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Reportage: Ramadan, la Coupe du monde et le sens de la débrouille

© D.R

La Coupe du monde de football coïncide cette année avec le mois de Ramadan. Entre les contraintes que cela implique et les prix élevés des abonnements BeIN Sports, qui détient l’exclusivité de la diffusion des matchs, les passionnés du ballon rond au Maroc se tournent vers des solutions peu conventionnelles.  

A l’approche de l’heure du Ftour, les rues de la  capitale se vident petit à petit. Au centre du quartier Agdal, avenue Fal Ould Oumeirà Rabat, ce petit café connaît, lui, de plus en plus d’activité. Amine, gérant du café depuis à peine quelques mois, supervise le personnel qui met en place et réajuste les tables qui ne tarderont pas à accueillir les premiers clients.

«Nous n’avions pas l’habitude d’ouvrir pendant le Ftour, mais avec les matchs de Coupe du monde qui coïncident avec la rupture du jeûne, nous perdrons une grande partie de notre clientèle sans la formule Ftour», explique Amine, en allumant l’écran d’une télé,  42 pouces qui domine l’endroit.

Pour la première fois depuis 1986, le mois le plus sacré de l’année et le plus grand événement sportif de la planète se partagent l’attention des Marocains en ce début juillet. Entre jeûne et pronostics, tarawih et passion du football, deux mondes se croisent. Pour Amine, ce mélange n’est pas bon pour le commerce : «Il est clair que le Ramadan fait notablement baisser notre profit.

D’abord parce qu’il y a toujours des matchs prévus pendant la journée avant l’ouverture du café, et ensuite parce qu’une grande partie de notre clientèle préfère rompre le jeûne en famille, même si cela veut dire suivre les matchs avec un commentaire en allemand  ou ne pas les suivre du tout». Si Amine semble résigné face à cette situation, d’autres propriétaires de café ont trouvé une solution alternative.

Dans certains quartiers populaires de Rabat, Casablanca ou Salé, la passion du football a visiblement triomphé : des cafés proposent un tarif entre 3 et 5 DH pour regarder les matchs de la Coupe du monde pendant la journée, sans avoir à consommer. «C’est à peine s’ils ne demandent pas 1 DH pour regarder le match debout», plaisante Amine.

A cette équation déjà compliquée, s’ajoute un autre acteur, déterminé à tirer le plus grand profit de la Coupe du monde de football : BeIN Sports. La chaîne qatarie ex-Al Jazeera Sport détient les droits exclusifs de diffusion de la totalité des matchs de la Coupe du monde dans la région du Moyen-Orient et d’Afrique du nord. Il y a seulement quelques semaines, le public marocain pouvait contourner les abonnements BeIN Sports à travers les serveurs Dreambox et les récepteurs par VOIP.

Bien qu’informelles et considérées comme du piratage, ces pratiques permettaient un accès à l’ensemble des chaînes cryptées moyennant un abonnement annuel avoisinant les 1.000 dh. Depuis mai dernier, Bein a adopté un nouveau système plus sécurisé appelé «Secure Silicon», et a, par la même occasion, augmenté les prix de ses offres d’abonnement.  Aujourd’hui, pour regarder la Coupe du monde sur BeIN Sports, un particulier doit débourser près de 3.000 DH, un professionnel (un café par exemple) jusqu’à 40.000 DH. Pour Amine, ces prix relèvent de l’absurde : «Nous ne pouvons tout simplement pas nous permettre un abonnement professionnel, c’est impossible.

Ça nous obligerait à augmenter le prix de la consommation, et les rares clients que nous avons pendant ce Ramadan vont eux aussi disparaître».

Face à ces prix exorbitants, beaucoup de professionnels optent pour un abonnement particulier, malgré le risque de se faire retirer le récepteur Bein par les contrôleurs qui patrouillent dans les grandes villes marocaines.  Dans l’un des points de vente de Cinest, distributeur officiel de la chaîne sportive au Maroc, l’une des employées nous assure que ces contrôleurs viennent directement du Qatar : «Nous ne les connaissons même pas, ils relèvent directement du Groupe BeIN Sports. Quand ils tombent sur un usager qui ne respecte pas les règles imposées par la chaîne, ils lui retirent  le récepteur et il n’a plus le droit de retransmission de Bein jusqu’à ce que sa situation soit en règle».

Les propriétaires de cafés ne sont pas les seuls à tenter de contourner les règles imposées par le géant qatari. Les particuliers à leur tour ne tarissent pas de solutions pour contrer cette montée des prix. A défaut de pouvoir pirater le système Secure Silicon jusque-là impénétrable, certains férus du ballon rond ont réussi à partager un seul abonnement pour en faire profiter plusieurs foyers à la fois.  Au cœur des ruelles de l’ancienne médina de Rabat, Mustapha tient un petit commerce de fast-food typiquement r’bati.

Entre deux commandes de Maaqouda, il explique comment son abonnement BeIN Sports s’est transformé en un investissement rentable: «Je me suis abonné à BeIN Sports pour regarder la Coupe du monde (…) maintenant, je partage mon abonnement avec presque tout le quartier. Ce n’est pas très compliqué, on utilise quelques cables et aujourd’hui plus de 13 personnes regardent les matchs à travers mon récepteur. Ils me payent 300 DH chacun et tout le monde est gagnant !».  

Entre les contraintes du mois sacré et l’hégémonie de la chaîne qatarie, le Marocain footeux n’en reste pas moins déterminé à suivre le plus grand rendez-vous footballistique de la planète. Les moyens diffèrent, mais cette passion du football finit (presque) toujours par triompher.

Sara Elmajhad
Journaliste stagiaire

Reportage photos de Chafik Arich
 

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