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Santé : De La toxicomanie en milieu médical

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De nombreuses enquêtes font état du fait que ce problème touche l’ensemble des professionnels de santé, médecins et non-médecins, et concerne aussi bien la prise de produits licites qu’illicites. La plupart de ces enquêtes ont été conduites, il faut bien le reconnaître, dans les pays anglo-saxons où la transparence vis-à-vis de cette question est plus grande qu’elle ne l’est au Maroc et dans les pays de culture latine. Ces enquêtes mettent en évidence que tous les milieux médicaux sont touchés. Selon les données épidémiologiques recueillies, soit à partir de questionnaires, soit à partir de l’analyse de la population prise en charge dans les Centres médicaux nord-américains spécialisés dans le traitement des praticiens en difficultés, 5 à 6% des médecins (dont la moitié sont des anesthésistes) souffriraient d’un syndrome d’addiction (ou de toxicomanie) aux substances psychoactives licites et illicites. Parmi les résidents (médecins en formation) en anesthésie, le pourcentage serait plus élevé encore.
L’usage de substances psychoactives en milieu médical, en général, et en milieu anesthésique, en particulier, a quelques particularités. La première est la facilité d’accès aux agents intraveineux et notamment (mais non exclusivement) aux opiacés. Ceci fait peser non seulement un risque permanent d’entretien et/ou de récidive de l’abus de ces substances, mais aussi un danger réel de surdosage pour les utilisateurs. La mortalité des usagers par voie intraveineuse de substances psychoactives est en effet de l’ordre de 20% à 5 ans, ce qui est considérable. D’autre part, du fait de la vulnérabilité des patients durant l’anesthésie, la possibilité que le médecin responsable du patient n’ait pas l’entière possession de toutes ses facultés durant cette période, fait courir au patient un risque qui doit être pris en considération. La découverte d’une addiction chez un médecin pose donc des problèmes difficiles à l’ensemble de la collectivité dans laquelle il travaille. Par ailleurs, le médecin concerné doit être reconnu comme une personne en grande difficulté qui nécessite la prise en charge d’un problème de santé mais aussi des conséquences personnelles, familiales ou financières, voire parfois médico-légales ou administratives, de son trouble addictif, et dont il faut envisager l’avenir professionnel. Au Maroc, ces difficultés sont abordées au « coup par coup»; chaque institution ou chaque groupe professionnel essayant de résoudre « au mieux » la question embarrassante qui est posée par la découverte de l’addiction chez l’un des membres du groupe médical. Pour aider à la résolution de ce problème, nous ne disposons d’aucune donnée épidémiologique ni d’aucune structure tant soit peu spécialisée comme c’est le cas en Europe et aux Etats-Unis. Cependant, les discussions ou les témoignages des uns et des autres font état de la réalité du problème et de son caractère douloureux et parfois dramatique. Pour faire face à ce vide « institutionnel », la Société marocaine des sciences médicales (SMSM) et la Société marocaine d’anesthésie-réanimation (SMAR) devraient, conjointement, mener une enquête nationale. Son objectif serait de quantifier l’importance du phénomène, dans le but de prévoir des mesures et des structures de prise en charge adaptées. Cette enquête s’orientera vers la quantification et la qualification de l’addiction, mais aussi vers les conditions de travail ou plus généralement d’environnement professionnel qui pourraient être en cause.
Certes, des raisons culturelles peuvent expliquer le décalage entre l’Amérique du Nord, la communauté européenne et notre pays ; mais chacun d’entre nous a, au cours de sa carrière professionnelle, rencontré des collègues, dont nous supposions dans un premier temps la toxicomanie, puis à laquelle l’équipe était confrontée. Le déni, le tabou, les attitudes protectrices sont des caractéristiques bien connues dans notre pays. Confronté à ce problème, chacun réagit comme il peut et comme il croit bien faire. Il est donc temps d’appréhender ce sujet qui peut même apparaître comme un risque professionnel, c’est-à-dire, malgré les réticences, de parler de ce problème et de le traiter, avec nos propres caractéristiques culturelles.
Ce sera à l’honneur de notre discipline d’avoir ouvert le débat, d’en dégager les implications scientifiques et la responsabilité des différents facteurs, en particulier les éventuelles difficultés à exercer notre profession ; les résultats seront riches d’enseignements, non pas tant dans l’étude elle-même que dans les stratégies de prise en charge, voire des structures innovantes et adaptables au milieu médical. L’esprit qui animera le groupe de travail de la SMSM et de la SMAR, attaché à l’élaboration de ce projet ira, en effet, bien au-delà de la seule enquête.
Il sera aussi et surtout question de concevoir et d’aller vers la mise en oeuvre de mesures préventives adaptées pour assurer, à l’avenir, une meilleure prise en charge des médecins confrontés à ce difficile problème qui, même si on peut le croire ou l’espérer marginal chez nous, ne peut tout simplement plus être occulté.

• Par Pr. Houcine Louardi
Chef du Service d’Accueil des Urgences
CHU Ibn Rochd de Casablanca

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