45 ans. La coordination s’est engagée, pour sa part, dans un premier temps, de démanteler le camp, avant de revenir sur sa décision. La Commission rappelle, par ailleurs, le communiqué du ministère de l’Intérieur du 5 novembre qui avait affirmé que des femmes, des personnes âgées et des enfants ont été interdits de quitter le camp, en plus de la présence dans ce camp de parties étrangères soutenues par le Polisario et l’Algérie. A cette date, la Commission indique que des personnes étrangères ont également réussi à s’infiltrer dans le camp déguisées en habits de Sahraouis, en plus de la présence dans le camp des monnaies étrangères, notamment l’euro, le dinar algérien et le dollar américain. Lundi 8 novembre, jour de l’intervention des forces de l’ordre, le rapport de la Commission affirme que le nombre des tentes a atteint 6000 ayant la capacité d’abriter plus de 20.000 personnes. La Commission souligne qu’à ce jour-là les autorités locales ont informé le Parquet général de la décision de l’intervention des forces de l’ordre pour démanteler le camp. Dans ce cadre, selon la même source, l’ordre a été donné aux forces de l’ordre de ne pas utiliser des armes à feu. Vers 6 heures du matin, l’opération a commencé. Une demi-heure plus tard, le premier groupe des forces de l’ordre est intervenu pour aider les personnes prises en otage à quitter le camp. Selon la même source, et face à la résistance des fauteurs de troubles, le deuxième groupe est intervenu muni de camions à canons d’eau et des bombes lacrymogènes. Face à cette situation, la Commission d’enquête affirme que des protestataires ont mis le feu aux tentes pour empêcher les forces de l’ordre d’accéder au camp. En plus, les terroristes, à bord de véhicules de type 4×4, ont pris d’assaut les éléments de forces de l’ordre. Peu de temps après, les familles des protestataires ont, par ailleurs, manifesté à Laâyoune, suite à de fausses rumeurs faisant état d’un carnage ayant eu lieu lors de l’opération de démantèlement. Selon le rapport, des fauteurs de troubles ayant quitté le camp ont également rejoint les manifestants. D’après la Commission, ces derniers ont semé le trouble à Laâyoune en saccageant plusieurs biens publics et privés. En plus, plusieurs citoyens ont été pris d’assaut. Concernant les victimes de cette opération du démantèlement, la Commission d’enquête a confirmé la version officielle des faits faisant état de la mort de onze éléments des forces de l’ordre et deux civils.
Une région et des contradictions Un effort d’investissement exceptionnel de l’Etat Le rapport de la Commission d’enquête parlementaire sur les événements de Laâyoune indique que l’évolution des indicateurs socio-économiques dans les provinces du Sud s’explique par les efforts déployés par l’état dans le domaine de l’investissement public, dont les réalisations sont bien supérieures à celles faites dans les autres régions du Maroc. Le rapport précise, à ce propos, que le renforcement des infrastructures de base dans ces provinces a nécessité la mobilisation d’énormes ressources financières chiffrées en centaines de milliards de dirhams entre 1976 et 2010. Ainsi, ajoute la même source, le taux d’investissement public par habitant dépasse annuellement 12.820 DH dans ces provinces, contre seulement 5.820 DH au niveau national, alors que les investissements publics dans la ville de Laâyoune en 2010 ont atteint environ 3 milliards DH, soit quelque 22% du total des investissements réalisés dans les provinces du Sud. De même, note le rapport, l’audit des recettes budgétaires de l’état et des comptes spéciaux du Trésor et des établissements publics montre que les provinces du Sud collectent des recettes totales de 7,2 milliards DH, avec une moyenne annuelle des recettes ne dépassant pas 1,44 milliard DH, soit 1,34% des recettes récoltées au niveau national, faisant que le taux de couverture dans les provinces du Sud ne dépasse pas 15%, contre un taux de 62% au niveau national. Le rapport souligne que cet effort d’investissement public a permis d’améliorer sensiblement l’indice du développement humain, atteignant 0,729, soit le niveau le plus élevé au niveau national, exception faite des régions de Rabat-Salé-Zemmour-Zair et du Grand Casablanca. Dysfonctionnements de la gouvernance locale Le rapport note qu’en dépit des efforts déployés par l’état, l’intégration économique et sociale des habitants des provinces du Sud demeure faible, à cause d’un développement démographique rapide, qui a porté la population de Laâyoune à 230 mille habitants, sur 314 mille personnes dans toute la région, en majorité des jeunes. Cette évolution démographique est due à plusieurs facteurs d’attractivité, dont une partie est réelle et concerne le volume des investissements publics et une autre partie fictive constituée par le régime des privilèges, dont la gestion est marquée par le clientélisme et des loyautés diverses. Le rapport fait observer qu’en dépit de l’évolution positive de tous les indicateurs socio-économiques à des niveaux supérieurs à la moyenne nationale, le climat social demeure tendu, soulignant que ce paradoxe entre, d’une part, le volume des investissements et le niveau élevé de ces indicateurs dans la région, et d’autre part, l’exacerbation des protestations sociales suscite des questions sur la gouvernance locale et les facteurs intrinsèques qui bloquent l’intégration des citoyens dans le processus économique. S’agissant de la question de la gouvernance, le rapport indique qu’une première lecture de la composition des investissements publics montre une prédominance des ressources destinées aux infrastructures de base et une faiblesse des ressources réservées aux projets culturels et économiques. La même source précise que sur l’ensemble des projets financés par l’Etat ou l’Agence, entre 2004 et 2010, pour un montant global de 12,8 milliards DH, 11,7 milliards DH ont été destinés au renforcement des infrastructures, alors que seulement un milliard DH a été réservé aux activités génératrices de revenus et à l’initiative privée. Injustice et marginalisation La politique d’investissement de l’Etat, notent les auteurs du rapport, n’a pas concentré ses efforts sur la gestion des ressources humaines dans l’administration territoriale qui aurait permis de mettre en valeur ces énormes ressources financières, relevant que la gestion des principaux services publics économiques et sociaux dans la ville de Laâyoune reste modeste, en raison de la faiblesse de certaines compétences et l’absence d’un régime d’incitation au rendement des ressources humaines au sein de l’administration. Cette faiblesse, poursuit-on, s’aggrave lorsque les intérêts de certains services administratifs locaux coïncident avec ceux d’élus locaux et de notables, produisant des dysfonctionnements qui font dévier de leurs objectifs un ensemble de projets économiques et sociaux, qui au lieu d’être au service de l’intérêt général, servent des intérêts particuliers à travers les canaux du clientélisme et de népotisme. A ce propos, le rapport observe que les budgets des conseils élus, les programmes de l’Entraide nationale, des logements sociaux et du développement humain, la politique de promotion de l’investissement et la subvention des prix des produits alimentaires et énergétiques pourraient être mis au service des intérêts étriqués des élites politiques. Et le rapport d’ajouter que la répartition inéquitable des privilèges et la démission de l’Administration territoriale de sa responsabilité dans la gestion de nombreux dossiers (distribution des cartes de l’Entraide nationale, le contrôle des subventions destinées aux associations de la société civile, l’attribution des projets dans le cadre de l’Initiative nationale pour le développement humain et la distribution des produits alimentaires subventionnés) ont conduit à l’apparition d’un puissant lobby dont l’influence a atteint les intérêts extérieurs de l’Etat, engendrant un climat de tension sociale qu’alimente le sentiment d’injustice et de marginalisation au sein de larges couches de la société. En dépit des réalisations importantes de l’état en matière de logements depuis 1976 dans la région de Laâyoune-Boujdour-Sakia El-Hamra avec un volume global de 44 mille logements et parcelles de terrain, en majorité dans la ville de Laâyoune (6.777 logements et 28.500 parcelles), ajoute le rapport, la revendication de logements sociaux a été la principale cause des protestations sociales ayant conduit à l’installation du campement de Gdim Izik. La même remarque pourrait être faite au sujet des cartes de l’Entraide nationale, bien que les bénéficiaires s’élèvent actuellement à plus de 11 mille. Culture des privilèges et du chantage Le rapport parlementaire indique que l’octroi de privilèges fournis par l’Etat, en dehors de la logique du mérite et de la transparence, a généré une culture de rente et d’assistanat au sein d’une partie, et non de l’ensemble du tissu associatif, qui au lieu d’agir en faveur de questions locales et nationales et de contribuer à la défense de la question nationale, sert les intérêts de certaines élites. De ce fait, souligne la même source, une partie du tissu associatif est soumise à des intérêts sans rapport à l’action associative. Le rapport relève que parmi les phénomènes négatifs issus des politiques publiques et de la gestion de la chose publique par des composantes de la classe politique et des élites, figure ce qu’on pourrait appeler la culture des privilèges et du chantage, au point que même l’Etat n’a pas été épargné par ce chantage à travers l’amplification, par certains, du phénomène séparatiste. Certains leaders ont exploité cette obsession séparatiste comme moyen d’enrichissement, d’accession aux responsabilités et de rapprochement avec les centres de décision politique et économique au sein de l’Etat et des partis politiques, sans pour autant s’inscrire profondément dans la résolution des problématiques sociétales. La création des élites sur la base d’intérêts personnels, qui plus est un moyen inefficient d’encadrement politique, a provoqué un grand dommage au projet national, eu égard à ses contradictions et à l’enchevêtrement d’intérêts de plusieurs parties. Ces comportements ont permis à un groupe de bénéficiaires de s’ériger en leaders en s’adossant à la principale composante sociale au Sahara, la tribu, qui est censée être un outil d’appui à la patrie et qui devient par l’action de ce groupe un outil pour défier la patrie. Carence de la presse S’agissant de la presse, le rapport, qui a salué l’action du gouvernement pour répondre aux campagnes médiatiques visant l’intégrité territoriale, souligne «la nécessité de reconnaître les carences de notre presse lors de ces événements et en d’autres occasions», notant trois exemples qui mettent en évidence ces dysfonctionnements inacceptables, à savoir le traitement occasionnel de ces événements, la redondance du discours et l’adoption d’une attitude défensive, puisque les événements de Laâyoune ont mis en évidence que notre presse est loin d’être préventive. Le rapport observe qu’au moment où le Maroc a réalisé d’importants acquis dans les domaines de la démocratie, de la liberté et des droits de l’Homme, «notre presse charrie encore l’obsession sécuritaire présente depuis plusieurs années, notamment en ce qui concerne la question nationale». S’agissant du troisième point, le rapport a évoqué l’absence du dialogue politique, ajoutant qu’autant les réalisations et les acquis dans les provinces du Sud sont exceptionnels et éclatants, autant la presse ne les met pas en valeur. |