La "khtana" est un rituel immuable, dont les racines remontent à l’époque du Prophète Abraham. Les Marocains, qu’ils soient juifs ou musulmans, l’observent rigoureusement depuis la nuit des temps, même si les festivités qui le marquent varient d’une famille à l’autre et dépendent, en grande partie, des conditions matérielles et parfois des convictions des parents de l’enfant.
A l’instar des autres villes du royaume, les R’batis ne dérogent pas à la règle. La "khtana" reste pour eux un grand moment de grande joie pour toute la famille et revêt un caractère particulier.
Les Marocains musulmans l’appellent la "t’hara" (purification) ou la "zyana" (l’embellissement) car elle permet à l’enfant mâle de devenir, de facto, un membre à part entière de la communauté musulmane et plus tard d’assumer ses obligations religieuses dans la société.
Elle est également un événement d’une grande importance pour les Marocains juifs qui recourent à ce rituel le huitième jour de la naissance du garçon. La circoncision est désignée par le terme "milah" en hébreu. "La mère offre son fils à l’amputation rituelle, au sacrifice de la circoncision, pour lui épargner le sacrifice total de la mort", explique Haîm Zafrani, dans son ouvrage "Deux mille ans de vie juive au Maroc".
A Rabat, chez certaines familles d’origine rurale, la mère recourt, parfois, à des pratiques insolites, comme le miroir, où la veille de la khtana, elle se regarde pour implorer Dieu d’écourter la douleur de son enfant.
D’autres trompent leurs pieds dans une bassine pleine d’eau pour les mêmes raisons.
Le rituel se pratique généralement au printemps ou au début de l’été, des saisons favorables aux retrouvailles entre les proches. Des scènes de liesse ne passent pas inaperçues dans les quartiers populaires de la capitale. Les "tabalas", les "ghiatas" et parfois les "nafara" et les "daqaiqia" animent cette fête en pleine rue et accompagnent, tambour battant, le petit enfant vêtu d’un séroual (pantalon large), d’une djellaba blanche et coiffé d’un fèz rouge ou vert. Le garçon est perché sur un cheval pur-sang arabe richement pavoisé, aidé en cela par un cavalier qui l’encourage à saluer la foule de ses petites mains. Il devient ainsi la vedette éphémère du quartier, tandis que les louanges au prophète Sidna Mohammed sont dites durant le trajet suivi par le cortège multicolore qui se rend pour une ziyara au mausolée du saint le plus proche. Dans ce genre de rassemblement, les femmes sont de la partie. Vêtues de leurs plus beaux caftans, elles lancent des youyous stridents qui fusent de tous côtés acclamant le jeune enfant qui sera circoncis le lendemain par le "hajam" ou le médecin-chirurgien.
Le "hajam" fut jadis un personnage-clé et le seul praticien qui procède à l’exécution de l’acte d’excision du prépuce du garçon. Il doit être un expert irréprochable et incontestable. Le "hajam" était en réalité un barbier faisant partie d’une corporation de coiffeurs traditionnels exerçant en même temps cette activité particulière fort délicate. Le métier s’hérite parfois de père en fils. Le mâalam est assisté dans cette opération d’un ou deux assistants généralement des apprentis. L’enfant est opéré tôt le matin, dans une pièce de la maison loin des regards.
Les assistants saisissent et immobilisent l’enfant pour faciliter au "hajam" l’exécution de l’acte. La khtana se passe en un clin d’ il. Des youyous donnent le signal de la fin de la t’hara. La mère se mit à pleurer à chaudes larmes, les femmes accourent pour la consoler en lui signifiant que la circoncision est un acte rituel de purification somme toute bénéfique pour son fils et doit, au contraire, se réjouir de cette action.
Les festivités proprement dites commencent. Le déjeuner et le dîner sont offerts aux proches et aux invités tandis que des offrandes sont distribuées aux pauvres et aux nécessiteux du quartier. L’enfant est choyé, des cadeaux et des sucreries lui sont généreusement offerts pour le consoler et lui faire oublier sa douleur passagère. Il sera vêtu, tout au long de sa convalescence, qui ne dure que quelques jours, d’une ample gandoura blanche. Pour clore les festivités, un groupe de Foukahas est invité à la maison pour réciter des sourates du Coran et implorer le Très-Haut de protéger l’enfant et d’accorder sa bénédiction au maître des lieux, à son épouse et à toute la famille du garçon.
De nos jours, de nombreuses familles de Rabat s’adressent à des cliniques privées pour accomplir ce rituel, dans les règles de l’art. Des familles immortalisent ces instants heureux par une caméra qui filmera toutes les étapes de ce rite.
Avant la "khtana", l’enfant est souvent hospitalisé et soumis à des examens médicaux préalables pour déceler médicalement toute anomalie grave. L’acte chirurgical est pratiqué par un médecin spécialiste sous anesthésie dans une salle d’opération.
A l’occasion de fêtes religieuses, des bienfaiteurs viennent souvent en aide aux orphelins, aux enfants abandonnés, aux pensionnaires des maisons de bienfaisance et aux familles nécessiteuses de la capitale. Ils financent toutes ou une partie des cérémonies de la "khtana". Des aides matérielles, des effets vestimentaires et des denrées alimentaires sont gracieusement distribués aux enfants et aux familles concernées.
Des associations de la société civile de la ville ont, depuis longtemps, investi ce terrain. Elles s’occupent pratiquement de tous les étapes de la "khtana" et font appel à la générosité des médecins, des infirmiers, des responsables de laboratoires médicaux privés et à des bienfaiteurs pour financer et mener à bien ces actions louables organisées au profit des catégories sociales défavorisées de la capitale.
Mohammed Baroudi
MAP