Les nuits ramadanesques à Oujda sont en train de vivre leurs mutations en douceur. De nouveaux comportements s’installent alors que d’anciennes habitudes fléchissent avec le temps. La différence est de taille entre les anciennes veillées de la médina et ce que proposent les nouveaux espaces d’animation.
C’est en parallèle avec la célébration dans la piété et le recueillement total de ce mois sacré que des interactions se forgent en expressions sociales et trouvent leur justification dans cet élan de ferveur qui se consolide avec le temps. La réaction sociale dans sa dimension évolutive transite de ce qui est transmis de père en fils à ce qui est acquis. Autrefois, il fallait sortir le soir pour rendre visite à un proche ou à un ami si ce n’est pas un voisin. Cela berçait dans des considérations familiales et religieuses. De nos jours, on sort pour se promener ou prendre une tasse de café entre amis. Plusieurs cafés ou clubs, notamment dans la périphérie de la ville commencent à adapter leurs offres à cette nouvelle donne. Animations, tables réservées, espaces familiaux, orchestration classique et jeux pour enfants. Des animations musicales et comiques qui durent jusqu’à deux ou trois heures du matin. Juste le temps pour rentrer chez soi et préparer son shor. «Ces restaurants cafés, convertis pour les raisons du carême, nous offrent une animation tranquille et intime. C’est pour cela que j’ai invité quelques amis pour célébrer le premier jour de jeûne de mon fils. Avant-hier c’était ma cousine qui a fait de même pour sa fille», rapporte une femme enthousiasmée par la réussite de sa petite fête.
A Oujda, le premier jour de carême d’un enfant est pompeusement célébré. Les festivités commencent le jour par la prise de la photo qui mémorise l’événement chez un photographe. Ces derniers proposent les services de maquilleuses «des negaffas pour fillettes) pour attirer le plus grand nombre de clientèle. La fille reste chez le photographe au moins une heure pour prendre quelques photos. De leurs côtés, les garçons ont droit à des cadeaux de leurs choix. Cela dépend de la bourse de leurs parents. La fête familiale est célébrée la nuit.
Sur le plan des animations réservées à ce mois, le changement est de taille entre hier et aujourd’hui. Les veillées musicales des cinéma Vox et Mirage qui attiraient un grand public font partie des souvenirs qu’évoquent certains avec nostalgie «feux Ourade Boumediene, Ahmed Wahbi, Chikh Tilisani, Abdellah Magana, Jilali, Rissani et bien d’autres nous manquent éperdument» rétorque Haj Hmida qui pense qu’Oujda a perdu son charme d’antan et ses bonnes manières de vie. Dans un sens, il a raison car tout ce qui se rapporte à l’animation artistico-culturelle s’est évaporé avec le temps.
Ce n’est plus l’incontournable souk de la médina avec ses saveurs caféines ou mentholées qui attire les convoitises et les curiosités. Les «Berrades Aâchari» ont complètement disparu et les animateurs traditionnels aussi. Les décors ont évolué et avec eux les comportements. C’est la nouvelle ville avec ses nouvelles places publiques qui attire de plus en plus les familles oujdies à des sorties en plein air pour parer à la chaleur des maisons. «Ce sont des bouées d’oxygène qui permettent aux personnes âgées de discuter tranquillement et aux enfants de jouer à leurs guise», explique Ahmed Achiri (père de famille) et d’ajouter «En plus c’est très pratique, les mosquées pour les «tarawihes» sont à deux pas et les places sont propres, bien éclairées et sécurisées».
Les jeux de cartes et de domino meublent aussi ces nuits ramadanesques. En plus des cafés équipés pour ce type de jeux, d’autres surtout dans les quartiers populaires proposent ce type de service durant ce mois. «C’est ma clientèle habituelle qui me demande de réserver des tables de jeux de cartes pour s’amuser et se taquiner», rapporte un patron de café de la rue de Boudir. Parmi les autres jeux traditionnels il y a la «dama». Elle est pratiquée durant la journée pour «tuer» le temps. C’est surtout dans les espaces publics du centre-ville où les personnes âgées s’adonnent à ce type d’exercice mental. Les jeunes optent pour les jeux des échecs avec l’organisation de tournois dans certains cafés. Les tournois de pétanque improvisés se multiplient aussi durant ce mois.
Sur le plan gastronomique les plats proposés sont presque identiques à ceux des autres villes marocaines. Ce qui fait la différence c’est surtout les plats de «seffa», ce couscous beurré, sucré et sans sauce. Le plus souvent, il est présenté garni de cannelle et de raisins secs. Il y a des familles qui le prennent juste après la prière du «Tarawihes» d’autres le laissent pour le «shor» et le prennent soit avec du petit lait ou lait froid.
D’autres le dégustent avec un verre de thé. La «douida» vermicelle traditionnelle est aussi présentée dans certains foyers. Les femmes âgées perpétuent une tradition culinaire faite uniquement pour le Ramadan. Le «Shor fihe lajare» on y croit comme du béton dans l’Oriental pas uniquement pour des considérations religieuses mais aussi pour des raisons nutritives : chaleur des journées oblige.
La prise d’une bonne part d’eau tardivement évite toute déshydratation. Même les personnes qui préfèrent se coucher tôt, se lèvent avec l’appel du muezzin pour accomplir leur prière et prendre une dégustation légère.
De leur côté, les mosquées affichent «plein» lors de la prière du «sobhe . Un phénomène de société qui date depuis la nuit des temps. Les Oujdis ne badinent pas avec les «tarawihes» et chaque quartier vante les qualités de lecture du fquih de sa mosquée.