Culture

L’extraordinaire M. Chemma

© D.R

La salle des spectacles du Complexe culturel Sidi Belyout affichait complet cette soirée du lundi 31 mai. Et pour cause, l’invité du ministère de la Communication, organisateur de l’événement, était de marque. Et c’est le moins que l’on puisse dire. Lui, c’est Nassir Chemma, l’un des luthistes les plus célèbres de sa génération. Un don et une popularité que la nationalité irakienne de l’artiste n’ont fait que renforcer. Un artiste hors-pair que le public rbati a également eu le plaisir de rencontrer le lendemain mardi 1er juin au théâtre Mohammed V.
Boulversant, incroyable, époustouflant. Tels ont été les termes qui revenaient sur toutes les bouches au terme de ce concert. Ce virtuose du luth a fait l’unanimité. Connaisseurs et novices s’accordaient à dire qu’ils venaient de vivre l’une de leurs plus grandes émotions musicales. Au terme des deux derniers morceaux, les spectateurs se sont spontanément levés pour ovationner l’artiste.
Nassir Chemma a tout simplement, mais complètement, renouvelé la manière de jouer le luth, à tel point que certains l’appellent déjà «le joueur du oud du siècle». D’une virtuosité et d’une sensibilité sans égales, il ne cesse d’explorer de nouvelles pistes. Une virtuosité qui n’a d’égal que l’engagement infaillible en faveur des causes arabes et humaines. D’ailleurs, il l’a bien souligné lors de la conférence de presse tenue à Rabat en début de semaine. L’artiste irakien a relevé que sa musique « exprime avant tout les tracas de la nation arabe et de l’être humain en général». Preuve en était ses oeuvres inédites et jouées pour la toute première fois, « la liberté, la mort» qui porte sur la situation en Irak et «les enfants de la terre» qui évoque l’avenir des jeunes irakiens.
Les sources d’inspiration de Chemma ne sont autres que la réalité du monde arabe. Des cas concrets de souffrance et d’humiliation comme cette Palestinienne restée 72 heures à attendre devant un barrage israélien pour rejoindre sa famille, cet ami ayant perdu son bras droit dans une des innombrables guerres menées par ou contre l’Irak, ou encore cette scène de bombardement américain.
Chemma relate ce qu’il a vu non à travers des mots, mais par le biais de son oud. L’une de ses pièces, «L’abri d’Al Ammiriyya», la plus applaudie par le public, raconte comment des enfants ont été tués dans leur abri de Bagdad par des bombes américaines. «J’ai vu des enfants irakiens morts dans cet abri. J’avais besoin de parler de ce que j’ai vu. Après qu’on ait enlevé les corps, je suis descendu dans l’abri, et j’y suis resté huit jours à jouer. La première fois que j’ai présenté ce morceau en concert, c’était sur les lieux même, à Al Ammiriyya. Après, j’ai dû le jouer quelque 400 fois dans les quatre coins du globe», raconte Chemma. ll reproduit sur son instrument le bruit des sirènes et des bombes qui tombent du ciel avec une force insoutenable. Et d’ironiser : «Les Etats-Unis sont venus en Irak avec comme projet l’installation de la démocratie. Moi, tout ce que je souhaite, c’est que ce projet se limite à l’Irak et ne s’étende pas à tous les pays arabes».
Plus qu’un artiste engagé, Chemma est également un véritable génie. N’est-ce pas lui qui a inventé une méthode de jouer le luth avec une seule main. «Pendant la guerre avec l’Iran, beaucoup de jeunes ont perdu un bras. J’ai voulu les aider à apprendre la musique, pour qu’ils puissent oublier leurs problèmes en jouant. J’ai enseigné ma méthode à une dizaine de personnes, et d’autres que je ne connais pas l’ont adoptée», a-t-il déclaré dans un entretien accordé au Courrier International. Le principe est plutôt simple. Une seule main fait le travail des deux. Les doigts jouent les notes sur le manche, et certains doivent également pincer les cordes à la place du plectre. Ce qui n’est pas de tout aise sur le plan de la pratique.
Chemma a également construit un nouveau type de oud à huit groupes de cordes (le oud normal n’en compte que six). Cet instrument a été décrit il y a plus de mille ans dans un traité par Al Farabi, le plus célèbre théoricien de la musique arabe au Moyen Age. Il permet de jouer des notes beaucoup plus graves et beaucoup plus aiguës.

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