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Bouteflika : Une imposture algérienne (7)

Bouteflika tremble à l’idée que les organismes internationaux, qui ont inscrit sur leurs tablettes la lutte contre la corruption, aient de lui l’image qu’ont déjà de lui ses compatriotes. Que restera-t-il alors du grand diplomate et du donneur de leçons, lorsque les preuves irréfutables de ses prévarications seront étalées au grand jour ?
Le mal est cependant fait : la confiance des investisseurs envers l’Algérie a fondu. « Les scandales retentissants d’établissements financiers ont provoqué une grande émotion et une légitime inquiétude devant la fragilité des mécanismes de contrôle et l’opacité de certaines pratiques», conclut Mohamed-Salah Mentouri, président du Conseil national économique et social.
Les chefs militaires attendaient donc beaucoup des dons de communicateur de leur poulain. « Il sait dribbler », aurait dit le général Médiène au docteur Youcef Khatib, candidat aux présidentielles de 1999.
« L’armée a surévalué le handicap de la langue de Zeroual et exagéré les vertus lyriques de Bouteflika, reconnaît le général Rachid Benyellès. Bouteflika était attendu comme l’avocat qui saurait à la fois plaider la cause des généraux et rétablir ce contact avec le peuple que Zeroual n’a pas réussi à faire. Les généraux ont fini par troquer un patriote contre un marchand de paroles. Ils s’en mordront les doigts très vite. »
Car les généraux qui pensaient installer Talleyrand découvrent Brutus. Des épisodes de l’été 1962 et de juin 1965, le nouvel élu Bouteflika aura gardé intacte la passion du putsch qu’il éprouvera avec ferveur, en 2003, sur tous ceux qui menaçaient la pérennité de son pouvoir ou constituaient une menace à sa réélection, du FLN et des généraux qui refusent de le plébisciter à la presse indépendante dont il redoutait l’instrumentation par le dispositif électoral de l’adversaire.
Avec la désignation de Bouteflika sur des critères de coterie se vérifiait le postulat cher à Saïd Sadi : on ne peut sauver à la fois le régime et l’Algérie. En fin de mandat, le constat tenait plutôt de la farce tragique : Bouteflika a enfoncé le régime et l’Algérie. Le « filleul » s’en était pris, avec un égal bonheur, à ses parrains et à son pays. A la place du « faux civil » qui les prémunirait de l’aventure, ils réalisèrent, un peu tard, qu’ils venaient de confier leur sort et celui de la nation à un revanchard aigri de n’avoir pas succédé à Boumediène en 1979, mégalomane, intriguant qui, précisément parce qu’il est le « civil des militaires », donc ni tout à fait civil ni tout à fait militaire, s’oblige à emprunter l’arrogance des généraux sans en partager les obligations éthiques.
« L’armée l’a toujours subjugué, constate un officiel qui a bien connu Bouteflika. C’est à la fin des années 60 qu’est né chez lui ce sentiment de frustration parce que Boumediène interdisait à tout membre du Conseil de la révolution d’approcher l’armée. Y compris donc Bouteflika. Ce dernier a alors nourri un sentiment fait à la fois de revanche, de frustration et d’envie envers cette puissante forteresse. Le même sentiment que celui développé vis-à-vis du harem interdit. Ce sentiment a été démultiplié quand, en 1979, il a été privé de sa “place”. L’histoire de Bouteflika est une succession et une accumulation de rancoeurs et de sentiments de revanche. »
Bouteflika n’allait pas s’embarrasser de scrupules pour se montrer férocement ingrat, diablement calculateur, définitivement irrécupérable, habité par l’unique obsession qui allait marquer son règne : affaiblir les autorités et les contre-pouvoirs qui lui font pièce pour asseoir l’autocratie dont il rêvait.
Comment l’armée a-t-elle pu se tromper à ce point ? Un des généraux, Khaled Nezzar, justifie cette lourde méprise : « Que pouvions-nous connaître de Bouteflika, nous qui avions passé le plus clair de notre temps dans le Sud, dans des commandements opérationnels ? Nous n’étions guidés que par un seul but : voir notre malheureux pays venir à bout de la crise qui était en train de le terrasser, et Bouteflika semblait avoir les capacités techniques pour cette mission. C’est au moment où Bouteflika tombe le masque qu’il se découvre et que nous le découvrons. »
Le général n’ira pas jusqu’à détailler ces «capacités techniques» que Bouteflika semblait posséder ni préciser en quoi il était supposé être le seul à en disposer alors que d’éminentes personnalités politiques aux compétences avérées étaient ignorées par la hiérarchie militaire.
« Les chefs militaires ne le connaissaient pas, avoue de son côté le général Benyellès. Ils ne retenaient du personnage que ses dehors de brillant diplomate.
L’illusion date de l’époque où nous étions jeunes, où on considérait que l’Algérie était le plus beau pays du monde. Bouteflika incarnait le ministre entreprenant de cette période-là. Ce n’était pas le cas, mais de cela on s’est aperçu que plus tard lorsqu’on a commencé à connaître le personnage. »
Trop tard. L’hégémonie militaire conçue par un civil était déjà en marche. Bouteflika, en militaire avisé, veillera d’abord à entretenir, entre 1999 et 2004, une constante atmosphère de putsch : il gardera le pays sous le régime de l’état d’urgence durant tout son mandat.
L’état d’urgence, proclamé en 1991 pour juguler la menace islamiste, ne se justifiait pourtant plus en 2003, et la hiérarchie militaire avait affirmé ne plus y tenir par la bouche même du général Lamari. Maintenir ce régime restrictif n’avait donc comme objectif que de servir les desseins hégémoniques de Bouteflika.
En décembre 1999, il l’utilisait déjà comme argument pour empêcher la création d’une seconde chaîne de télévision : Tant que l’Algérie est sous état d’urgence, il n’y aura qu’une seule chaîne de télévision, une seule chaîne de radio en arabe, une seule chaîne de radio en français et une seule chaîne de radio en tamazight. Je ne veux pas ouvrir le paysage médiatique. » Fin 2003, alors que de son propre aveu le spectre terroriste avait reculé, il militait toujours pour le maintien de l’état d’urgence. « Il sera levé dès que les circonstances le permettront », déclare-t-il à un journal oranais.

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