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Les civilisations à l’épreuve de la mondialisation (17)

En ce sens, l’Europe n’est nullement une exception. Mais le pluralisme européen a cette particularité de se déplacer au cours de l’histoire (de concerner tantôt les religions, tantôt les nations, les idéologies, etc.) et d’être créatif, peut-être parce que combiné à une marginalité géographique qui faisait de l’Europe une périphérie culturelle, une frontière en expansion.
Comme Weber, comme Braudel, et bien d’autres, Wallerstein s’est montré sensible à la qualité d’unicité du cas européen, à sa singularité.
L’Europe, pour reprendre son vocabulaire, n’était pas un empire, mais une économie-monde : «C’est à la fin du XVe, et au début du XVIe qu’apparut… l’économie-monde européenne… C’était quelque chose de différent, de radicalement nouveau, un type de système social tel que le monde n’en avait pas connu jusqu’alors  et qui est le trait distinctif du système mondial moderne… C’était une entité économique et non pas politique, comme les empires… Le lien fondamental… était d’ordre économique, même si, dans une certaine mesure, il était renforcé par des liens culturels et parfois… par des accords politiques». Un empire est, aux yeux de Wallerstein, un moyen primaire de domination économique.
Il suppose une superstructure dispendieuse, un gaspillage politique dans le fonctionnement des mécanismes d’exploitation des ressources et des hommes. Le monde moderne a inventé, à partir du XVIe, en Europe, une machinerie économique beaucoup plus performante : l’économie-monde, c’est-à-dire le capitalisme, c’est-à-dire le marché généralisé, fonctionnant à une échelle jamais vue auparavant.
Des économies-mondes étaient certes déjà apparues ailleurs et auparavant, mais elles n’avaient jamais fonctionné de façon durable et optimale : « Avant l’époque moderne, les économies-mondes étaient des structures très instables, tendant soit à se convertir en empires, soit à se désintégrer. C’est la particularité du système mondial moderne qu’une économie-monde ait pu survivre cinq siècles durant sans se transformer en empire-monde… Elle est l’aspect politique du type d’organisation appelé capitalisme».
Parmi toutes économies-mondes, l’Europe fut la seule à s’engager sur la voie du capitalisme, et à en explorer toutes les virtualités. Les Grandes Découvertes et l’expansion atlantique ne sont pas la « naissance » de l’Europe. Ces victoires sur l’isolement et l’encerclement sont la deuxième tentative, réussie, pour contourner l’obstacle de l’Islam. Les Croisades, la Reconquista avaient été des tentatives. Mais les premières s’étaient soldées par un échec. Et la seconde ne pouvait annuler les effets de la prise de Constantinople par les Turcs. Les historiens actuels, quand ils tentent de comprendre les raisons de la recherche européenne dc la «Route des épices », sont amenés, bien sûr, à reconnaître l’existence de causes « économiques» : le « besoin » des métaux précieux, des «épices »; du sucre, des bois précieux, des textiles… Mais ils sont aussi tentés de faire référence à des causes «culturelles», qu’on pourrait résumer en parlant de « l’esprit de croisade ».
La défaite de la chrétienté devant l’Empire turc entraîna un réflexe de compensation, une réaction de défense qui était aussi une «fuite en avant ». La terre a été « découverte» bien avant les « Grandes Découvertes». Mais ce que l’Europe a découvert en propre, c’est la route de l’Atlantique : «Cette victoire tardive lui a livré les portes et les chemins des Sept Mers. Elle a mis dès lors au service de l’homme blanc l’unité maritime de l’univers. L’Europe glorieuse, ce sont des flottes, des navires, des ports… ». A partir du XVIIe siècle, la Méditerranée cesse d’être le centre du monde occidental. Jusqu’alors s’étaient rencontrés, concentrés, affrontés autour de «foyer de peuples et de cultures, Rome, Byzance, les Cités-États d’Italie, l’Islam. A partir de 1580 l’Espagne, et avec elle toute l’Europe, voit son centre de gravité se déplacer vers l’Atlantique, au moment même où le Portugal ouvre à l’Europe la route de l’Asie.
Dans l’expansion maritime de l’Europe, le rôle pionnier du Portugal est avéré et bien connu. Pourquoi le Portugal ?
Situé à l’extrême ouest de l’Europe, tourné vers l’Atlantique, loin de la menace constituée par les Turcs en Europe orientale et centrale, c’était un petit Etat unifié, mais secondaire et périphérique, dont les ambitions ne constituaient aucun danger pour les grandes puissances continentales et semblaient secondaires par rapport à l’avance turque à l’Est, il est intéressant de comparer les succès maritimes de l’Europe et les entreprises passagères menées sur mer par la Chine. Il est instructif d’opposer l’expansion maritime européenne, inaugurée par le petit Portugal, et l’échec final des puissantes tentatives lancées pendant quelques décennies par l’empire du Milieu.
Les explorations maritimes des Chinois et des Portugais ont commencé presque au même moment, au début du XVe siècle. Sept voyages furent entrepris, sur ordre de l’empereur, par l’amiral eunuque Teheng Ho, entre 1405 et 1433, dans l’océan Indien et l’Insulinde. Mais les expéditions cessèrent après la mort de Tcheng Ho en 1434, vraisemblablement par suite de l’hostilité des mandarins et de la bureaucratie confucéenne. Selon Chaunu, il n’existait pas en Chine « des groupes aux volontés convergentes d’expansion ».
L’Europe, dit Chaunu, manquait d’espace, tandis que la Chine manquait d’hommes. La Chine n’avait pas besoin d’espace. Elle était un vaste empire. L’Europe n’était pas un empire, mais une économie-monde naissante. En ceci les vues de Chaunu et de Wallerstein semblent converger. Mais alors que Chaunu est « culturaliste », Wallerstein est plus « économiste».
C’est ce dernier point qu’un sinologue comme Fairbank, « culturaliste » par définition, reproche à Wallerstein. Fairbank soupçonne Wallerstein de ne pas comprendre vraiment les différences profondes entre la Chine et l’Europe. Cela vient, dit-il, de ce que Wallerstein ignore 1e concept de « culture », entendue comme « configuration globale, exprimant les configurations de l’économie, du système politique, de la structure sociale et des valeurs » propres à une société.

• Gerard Leclerc
La Mondialisation culturelle
Les civilisations à l’épreuve

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