ALM : Quelle est la situation réelle du marché de l’art au Maroc ?
Hicham Daoudi : Le marché de l’art marocain est une réalité, ce n’est pas un marché virtuel, où la création artistique marocaine rencontre quotidiennement des opportunités commerciales. Souvent ce marché semble mystérieux car il est naissant et il comporte encore certains défauts mais on peut être fier quand même aujourd’hui de son existence au Maroc, comparé à nos voisins et pays comparables sur le continent africain ou dans le monde arabe.
Peut-on réellement parler d’un marché de l’art en l’absence de lois et de réglementations dignes de ce nom ?
Oui et de façon très claire. Il existe de bonnes galeries solides avec des artistes contemporains qui s’affirment continuellement. De nouveaux arrivants trouvent aussi des projets audacieux à mener en dehors parfois des galeries, et il existe plusieurs maisons de vente aux enchères qui sont actives. De plus, la réputation de nos artistes pionniers est aujourd’hui affirmée sur les scènes mondiales.
De plus en plus de galeries d’art, des expositions tout au long de l’année, des maisons de vente aux enchères, des foires, est-ce que ce sont là des indices sur la bonne santé des arts plastiques marocain ?
Je pense qu’il y a moins de galeries qui se créent que par le passé, mais aujourd’hui les acteurs semblent plus assis dans leurs métiers et maîtrisent mieux les différents paramètres de leurs activités
Restons dans la vente aux enchères, on remarque aujourd’hui que des maisons étrangères viennent officier au Maroc, est-ce une expertise de plus, ou juste une course au profit au détriment des professionnels marocains ?
Les professionnels étrangers dans leur logique de développement cherchent les marchés dits émergents où ils peuvent trouver des opportunités commerciales pour diversifier leur chiffre d’affaires. Ce n’est pas une mauvaise chose que de s’intéresser à l’art marocain, ou à nos artistes, mais il faut réellement s’y intéresser et ne pas se tromper sur leur art, leurs histoires et leurs créations. Il faut que ces professionnels s’adossent à des structures existantes et voient comment elles pourront demain mener des projets communs, en respectant les paramètres culturels marocains. Mais venir en Shérif exhiber des records ou prétendre en obtenir facilement n’impressionne personne au Maroc. Il y a quelque temps toute une communication a été faite concernant un événement à Paris sur l’art marocain en parlant de record justement, et cela correspondait en fait à ce que nous faisions localement avec moins d’œuvres d’art… Je laisse donc apprécier aux gens ce détail au cas où il leur aurait échappé… Quand les gens parlent de vente record il faut toujours garder une attitude humble car nous vendons de l’art avant tout et non des résultats.
Parlons maintenant du faux. On sait que de faux tableaux de grands peintres circulent, comment les reconnaître ?
Grâce aux archives et aux informations que nous recueillons sur les tableaux dits «saints» et au travail de recherche que nous faisons en continu sur toutes les œuvres que nous trouvons. Les faussaires marocains utilisent des matériaux récents et n’ont pas assez de recul par rapport aux créations originales, ils commettent donc souvent des erreurs flagrantes. Cependant ces erreurs avec le temps seront moins visibles avec la professionnalisation de ces faussaires, mais nous gardons cependant un œil très vigilant sur leurs productions. D’autant que les professionnels aujourd’hui communiquent entre eux et échangent beaucoup plus d’informations, ce qui permet rapidement de saisir où ils en sont.
Comment lutter contre ce phénomène du faux ?
Il faut absolument développer l’arsenal juridique et créer à terme un corps judiciaire dédié au patrimoine matériel qui pourrait mener des enquêtes sur l’ensemble du territoire. Il faut savoir que les faussaires sont souvent très actifs dans des villes provinciales et leurs réseaux de distribution sont dans les grandes villes.
Est-ce que nous avons des experts pour authentifier les œuvres d’art ?
Il existe par artiste beaucoup de gens très compétents et très saints, qui font leur travail avec beaucoup de sérieux. Malheureusement les experts agréés par les tribunaux sont peu recommandables…
Avec l’émergence d’un aussi grand nombre de peintres, on dirait que tout le monde veut devenir peintre ou sculpteur ou alors photographe, est-ce bon pour la scène artistique marocaine encore jeune et fragile ?
C’est normal que les métiers culturels attirent beaucoup de gens qui veulent croire en leurs talents. Malheureusement il existe une différence entre pratiquer une passion et être un véritable artiste, et encore une plus grande différence pour être un grand artiste. Ces métiers font beaucoup d’appelés mais peu d’élus, et ce n’est pas un chemin facile de vivre de son art partout dans le monde. La consécration est souvent tardive et les déceptions très présentes dans les parcours. Mais sans cela il n’y aurait pas aussi de magie dans ce monde.
Parlons maintenant de la cote des peintres, qu’est-ce qui la définit ?
C’est la moyenne des résultats qu’ils obtiennent en vente aux enchères et en galerie sur un certain nombre d’années d’exercice. Un résultat n’est jamais suffisant, un record de vente peut être aussi un accident… Il est parfois arrivé qu’un artiste ponctuellement attire beaucoup de gens et voit sa cote augmenter pour vite redescendre… Donc la cote est à regarder avec beaucoup de recul…
Est-ce que vendre cher veut toujours dire que le travail est bon ?
Pour l’art marocain, aucun artiste qui a obtenu des résultats importants n’a démérité dans son travail. Dans les marchés hypers spéculatifs on est en droit de se poser ce genre de question, mais chez nous on peut affirmer bien que la crise se soit installée depuis plusieurs années, la valeur de nos artistes est comme leur talent solide et en devenir.














