ALM : Quels sont vos arguments en faveur de l’abolition de la peine de mort au Maroc?
Khadija Rouissi : Tout d’abord, la peine de mort porte atteinte au droit à la vie, un droit que seul Dieu accorde et dont personne d’autre ne peut nous priver.
Par ailleurs, tous les pays qui appliquent la peine de mort à travers le monde, ont fait l’expérience de l’erreur judiciaire. Ainsi, plus de 162 cas de peine capitale ont concerné des innocents à l’échelle internationale et il est évidement impossible de réviser ces peines une fois celles-ci appliquées.
Cette peine n’a plus été appliquée au Maroc depuis 1993. N’est-ce pas suffisant ?
Je répondrai à cela qu’il faut prendre en considération les tentatives de suicide des condamnés à mort. Je pense par exemple au cas de Moha El Hassani, qui a tenté de mettre fin à ses jours avant que sa peine ne soit révisée et finalement remplacée par une peine définie, le 20 novembre dernier. Par ailleurs, en plus de l’argument de l’erreur judicaire, il faut aller dans le sens de l’évolution de l’humanité, de la philosophie de la justice et de la privation de liberté. Cette évolution tend vers l’humanisation de la punition : On ne coupe plus les têtes sur les places publiques pour donner l’exemple et dissuader. On ne procède plus à l’ablation des membres d’un coupable…
Autre constat, les condamnés à mort sont souvent des personnes provenant de milieux défavorisés. Aux Etats-Unis par exemple, ce sont les pauvres, les afro-américains et les hispaniques qui sont concernés par cette peine, parce que ces derniers ne disposent pas d’assez de moyens pour recruter de bons avocats pour les défendre. Dans l’affaire de Hamou El Hassani par exemple, il y avait trois accusés. L’un a été acquitté, le second a été condamné à perpétuité et le troisième, en l’occurrence Hamou El Hassani, a été condamné à mort parce qu’il était le plus démuni des trois.
Les opposants à l’abolition avancent l’argument de la dissuasion par la peine de mort ?
Toutes les études ont prouvé que la peine de mort n’a aucun effet de dissuasion.
Prenez pour exemple le putsch militaire de 1971. Ses auteurs ont tous été mis à mort. Cela n’a pas empêché une deuxième tentative en 1972. Un autre exemple, celui de Taroudant. Cette ville a connu la terreur avec un premier meurtrier qui a fini par être condamné à la peine capitale. Malgré cela, un second meurtrier a réapparu dans la même ville, aussi petite soit-elle.
Dans ce sens, à quoi bon tuer un criminel si cela n’a aucun effet ? On peut le priver de sa liberté et l’écarter de la société le temps nécessaire, jusqu’à ce qu’il soit garanti que la personne ne récidivera pas. Par ailleurs, la véritable lutte contre le crime, c’est l’éducation, la formation, l’intégration, l’encadrement et non la peine de mort comme le prétendent certains.
D’après vous, le Maroc est-il sur la voie de l’abolition ?
Le Maroc a arrêté l’application de cette punition depuis 1993, mais pas de manière officielle. Cette situation nous met dans l’embarras et n’est pas à la hauteur des évolutions de notre pays. Nous avons voté pour la quatrième fois contre l’abolition officielle de la peine de mort, avec la Tunisie et l’Algérie, rejoins en cela par l’Afghanistan. Ceci n’est pas en notre honneur. Toutefois, vu que l’évolution humaine va dans le sens de l’abolition, je suis persuadée que le Maroc suivra le même parcours. On a aboli il y a longtemps l’esclavage, on a franchi des pas importants s’agissant d’un certain nombre de questions: la réforme du code de la famille, la reconnaissance des droits culturels, l’égalité entre les sexes etc. Il faut savoir que l’abolition de la peine de mort aura un impact sur tout le système judiciaire en général, ainsi que sur le code pénal, la procédure pénale et le droit militaire, ainsi que sur toute la philosophie de la justice, et à long-terme, sur la société… Parce la question des droits de l’homme est indivisible.