ALM : Certains observateurs estiment que les Offices de mise en valeur agricole se sont éloignés de leur mission d’origine. Qu’en pensez-vous ?
Abderrahim Zouheir : Tout d’abord, un rappel historique s’impose. Depuis 1966, les neuf offices avaient des missions liées à l’hydroagriculture. Les prêts internationaux assuraient les financements nécessaires. Un taux de 90% de réalisation du programme national de l’irrigation a même été atteint, sachant que le plan national a retenu 1 million d’hectares. C’est dire la forte contribution des offices dans l’assurance de la sécurité alimentaire nationale. Nous pouvons avancer un taux de 100% en matière de riz, 60 à 70% pour le sucre et une forte contribution aux produits laitiers ainsi que les agrumes. Aussi, la mission d’encadrement de l’agriculture nationale s’est traduite par la mise sur pied d’une culture industrielle derrière la politique d’approvisionnement des sucreries, rizières, oléagineuses ou laitières. L’exemple le plus parlant, à mon sens, est la région du Gharb. D’un ensemble marécageux, sans production importante, l’office a pu en faire un grenier du Maroc où le niveau de vie des agriculteurs s’est beaucoup amélioré. En plus la gestion des zones d’irrigation et leur entretien était et reste l’une des missions significative des offices.
Mais, selon vous, à quand remontent les problèmes des offices ?
Nous sommes plusieurs à penser que le travail de recentrage des activités opérées en 1985, exigé d’ailleurs par la Banque mondiale, est derrière la situation actuelle. Le désengagement des offices de l’encadrement s’est fait au profit des associations d’agriculteurs qui ont pris le relais. Cette situation a assurément amoindri le travail des offices . Toutefois, le personnel n’a pas été systématiquement repris. Les premiers goulots d’étranglement ont d’ailleurs vite fait surface. Le sureffectif ainsi généré ne s’est pas accompagné d’un recyclage intelligent. Aussitôt, un autre programme d’aménagement a été mis en place. Les autorités n’ont pas pensé à l’affectation du personnel, encore moins du matériel.
Votre syndicat ne manque pas d’occasion pour dénoncer la gestion actuelle de l’élément humain. Pourquoi cette réticence ?
En fait, les offices vivent actuellement une situation particulière. Ils sont en phase d’être «privatisés» mais sans que cela soit dit et révélé au grand jour. Pis, nous déplorons en premier chef l’absence totale de stratégie. Le flou est total. Le problème est que cette privatisation déguisée est en train d’être menée sans que l’on tienne compte de l’élément humain, porteur d’un savoir-faire et d’une expertise inégalés. L’Etat se désengage sans se soucier du sort du personnel. Il ne faut surtout pas oublier que les offices agissent sur le social, le technique et l’agricole. En plus, vous parlez d’une gestion de l’élément humain, moi je préfère préciser les choses. Actuellement on parle d’un plan social en l’absence totale de discutions avec les partenaires sociaux. La date du premier janvier 2006 a même été avancée pour sa mise en application. Les négociations entre le ministère des Finances et celui de l’Agriculture sont prévues pour la semaine prochaine. Nous n’acceptons pas d’être le dindon de la farce. S’il y a liquidation, elle doit être négociée avec les partenaires sociaux.
Concrètement, comment l’Etat compte conduire ce plan social ? Une solution comme Sodea/Sogeta pourrait-elle être envisagée ?
Prenez ma région, celle du Gharb, sur 1.440 personnes, les deux tiers vont y passer. Il faut se rendre compte qu’il s’agit de 800 à 900 personnes, dont 60% s’approchent de la retraite. Nous ne pouvons admettre un tel traitement.
Pour l’exemple Sodea/Sogeta, c’est assurément un fiasco. Il s’agit d’une vente pure et simple du patrimoine national. C’est surtout une manière pour cacher le pillage dont a bénéficié l’oligarchie. D’ailleurs, nous souffrons aussi des agissements de ces rentiers. A notre niveau, ce qu’ils tentent de faire passer pour un problème de recouvrement n’est en fait qu’un problème de non-utilisation de l’ensemble de l’arsenal judiciaire contre les privilégiés. C’est encore moins un problème de petits fellahs. Le pays doit a se doter d’une vision claire. Il ne faut plus avancer à l’aveuglette en l’absence d’une politique nette et réaliste.













