J’aurais pu faire l’impasse et faire comme si je n’avais rien vu ni rien entendu, mais c’est trop dur et trop injuste. Je me souviens de cette phrase que m’a dite un jour un de mes amis après que je lui ai confié mon incapacité à rester sourd aux durs aléas de la vie : «Tu sais, tu dois faire comme les clowns qui arrivent à amuser les gens même les jours où ils sont tristes et malheureux».
Et bien moi, je n’en suis pas capable, d’abord, parce que je ne suis pas un clown car je n’ai pas le talent, et ensuite c’est parce que parfois, quand les choses sont trop sérieuses et trop dramatiques, il faut savoir mettre la plaisanterie à part. On dit chez nous que «Trop de soucis fait rire», mais là, il y en a beaucoup trop. Comment rire alors que 30 gosses sont morts, comme ça, au détour d’une route, alors qu’ils revenaient d’un voyage de vacances avec un corps plein de vigueur et un esprit plein de rêves? Comment rire alors que des dizaines de familles ne pourront pas faire définitivement le deuil de leurs proches qui sont partis subitement le plus loin qu’un être humain puisse partir ?
Comment rire enfin quand, au lieu de s’arrêter juste un moment de nous raconter comme toujours des bobards et d’essayer constamment de nous convaincre que tout va très bien dans le meilleur pays du monde, nos responsables se sont remis à vouloir nous faire croire, avant même que l’enquête qu’ils ont, eux-mêmes, diligentée n’a pas encore livré ses résultats, que personne n’est responsable de cet accident ? Je vous jure que je ne plaisante pas.
D’ailleurs, c’est après avoir lu et entendu ce que certains d’entre eux ont dit ces derniers jours que j’ai décidé de consacrer cette chronique censée être toujours marrante à ce terrible drame et à ce qu’on en dit et ce qu’on va en faire. Comme je ne peux pas tout vous rapporter, je vais me limiter à deux ou trois déclarations très parlantes et qui dénotent le degré d’autisme qui a atteint certains de nos dirigeants. D’abord, à tout seigneur tout honneur, commençons par notre ministre qui porte la lourde charge, dans le désordre, du transport, de la logistique et de l’équipement. Immense charge, n’est-ce pas ?
Je dois vous dire que je ne suis pas toujours d’accord avec certains confrères qui passent leur temps à lui taper dessus, mais ce n’est pas une raison pour le laisser dire n’importe quoi. En effet, répondant aux questions orales des parlementaires, il n’a pas trouvé mieux que de répondre, peut-être pour se dédouaner, que «le drame de Tan Tan n’a rien à voir avec l’état de la route et que ce type d’accidents mortels peut arriver partout». Signification probablement souhaitée par notre cher ministre: que non seulement cette route précisément était parfaite, que notre réseau routier dans son ensemble est irréprochable et que, par conséquent, vous n’avez aucun reproche à lui faire.
Et à qui donc la faute? Bien sûr, au pauvre Voltaire. Et puisque nous sommes dans la littérature, je voulais vous rapporter quelques bons mots que j’ai entendus en regardant une émission réalisée sur ce sujet par une de nos chaînes de télévision. C’est le responsable de communication du CNPAC qui déclare sans sourciller et sans se soucier de ce qu’on pourrait en penser, que le Maroc a fait «des pas de géant dans la prévention des accidents de la circulation» et qu’il faut «cesser de répéter avec les médias que nos routes sont considérées parmi les plus meurtrières dans le monde, parce que c’est faux». Texto. Comme c’est bizarre ! Quand le Maroc est classé parmi les derniers, nos responsables râlent et crient au mensonge, et quand, pour une fois, il est premier, ils ne sont pas contents. C’est quand même rigolo. Pourtant, croyez-moi, ça ne me fait pas rigoler pour autant. Oui, je suis d’accord que tout n’est pas mauvais chez nous, mais tout n’est pas bon non plus. Alors, qu’on arrête de nous prendre pour des imbéciles puérils toujours obligés de croire qu’ils sont parfaits alors qu’il y a tellement de choses à faire, à défaire, bref, à parfaire.
En attendant, je souhaite à tous les imparfaits comme moi et à toutes les imparfaites un très bon week-end. Quant aux autres…
Un dernier mot sous forme de devinette pour rigoler un peu : Comment se passer de Bouya Omar alors qu’on a moins d’un psychiatre pour 100.000 habitants ?